De Winnipeg à Churchill: une journée en train
26 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE
Le lendemain, je m’éveille dans le noir avant 6 heures. Le soleil tarde à se lever. J’ai longtemps cru que nous avancions dans la grisaille, la multitude des arbres gris sombre coulissant le long de ma fenêtre dans une noirceur d’ensemble qui permettait à peine de les distinguer
En regardant de prés la cabine, on s’aperçoit que tout a été conçu pour le confort et la sécurité des passagers, comme la place au centimètre prés pour se lever entre le lit et la porte, l’eau potable et non potable, les encoches dans la cabine pour mettre ses diverses affaires, la disposition des prises, les trois points d’éclairage et jusqu’aux deux miroirs, dont l’un surplombe le lavabo, amovible, et l’autre emplit toute la porte. Un petit loquet astucieux en deux parties, l’une coinçant l’autre, permet de bloquer la porte coulissante. Derrière la porte, un curieux rideau qui permet de s’isoler, car la porte ne ferme pas de l’extérieur.
J’avais fini par croire que le soleil ne consentirait à se lever qu’à condition de la faire pudiquement derrière un gros matelas de nuage. Mais non. Une lueur rose apparaît désormais quelque part sur la droite, tandis qu’à gauche les flaques d’eau le disputent aux rideaux d’arbres de plus en plus malingres. Ils ne font pas plus de 6 à 8 mètres. Des bouleaux et des érables sans doute. On ne peut pas dire que l’ambiance soit riante, si bien que je ne peux m’empêcher de ruminer le même genre de mornes pensées qui doivent hanter ceux qui habitent ces contrées désolées, jusqu’à ce que la nécessité d’agir pour survivre ne les contraignent à chasser les idées noires pour se consacrer à l’action.
Mon besoin immédiat est simple, pour ma part : le breakfast. À l’Est, le soleil se lève sur des arbres gris qui défilent devant moi à petite vitesse. On annonce un court arrêt, cinq minutes, à Wabowden, où l’on arrive avec presque trois heures de retard qui s’expliquent par le passage prioritaire des trains de céréales qui montent décharger leur chargement dans les cargos ancrés à Churchill. Notre train, qui ne transporte que des êtres humains, est sommé de se faufiler entre les chargements de blé.
À Wabowden, on y dépèce le poisson pêché. Des types et des femmes sans trop de dents, rient lorsqu’ils ne savent pas trop quoi répondre, mais le train s’impatiente et siffle trois fois.
À nouveau dans le train face à de faméliques bouleaux qui défilent, plus ou moins bien rangés dans une forêt clairsemée. Quelques heures après, nous arrivons à Thompson. Sous un soleil un peu voilé mais par une bonne température, je suis parti d’un bon pas vers ce que je croyais être la ville de Thompson mais qui s’est révélé n’être qu’une vague zone industrielle. Après de savantes manœuvres, notre train repart avec désormais trois heures de retard sur l’horaire officiel. Qu’importe !
Le soleil tombe, le gris revient tout doucement, le paysage change encore. La mer ou les lacs, je ne sais, succèdent aux forêts inondées. Des bateaux apparaissent, hissés sur les rivages. Hélas, le décor se noie dans mon inconscient alors que je m’endors sur mon siège au point d’avoir bien du mal à basculer le lit et à m’y hisser avant de me rendormir.
Dans ce séjour de deux jours et deux nuits en train, j’ai apprécié son rythme, son confort, son luxe offert à peu de frais, son calme, le côté rétro du voyage, l’espace privatif de la cabine dont j’ai fait mon domaine, une sorte de cellule de moine ambulante, et bien sûr ces paysages infinis, passant des champs aux forêts clairsemées.
Le luxe du Canada réside dans ses espaces illimités qui vous délivrent de ces foules qui viennent vous voler la possibilité de vivre à votre guise.