Fair Game
Ce blog part de ma réaction à la projection du film Fair Games qui conte l’histoire, fondée sur des faits historiques, d’une espionne jetée en pâture à l’opinion parce que son mari, professeur d’université et ex-ambassadeur, dénonce l’un des mensonges qui servent à justifier la décision de l’administration Bush d’envahir l’Irak.
Bien sûr, on peut s’intéresser au sort de cette famille américaine composée d’une espionne recrutée par la CIA au débouché de ses études, fière de sa résistance, de son père militaire et de son pays, d’un professeur qui a une vision de la politique américaine et de leurs enfants ballottés dans le conflit qui oppose la Maison-Blanche à leurs parents. Finalement, sauf les Irakiens qui ont cru aux engagements de la CIA, tout ce petit monde s’en sort sans trop de casse, parce que c’est un film américain donc optimiste et qu’il existe aux USA des contre-pouvoirs à la toute puissance de la Maison-Blanche, notamment celui du Sénat et de ses commissions d’enquête.
Si vous lisez régulièrement mes blogs, vous savez déjà que ce n’est pas le sujet de cette famille américaine qui me paraît le plus intéressant dans ce film, mais la question du rapport entre le pouvoir politique et les sujets auxquels il s’applique, c’est-à-dire nous-même. De ce point de vue, je suis fasciné de la capacité de la société occidentale à accorder foi aux allégations sur ces « armes de destruction massive » qui auraient menacé la « sécurité » des USA. Quiconque connaît un peu le fonctionnement d’un État comme l’Irak savait bien pourtant que, si Saddam Hussein menaçait bien sa propre population, il n’avait aucun moyen de menacer les USA…
De même, il est troublant d’observer le manque total de scrupule de ces politiciens qui écrasent sans se gêner ces fonctionnaires de la CIA parce qu’ils osent contredire par leurs enquêtes et leurs analyses, leur credo qui est censé justifier l’opération « Iraqui Freedom ». Rappelons nous que cette dernière a entraîné environ 100000 morts du côté irakien et 5000 du côté de la coalition, sans compter le coût financier énorme de l’opération militaire et le traumatisme infligé à la société irakienne. Certes, la fin justifiait les moyens selon l’équipe de la Maison-Blanche de l’époque Bush, mais de quelle fin s’agissait t-il ? La disparition du régime irakien justifiait-elle de tels dégâts ? Qui donnait la légitimité à la Maison-Blanche pour décider de la mort de tous ces gens ? Ces premières questions en entraînent d’autres, encore plus troublantes :
-L’équipe Obama est t-elle capable d’en faire autant ? Si vous répondez non, c’est que vous croyez qu’Obama est plus gentil que Bush, c’est que vous n’avez rien compris au film, au sens propre comme figuré.
-Comment des dirigeants peuvent-ils faire des choix aussi catastrophiques ? Parce que le pouvoir rend fous les êtres humains : ils se prennent pour des êtres à part, parce qu’ils ont le pouvoir de tuer d’autres êtres humains, exactement comme l’assassin qui jouit du pouvoir d’ôter la vie à sa victime, avec en plus la bonne conscience de la raison d’État et l’approbation de la société : la jouissance absolue, à l’égal des Dieux !
-Pourquoi ne sommes-nous pas capables de les en empêcher ? parce que nous sommes obligés de leur faire confiance, incapables que nous sommes de leur opposer la moindre force crédible, individuellement et collectivement : nous les avons élus. Que nous reste t-il pour ne pas devenir désespérés ou fous de rage, sinon essayer de nous convaincre qu’ils ont certainement des raisons valables d’agir comme ils le font parce qu’ils sont nécessairement plus raisonnables et plus intelligents que nous, puisqu’ils sont au pouvoir alors que c’est l’inverse, justement puisqu’ils sont au pouvoir, ils ne sont plus ni raisonnables ni intelligents, s’ils l’ont jamais été.
-Que faire alors ? dans le film, au cours d’une conférence à des étudiants, le mari de l’agent de la CIA prononce ce qui est à mon avis la phrase la plus importante du film : vous ne pouvez pas confier l’État à une élite, c’est à vous de gérer l’État, de défendre la démocratie. C’est bien beau, mais en pratique comment organiser autrement nos sociétés pour empêcher les élites de s’emparer totalement du pouvoir ?
-Et, pour revenir à nous, qui défend l’intérêt général des Français ? La Cour des Comptes le fait, dans un domaine bien limité, celui de la bonne gestion des fonds publics, mais je n’en vois guère d’autre, pas même le Conseil Constitutionnel, trop politique et trop empêtré dans une Constitution sans cesse remodelée par les politiques. Mais il est assez visible que ce n’est ni le Président de la République, ni les Assemblées qui lui sont totalement inféodées, ni les féodalités avec lesquelles il négocie, syndicats, corps constitués, groupes de pression, qui se sentent en charge de la défense de l’intérêt général. Le Président s’en targue, constitutionnellement, mais l’ivresse du pouvoir centralisé français l’empêche d’y parvenir.
Alors qui défend les intérêts des français face aux élites, aux féodalités et à ses propres démons ? Personne. Une autre structure de pouvoir est donc à construire, sauf à nous résoudre à être livré sans défenses à un pouvoir détenu par des détraqués.