L'alibi de l'idéologie républicaine
21 Novembre 2009 Publié dans #HISTOIRE
Dans un article daté du 29 octobre 2009 et intitulé « L’idéologie de l’oligarchie française » je soulignais que les discours incantatoires autour de l’idéologie républicaine présentant la France comme la patrie des droits de l’homme face à d’imparfaits pays étrangers, n’est que le moyen central de l’oligarchie française pour éviter de reconnaître que l’organisation du pays doit être fortement, sinon fondamentalement, remise en cause.
Par définition, la pensée officielle pose que les principes de la République sont excellents, que ses institutions sont exemplaires et ses services publics des modèles d’égalité. Bien sûr, à la marge, il faut les ajuster en fonction de l’évolution du monde, rien de plus.
À ce titre, la question de l’éducation nationale est édifiante car s’il est une institution qui est choyée par la République, c’est bien celle-là puisqu’elle y consacre des sommes considérables et qu’elle y investit toute sa foi idéologique.À partir du principe d’éducation généralisée et gratuit, il paraît naturel d’accroître la durée des études obligatoires afin de mieux former les élèves. Les changements technologiques impliquent en effet des employés ouverts aux idées générales afin de pouvoir changer de profession au cours de la vie professionnelle. Cependant la réaction des élèves ne se révèle pas à la mesure des ambitions de l’État républicain. Ils apprennent peu, une proportion importante d’entre eux ne sait toujours pas lire et écrire à l’issue de l’école primaire, et ils s’obstinent à perturber ou à sécher les cours.
Que faire ? Rien, répond l’oligarchie en place. Donner des diplômes à chacun. Accorder l’égalité de traitement en faisant fi des différences d’aptitudes. Pas de réformes donc qui risqueraient d’être à la fois antirépublicaines et dangereuses pour le gouvernement en place. Qui a seulement évoqué l’idée de réduire la durée obligatoire de l’enseignement ? Qui serait assez fou pour demander aux maîtres d’école une obligation de résultat en matière de lecture et d’écriture de leurs élèves ? Impossible. Partout se dressent des organisations dépassées qui ne sont maintenues que pour la commodité des bénéficiaires du statu quo, au premier rang desquels se trouvent ses organisateurs, hauts fonctionnaires résignés à l’échec, syndicalistes entretenus par les dysfonctionnements du système.
L’exemple de l’éducation permet de prendre conscience de la remarquable rigidité idéologique de la République Française. Elle se manifeste dans d’autres domaines : on se souviendra de l’incroyable émerveillement des medias lorsque François Mitterrand, après avoir nationalisé la fine fleur de l’industrie française et provoqué trois dévaluations en trois ans, fit savoir qu’il avait finalement compris que le dirigisme autoritaire de l’économie par l’État n’avait plus lieu d’être. Le fait que cette évidence, connue de tous depuis toujours, ait pu être officiellement prise en compte par la plus haute autorité de la République fut considéré comme un exploit, un changement idéologique majeur dont François Mitterrand est toujours crédité un quart de siècle plus tard.
Un autre exemple est celui du débat sur la laïcité. La France est un pays de tradition catholique. Mais la France officielle de ce début du XXIe siècle revendique sa laïcité comme si le principe philosophique de la raison au-dessus de la religion qui l’inspire depuis la Révolution avait trouvé son épilogue avec les lois de 1905, qui clôturaient trente années de guerilla contre l’enracinement institutionnel de l’Église catholique dans la société française. Puisque l’État français est officiellement laïque, le voilà contraint de livrer un combat frontal contre la religion musulmane. Comme dans les autres pays européens, il serait plus simple de poser pour base que la société d’origine est de tradition catholique et de donner à la religion musulmane un espace d’expression à la mesure du nombre de ses pratiquants. Mais comment financer des mosquées alors qu’il est interdit d’en faire autant pour l’Église catholique ?
On ne peut donc que s’ébaudir devant l’immense capacité de résistance des dirigeants français, fondée sur l’inexpugnable « idéologie républicaine » capable de nier ou d’ignorer les faits les plus patents, considérés comme des données inéluctables par le reste du monde.
C’est elle qui explique aussi bien le remarquable décalage entre l’idéologie officielle et les faits de société à l’intérieur du pays que l’image surréaliste que donne la France à l’étranger lorsqu’elle s’obstine, toujours au nom de son idéologie, à donner la leçon au reste du monde.