Éloge de l'échec
5 Avril 2010 Publié dans #INTERLUDE
Mes parents, qui émergeaient à grand peine des ornières de la pauvreté et qui n’avaient jamais fréquenté l’université, pensaient que ma passion n’était qu’une excentricité qui ne me permettrait jamais de gagner ma vie. Ils voulaient que je sois professeur. Je ne blâme pas mes parents pour l’ambition qu’ils avaient pour moi, car ils voulaient m’éviter l’expérience humiliante d’être pauvre. Il est un fait que la pauvreté engendre la peur, le stress et quelquefois la dépression, qu’elle implique des tonnes de petites humiliations et de difficultés.
Mais à un moment donné, c’est à vous et à vous seul qu’appartient la responsabilité de construire votre vie, et moi ce que je craignais le plus aux environs de mes vingt ans, ce n’était pas la pauvreté mais l’échec. Et pourtant, c’est ce qui m’est arrivé, à un niveau que je n’avais jamais imaginé dans mes pires cauchemars : sept ans après avoir été diplômée, mon mariage avait explosé aprés n’avoir fonctionné que fort peu de temps; j’étais sans emploi, seule avec un enfant et aussi pauvre que l’on peut l’être aujourd’hui en Europe, sans toutefois être à la rue. Mes craintes et celles de mes parents s’étaient réalisées, en pire.
C’était terrible à vivre et je ne savais ni quand ni comment je pourrais sortir du tunnel. C’est pourtant cette terrible débâcle qui m’a donné ma chance. Elle m’a ramené à l’essentiel. J’ai cessé de me raconter à moi-même que j’étais quelqu’un d’autre que celle que j’étais vraiment. J’ai pu alors rassembler toute mon énergie pour effectuer le seul travail qui comptait pour moi. Il faut réaliser que si j’avais réussi dans un autre domaine, je n’aurais probablement jamais eu assez de détermination pour réussir dans le domaine auquel je croyais vraiment.
Ma catastrophe personnelle me donnait la liberté de faire ce que je voulais, puisque ma plus grande crainte s’était réalisée, puisque j’avais complètement échoué. En fin de compte, j’étais encore en vie, j’avais encore une fille que j’adorais, je possédais toujours une vieille machine à écrire et j’avais en moi une « grande » idée.
C’est ainsi que le dur rocher sur lequel le naufrage de ma vie m’avait déposé est devenu la fondation sur laquelle j’ai reconstruit ma vie.
Quant à vous, il est probable que vous n’échouerez jamais au point où cela m’est arrivé, mais il est inévitable que vous subissiez des échecs dans votre vie, à moins de vivre si précautionneusement que vous ne vivrez pas du tout, ce qui aboutira finalement à rater sa vie à force de prudence et de renoncements.
Ma faillite m’a donné un profond sentiment de sécurité que les diplômes ne m’avaient pas du tout apporté. Elle m’a fait comprendre qui j’étais vraiment et je ne l’aurais jamais découvert si je n’avais pas échoué. J’ai compris que j’étais dotée d’une volonté forte et que j’étais beaucoup plus disciplinée que je ne le pensais. J’ai aussi constaté que j’avais des amis dont la valeur était pour moi incommensurable.
Vous ne vous connaîtrez jamais profondément vous-même et vous ne saurez jamais quelle est la force des relations que vous avez nouées avec les autres tant que vous ne les aurez pas testés dans l’adversité. Cette conscience est une véritable bénédiction, à coup sûr durement acquise, qui s’est révélée à l’usage bien plus précieuse que toutes les qualifications que j’avais acquises. Et, lorsque vous vous rendez compte que vous sortez plus forte et plus avisée d’un échec que vous ne l’étiez auparavant, vous savez désormais que vous êtes tout à fait capable de survivre.
Alors, si je fais un retour dans le temps, je dirais à la personne que j’étais à 21 ans que le bonheur personnel réside dans la prise de conscience que la vie ne consiste pas à cocher une check-list de biens ou de réalisations. Votre qualification ou votre CV ne sont pas votre vie, même si vous rencontrerez beaucoup de gens qui le croient encore, vingt, trente ou même cinquante ans plus tard. C'est dire si l'aveuglement est largement répandu.
La vie est compliquée, difficile, même pour ceux qui affectent les plus grandes certitudes. L’humilité de le reconnaître vous permettra d’en surmonter les vicissitudes….
Libre et partielle traduction de l’adresse de JK Rowling, intitulée “The fringue benefits of Failure and the Importance of Imagination” aux étudiants de Harvard, le 5 juin 2008.