Dans ses yeux
10 Mai 2010 Publié dans #INTERLUDE
En attendant la parution de la suite de la série "NOTRE AVENIR" sur la crise des déficits et ses conséquences, je vous propose une réflexion sur un sujet plus humain:
j’ai vu hier soir un magnifique film argentin intitulé « Dans ses yeux » qui raconte deux histoires, l'une et l'autre contenant finalement un seul et même message :
Tout d’abord celle d’un type dont la vie est devenue vide parce que sa femme, qu’il aimait, a été tuée par un fou ou un salaud, peu importe. Pour lui, la situation dans laquelle il est désormais enfermé est sans issue. Sa femme est morte, du coup sa raison de vivre a été liquidée définitivement. La solution qu’il trouve, désespérée et logique, consiste à faire subir au type qui a été l’instrument de la destruction de sa vie le sort qui est le sien : le vide absolu. La façon dont il y parvient ne peut pas être racontée à celui qui n’a pas vu le film, mais enfin pour ce malheureux, privé d’espérance, c’est une méthode pour remplir sa vie, même de manière désespérante. Du moins sait-il pourquoi il vit : pour rendre vide celle de l'homme qui a fait son malheur.
Ensuite, et heureusement, il y a une magnifique histoire d’amour. Le policier qui a enquêté, qui a trouvé le meurtrier, qui a été humilié par sa libération anticipée, qui a vu son ami subir à sa place le sort qui lui était réservé, prend sa retraite.
Il décide d’écrire dans un « roman » l’histoire de son enquête et qui est largement celle de sa vie. Clairement, le bilan de l’enquête et de sa vie est un fiasco. Cette enquête n’a mené a rien de bien. L’assassin a été arrêté, mais il n’a pas pu empêcher qu’il ne soit libéré. La justice a été impuissante. De plus et surtout, il n’a pas su s’unir à la fille qu’il aimait, et bien sûr sa vie conjugale a été un échec.
Le vide le guette.
En décidant d’écrire ce « roman » qui est en réalité un reportage, il ne sait pas qu’il va clore l’énorme chapitre qui a bloqué sa vie, une vie qui apparaît désormais dans toute sa vacuité mais aussi dans toute sa vérité. Une clé essentielle du film se situe dans l’observation remarquable qu’a faite l’ami du policier, celui qui cache dans l’alcool son désespoir à fleur de peau. Pour retrouver l’assassin, son ami remarque qu’un homme ou une femme, quel qu’il soit, peut changer de métier, de lieu, de peau, de nom, de tout, mais pas de passion. Ici se situe le cœur du film: on ne peut pas renoncer à ce qui vous passionne, parce que c’est ce qui vous fait vivre. C’est une autre façon d’écrire que renoncer à ce que l’on aime, ou bien à celui ou celle que l’on aime, c’est vider la vie de son sens. L’homme dont la femme a été tué le sait bien, mais il n’y peut plus rien. Par contre le policier n'en a pas encore pris clairement conscience au moment où il décide d’écrire son « roman ». Il ne lui reste plus qu’à franchir ce pas.
Il n’est pas possible de livrer ici l’épilogue qui montre que jamais rien n’est fini dans la vie, tant que tout ce qui était potentiellement possible ne s’est pas définitivement déroulé. Car, pour le policier, ce n’est pas un salopard qui a amputé sa vie de toute signification, c’est lui-même qui l’a fait, par aveuglement.
Le sens de ce film, à mon avis, est donc qu’il "suffit" d’ouvrir les yeux, de prendre conscience de la signification de sa vie, de reconnaître ce qui crève les yeux et que l’on se refusait à voir, pour que l’on soit enfin en mesure de vivre pleinement sa vie, celle pour laquelle on était fait.
Cela arrive en général assez tard pour chacun d’entre nous, sauf pour ceux qui ont la chance d'avoir une aptitude innée au bonheur.