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Le blog d'André Boyer

Comment faire des enfants, en Russie et ailleurs?

17 Octobre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Un remarquable article de la Nezavissimaïa Gazeta évoquait récemment l’inquiétude que suscite la démographie russe, puisque l’on prévoit la disparition totale de cette population dans un siècle et demi à peine si elle reste sur la pente descendante d’aujourd’hui. L’écart entre les naissances et les décès y est actuellement négatif, d’un million de personnes chaque année. Ce déséquilibre ne provient ni d’une famine, ni d’une épidémie, ni d’une guerre, mais de trois phénomènes concomitants, le principal d’entre eux concernant  non seulement la Russie mais toute l’Europe, France comprise, et à terme l’espèce humaine dans son ensemble.

images-copie-15.jpegOn peut écrire en effet que la Russie se vide de trois manières convergentes, par l’immigration qui résulte de l’attractivité de pays plus riches ou plus agréables à vivre, par la surmortalité, en particulier masculine et par la faiblesse du nombre des naissances. Laissons ici de côté l’immigration et la surmortalité qui appellent des analyses spécifiques à la Russie, pour nous consacrer à la faiblesse des naissances qui est une question qui est posée à l’Europe tout entière, sinon au  monde entier.

En Russie, deux tiers des femmes ne mènent pas leur grossesse à terme parce qu’elles n’utilisent pas assez la contraception. Mais si l’avortement était interdit, il n’y aurait pas plus de naissances pour autant, comme le prouvent les chiffres de la natalité polonaise, tout aussi bas que ceux de la Russie. Ce ne sont donc pas les mesures contraignantes qui sont la solution. Cette solution, c’est, dit-on, l’amélioration des conditions matérielles. Les sondages le confirment puisque les femmes russes évoquent en majorité leur trop bas revenus et l’absence d’un logement convenable pour expliquer leur refus d’avoir des enfants. En 2006, Poutine a doublé l’allocation parentale ce qui a eu pour effet d’accroître, un peu, la natalité. Mais lorsqu’on questionne les femmes russes un peu plus en profondeur, elles avouent tout simplement ne pas vouloir d’enfant : elles veulent bien en avoir un à la rigueur, « s’il le faut », deux à l’extrême limite, mais trois jamais ! Or il en faudrait justement trois pour redresser la démographie russe…

La première leçon que nous pouvons tirer de ce que l’on sait de la démographie, c’est que l’État n’a pas la possibilité d’acheter des enfants. Les gens font des enfants pour eux-mêmes, pas pour le pays. La principale explication de la faible natalité est que les parents potentiels ne ressentent pas le besoin d’avoir des enfants. Et c’est une conclusion universelle. Le système de vie a radicalement changé. De nos jours, il est indispensable d’acquérir un bon niveau de connaissance pour entrer dans la vie active, ce qui retarde l’entrée dans la vie de couple. Quant à la naissance d’un enfant, elle bouleverse le quotidien des parents, les éloigne de leur travail et gêne leur carrière, à commencer par celle des femmes. Mettre plusieurs enfants au monde signifie tout simplement pour une femme sortir pour longtemps du marché du travail.

De plus, les fonctions de la famille se transforment et les relations entre ses membres aussi. Dans le modèle de la famille patriarcale qui est en train de disparaître partout dans le monde, les enfants étaient une assurance-vieillesse pour les parents et le respect des anciens était sanctifié par la société. Il s’agissait d’investir dans les enfants pour assurer son propre avenir. Aujourd’hui, tout est changé. Les enfants mènent dés leur plus tendre enfance une vie séparée de celle de leurs parents, passant de la crèche à la maternelle puis à l’école, au collège, au lycée avant d’entrer à l’université pendant que les parents ont leur temps d’activité totalement empli par leurs activités professionnelles. Une fois formés, les jeunes diplômés ne profitent pas à leurs parents mais à la société dans son ensemble. Le lien entre les générations se délite, les enfants deviennent un luxe dont on peut se passer. Quant aux enfants, ils considèrent  les vieux comme une charge encombrante, sauf  lorsque ces derniers continuent à les aider, en gardant leurs propres enfants ou en apportant une aide financière. En tout cas, puisque les enfants ne voient pas comment ils pourraient garder leurs vieux parents chez eux,   les vieux finissent presque toujours à la maison de retraite et c’est une pénible corvée que d’aller les visiter.

De ces observations, il résulte que la chute de la natalité est la conséquence de la modification des idéaux qui régissent nos sociétés. Nous avons un besoin inextinguible de consommation qui est contrarié par des enfants qui coûtent cher, de plus en plus cher. D’un autre côté, ce n’est pas notre descendance qui va assurer notre avenir, mais notre richesse accumulée et nos systèmes de retraite.

La leçon de ce constat est claire : pour que les couples fassent plus d’enfants, il faut renouer le lien entre d’une part le niveau de vie et le statut social des adultes comme des personnes âgées et la natalité d’autre part. Puisque la relation matérielle directe qui existait entre les générations a été rompue par l’évolution de la société, cette dernière doit la restaurer ou disparaître faute d’enfants. Pour cela, la situation matérielle des gens, leurs revenus, leur place dans la société, leur carrière et le montant de leurs retraites doivent dépendre de leur travail, de leur ancienneté, mais aussi du nombre d’enfants élevés et du soin avec lequel ils l’ont été.

En résumé, sauf à se résigner à voir disparaître des sociétés et des cultures faute d’enfants, il faut qu’élever des enfants  redevienne rentable et fashionable. Aux législateurs de jouer, en Russie, en Europe, en Chine, au Japon et bientôt partout dans le monde.

  

 

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