Contre Jeanne d'Arc
Rassurez vous, je ne vais pas m’attaquer à la personne de Jeanne d’Arc mais plutôt à l’utilisation qu’en ont fait les rois de France en particulier et l’oligarchie au pouvoir en France en général.
C’est entendu, Jeanne d’Arc est une jeune fille née en 1412 à Domrémy et condamnée au bûcher le 30 mai 1431 à Rouen à l’âge de dix-neuf ans. Dix-neuf ans ! Elle fait partie d’une famille de laboureurs nommée « Darc », qui sera plus tard anoblie par Charles VII et changera son nom en d'Arc.
Dés 13 ans, la fillette avait déclaré qu’une apparition lui ordonnait de conduire le dauphin à Reims pour le faire sacrer Roi de France afin de « bouter les Anglais hors de France ». Elle finit par en convaincre sa famille et les nobles des alentours qui la conduisent à 17 ans jusqu’à Chinon où elle y rencontre le Dauphin Charles en mars 1429 qui, à cette date, n’a plus aucun droit à la couronne de France. Son père, le Roi Charles VI l’a en effet déshérité au profit du roi d'Angleterre, Henri VI, qui est en outre reconnu roi de France par l’Église et l’Université de Paris. Mais il s’accroche au pouvoir, comme tout politique.
Le Dauphin écoute Jeanne, sent que son dévouement naïf et inconditionnel peut lui être utile. Il lui donne une armure, une garde de quelques hommes et l'autorise à se joindre au convoi de 4000 hommes qui se porte au secours d’Orléans, clef de voûte de la défense des territoires qu’il contrôle. À l’aide de ces renforts et de l’emblème que représente Jeanne d’Arc, le commandant de la place, Jean de Dunois, oblige les Anglais, trop peu nombreux et lâchés par les Bourguignons, à lever le siège de la ville par une série de coups de main en mai 1429. Adoubée par les orléanais, Jeanne est bien le symbole dont a besoin le Dauphin pour asseoir sa légitimité de roi. Exaltant la résistance populaire aux Anglais qu’elle représente, il en profite pour marcher sur Reims où il se fait sacrer Roi, tandis que le jeune Henri VI est sacré à peu près au même moment à Notre Dame de Paris. Deux rois désormais se disputent la France.
Celui qui est désormais Charles VII, après avoir vainement tenté de prendre Paris, entame des négociations avec le Duc de Bourgogne. Quant à la pauvre Jeanne d’Arc qui ne lui est plus d’aucune utilité dans la grande politique qu’il mène, il s'en débarasse en l'envoyant, puisqu’elle a pris goût à la guerre, se battre contre les brigands, les fameuses grandes compagnies.
Le 24 mai 1430, elle est faite prisonnière et elle a de la valeur, puisque Charles VII en a fait à Reims un instrument de son pouvoir. Aussi, son vainqueur la vend-il pour dix mille livres aux Anglais qui souhaitent neutraliser ce symbole de résistance contre leur main-mise sur les territoires contrôlés par Charles VII. L’évêque Pierre Cauchon se charge de la besogne en la condamnant au bûcher parce qu’elle porte des habits d’homme. Terrorisée, elle abjure et accepte de porter des habits de femme, mais battue, insultée et peut-être violée dans sa cellule, elle se résout à accepter le bûcher plutôt que de finir sa vie dans les fers. Elle est brûlée vive le 30 mai 1431, à la grande satisfaction des Anglais.
Mais Charles VII continue de manœuvrer avec habileté. Il signe le traité de paix d’Arras en 1435 avec Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Ce dernier renonce à son alliance avec les Anglais contre de nouveaux territoires et l’indépendance de fait octroyée au Duché de Bourgogne par Charles VII qui, en échange, obtient d’être reconnu comme roi de France par la grande puissance que représente le Duc de Bourgogne. En perdant l’alliance de ce dernier, Henri VI voit le rapport des forces s’inverser contre lui. Dés 1436, Charles VII reprend Paris. De trêves en batailles, les hostilités s’achèvent avec la victoire de Castillon le 17 juillet 1453, qui met fin à la guerre de Cent Ans. Vainqueur d’Henri VI, Charles VII a un second titre de gloire: il est l’inventeur, en novembre 1439, du premier impôt permanent institué en France, la taille...
Quel rôle joue Jeanne d’Arc dans cette histoire où un roi, Charles VII, impose son pouvoir à un autre roi, Henri VI ?
Michelet nous en donne la clef lorsqu’il écrit la magnifique et fallacieuse phrase suivante : « Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie chez nous est née du cœur d'une femme, de sa tendresse et des larmes, du sang qu'elle a donné pour nous. ». Pour nous, c’est sûr ? Pour Michelet en tout cas, Jeanne d’Arc, cette femme aux origines modestes, cristallise le sentiment national du peuple français. Elle a accompli jusqu’au sacrifice de sa vie la mission sacrée au service de la France que lui a assigné Dieu. Ce faisant, Michelet a parfaitement compris le rôle que Charles VII a donné à Jeanne d’Arc, celui de sanctifier son règne, mais il fait mine de confondre les intérêts de la France et ceux du Dauphin Charles.
Rêvons un peu en effet : si les royaumes de France et d’Angleterre avaient été réunis à la fin du XVe siècle, l’histoire de l’Europe et de la France auraient été différentes et peut-être plus bénéfiques pour ses peuples. C’est pourquoi, sans aller tout à fait jusqu’à porter le même jugement que l'Encyclopédie de Diderot qui décrivait Jeanne d’Arc comme une « idiote manipulée par des fripons », je suis contre Jeanne d’Arc : sous couvert de « la France », cette authentique héroïne ne sert qu’à exalter le sacrifice du peuple au profit du pouvoir.
C’est exactement ce qu’a fait Charles VII à son égard. Par le sacre de Reims sanctifié par Jeanne d’Arc, il a imposé son pouvoir face à Henri VI. Qu’y a gagné « la France » ? De ne pas être réunie à l’Angleterre. Il est significatif que l’on ne se pose pas cette question sous la forme suivante : qu’y ont gagné les Français ?...