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Le blog d'André Boyer

J'admire la lucidité et le courage de Pascal!

4 Juin 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

Le 1er Mai dernier, il y a si longtemps mais c’est la faute à la crise financière, je vous invitais à vous joindre à Pascal contre Montaigne et Descartes. Je sais, maintenant c’est presque l’été, il fait chaud, ce n’est pas le moment de philosopher aussi gravement que Pascal, ce type impossible qui nous invite à ouvrir grand les yeux face à notre condition humaine ! 

Mais moi, je l’aime pour son incroyable courage. 

blaise pascal 3Je vous défie d’écrire avec autant de clarté, de violence et de sentiment que Pascal. Lisez ce qui suit, par exemple :

« En regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce coin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi, comme un homme qu’on aurait porté dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est et sans moyen d’en sortir. Et, sur cela, j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi : je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi ; ils me disent que non ; et, sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés et s’y sont attachés. » (693).

D’accord, Pascal ne nous fait pas rire. Et c’est pourquoi il n’est pas un philosophe très populaire. Mais il voit juste, comme Bernanos ou même Céline, là où les autres ne veulent jeter que des regards furtifs et effrayés. Il pointe à l’endroit précis de la blessure. Il voit loin et large. Au moment où il écrit, il est tout proche de la mort. Aussi ne prend-il pas le temps d’user de circonvolutions pour exprimer sa pensée.

Si, avec lui, on porte son regard vers les étoiles, on sent bien que l’homme, pas plus que la vie, n’ont aucun sens à priori. Alors vous, alors moi, tout seul, avec la conscience d’être perdu sur mon île, sans espoir de retour, condamné à mort, à quoi devez vous penser, à quoi dois-je penser ? À notre condition de mortel ou à nous distraire jusqu’à l’instant où nous entendrons le souffle du bourreau sur notre nuque ? Il sera bien temps alors de pousser un dernier cri, de frayeur et de protestation.

Pascal est parfaitement lucide : il sait bien que l’homme a besoin de s’abuser sur sa condition. La preuve, c’est qu’il  envoie promener sans ménagement tous ceux qui gémissent d’avoir tant de travail à faire, tant de responsabilités à assumer, tant de demandes à satisfaire :

« De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas en effet qu’il y ait du bonheur, ni qu’on imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu’on court : on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu’on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. » (139).

Prenez le pour vous.

Car c’est le tracas que nous cherchons, parce qu’il nous divertit : voilà une grande et pénible vérité pour nous tous, sans aucune exception. Allons, reconnaissons-le sans détour, car il est bien compréhensible que l’homme s’essaie à fuir sa condition. Pascal, impitoyable, reconnaît que la condition humaine est assez sombre pour que l’on cherche à la fuir. Il nous faut bannir la solitude surtout, car chaque homme vit son existence comme s’il se trouvait sur une île dont il serait le seul occupant, une île dont il sait qu’elle sera son tombeau comme elle a été son berceau. Terrible image de l’âme humaine prisonnière du corps humain. C’est pourquoi Pascal comprend bien que l’homme essaie d’échapper à cette irréductible solitude en se berçant de l’illusion de partager sa vie avec les autres humains. L’amour.

Il le comprend, mais il nous rappelle durement que c’est en vain, car le vécu ne peut pas se partager. Il sait que ses propos ne peuvent guère être bien reçus, mais il s’en moque, lui qui se voit en soldat de la vérité, soldat d’élite, soldat sacrifié, soldat bientôt mort au combat. La popularité ? Il en ricane encore…

La question essentielle à laquelle il nous ramène comme un animal à l’abattoir, il nous la pose impitoyablement  : « Qui suis-je ? ».

 

 

 

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