Pour Jolanta Vaicaitis
Aujourd’hui, les cendres de Jolanta Vaicaitis ont été remises à sa famille qui ira les disperser au-dessus de la Lituanie, sa terre ancestrale, sur la colline des croix. Jolanta mérite que l’on parle d’elle le jour de ses funérailles et que l’on se souvienne d’elle. Son souvenir s’estompera, c’est certain, comme le nôtre plus tard, mais il n’y a aucune raison qu’on l’oublie.
Heureusement, Jolanta a eu deux enfants, une fille et un garçon qui ne l’oublieront pas. Et puis, elle a des amis qui ont partagé ses combats, ses joies, ses souffrances. Ils étaient avec elle, ils le resteront à travers leurs actes et leurs pensées. Si vous croyez que vous pouvez oublier Jolanta, écoutez sa voix, magnifique.
Si vous cherchez Jolanta Vaicaitis sur Google, vous trouverez toute une page qui lui est consacrée. En tête de cette page, le disque vinyl qu’elle a intitulé « Lietuva à Paris », enregistré en France et produit en Australie. Il date de 1984 et contient 28 morceaux de musique, plus émouvants les uns que les autres. Lietuva à Paris, ou la Lituanie à Paris, tout l’amour pour son pays s’exprime par ce titre…
C’était si important la Lituanie pour elle ! il faut dire qu’on l’a tant privée de Lituanie ! Jolanta est née à Melbourne, le 3 janvier 1954, il y a si peu de temps et déjà elle n’est plus. Ses parents avaient réussi à fuir la Lituanie que contrôlait Staline. Ils s'en étaient éloignés le plus possible puisqu'ils ne pouvaient plus y vivre, son père parce qu’il était un artiste, un peintre connu, trop connu peut-être et sa mère parce que sa foi religieuse rendait insupportable ce matérialisme monstrueux dans lequel se vautraient l’URSS et ses satellites, dont faisait partie la Lituanie. Puis les vicissitudes de la vie ont conduit Jolanta et sa mère loin de l’Australie, mais également loin de la Lituanie, à Toronto, au Canada. La musique, la littérature, la poésie étaient ses domaines, et elle y a consacré ses études, plus particulièrement au sujet de la musicologie. Encore une étape, qui la rapprochait de la Lituanie et la voilà en France où elle s’établit et où naissent ses deux enfants. Elle en oublie d’autant moins la Lituanie, puisque la voilà Présidente de la Maison des Pays Baltes qui accueillaient les Lituaniens, les Estoniens et les Lettons qui fuyaient leurs régimes politiques soviétisés.
C’est alors qu’elle devient la chanteuse d'un groupe lituanien. Elle chante en jouant elle-même de la guitare, accompagnée d'un violoniste, d’un flûtiste, d’une percussion…
C’est alors aussi qu’elle se dépense sans compter, Elle chante, elle est musicothérapeute, y compris à l’hopital, elle donne des cours d’anglais. Il s'y ajoute encore la traduction entre le lituanien et le français pour les tribunaux et la police. Car jamais elle n’oublie la Lituanie. La nuit ne la laissait pas toujours en paix, tant elle était devenue celle que l’on appelait lorsqu’un compatriote lituanien se trouvait en difficulté dans quelque poste de police de la région parisienne. Et puis, loin de toute cette humanité tourmentée, elle écrivait des poèmes, elle traduisait des ouvrages du lituanien en français. L’Ambassade de Lituanie, qui lui a rendu hommage aujourd’hui, sait son amour pour son pays et le rôle qu’elle a joué pour rapprocher la France et la Lituanie. Car la France l’intéressait aussi, elle y était chez elle, et elle n’hésitait pas à s’engager, politiquement parlant, en se présentant sur les listes municipales de sa ville, Champigny sur Marne.
De sa vie, de ses engagements, de ses passions, la Toile garde trace. Regardez la page que lui consacre Google. La chanson en premier lieu, puis les manifestations pour défendre les pays baltes opprimés, le centre culturel bulgare qui accueille ses poésies, la musicothérapie dont elle témoigne ; sa protestation, il y a neuf mois à peine, contre la vente projetée du navire Mistral à la Russie (il s’agit toujours de défendre la Lituanie)…
Et dans tout cela, la résistance physique va de soi. Elle veut que son corps suive. Elle ne veut pas l’écouter, il doit lui obéir naturellement et les médecins n’ont pas à s’en mêler. Elle s’oublie dans ses combats, sa musique, sa poésie. C’est cela qui compte. Elle se consume, elle s’affaisse, elle sombre dans l’inconscient, elle disparaît.
Mais on ne peut pas l’oublier. Moi, alors que je la connaissais à peine, je ne peux pas l’oublier, au point de lui consacrer ce blog. Sa voix ne s’oublie pas, ses mélodies, ses poésies restent. Sa vie, sa vie aujourd’hui brisée, me touche profondément. Cette bataille qu’elle a menée pour la Lituanie jusqu’au bout de ses forces est poignante. Quelque chose me dit qu’elle cachait au fond de son cœur une force et une blessure qui l’a fait avancer mais qui l'a aussi anéantie.
C’est pourquoi nous n'oublieront pas Jolanta Vaicaitis, qui nous a quittée déraisonnablement tôt, le dimanche 29 août 2010.