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Le blog d'André Boyer

La crise de SciencesPo à son apogée

23 Novembre 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

En quelques jours, la crise de SciencesPo, en gestation depuis des années et tout particulièrement depuis la disparition de Richard Descoings le 3 avril 2012, s'est approfondie et d'une certaine manière a commencé à se dénouer.

genevieve-fioraso-1244493.jpgTout au long des réformes de SciencesPo qu’il a mené depuis 1996 avec l’appui du Conseil d’Administration de la FNSP, Richard Descoings a subi nombre de critiques et de contestations qui ne l’ont pas déstabilisé :

- Lorsqu’il décide en 2001 de créer une filière d'accès à l'IEP de Paris pour les élèves issus des zones d’éducation prioritaire, les recours déposés par certains syndicats étudiants entraînent le 6 novembre 2003 l’annulation du dispositif  par la justice. Richard Descoings obtient alors une nouvelle délibération du conseil de direction de l'IEP pour maintenir le dispositif censuré.

- Lorsqu’en 2004, il institue des frais de scolarité fortement progressifs, il ignore l’opposition des syndicats UNEF et IDÉE.

- Lorsque, les 18 et 19 février 2005, l'Assemblée nationale vote à l'unanimité la généralisation à toutes les universités et grandes écoles de la possibilité d'accompagner les élèves issus de milieux modestes pour leur permettre de mieux réussir leurs études supérieures, il parvient à faire annuler ce vote afin de maintenir son propre dispositif.

- Lors des élections étudiantes de janvier 2009, l’UNI SciencesPo lance une pétition contre la suppression prévue du concours d'entrée, une décision qu’il maintient malgré tout.

- Son attitude autocratique provoque des attaques qui se concentrent de plus en plus sur sa personne. Chargé par Nicolas Sarkozy en 2009 d’un rapport sur la réforme du lycée, le coût de son rapport est critiqué : 836 252 euros pour les 87 pages du rapport!

- En 2011, il est attaqué par Mediapart qui révèle que son salaire mensuel dépasse 25000 euros, auquel s’ajoutent des avantages en nature, des primes qui doublent encore ses rémunérations et qui concernent aussi, hors de tout contrôle, son épouse Nadia Marik, directrice adjointe de l'IEP et le directoire de l’école.

- Le 3 avril 2012, les conditions particulières de son décès à la suite d’une crise cardiaque dans la chambre de son hôtel à New York, son téléphone portable et son ordinateur portable jetés par la fenêtre de sa chambre, le rôle particulier autour de sa dépouille de Guillaume Pepy, directeur de la SNCF, alimentent les rumeurs, alors que l’on apprend que la Cour des Comptes a initié une enquête sur la gestion de SciencesPo.   

La crise qui couvait se dévoile après la disparition de Richard Descoings. Un processus inhabituel de sélection abouti à confirmer le candidat des deux présidents, Hervé Crés, déjà directeur des études et directeur par intérim, qui est élu, non sans contestation, administrateur de la FNSP par son Conseil le 29 octobre 2012 par 20 voix sur 30, ce qui est le minimum requis, et 10 abstentions. Puis le conseil d’administration de l’IEP confirme ce choix le lendemain en le proposant comme Directeur de l’IEP par 13 voix sur 29, avec 14 bulletins blancs ou nuls et un vote contre. En l’occurrence, le duumvirat Michel Pébereau et Jean-Claude Casanova, ce dernier étant aussi membre de la commission chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie publique  présidée par Lionel Jospin, a cru pouvoir ignorer la demande exprimée par le ministère de l’enseignement supérieur d’attendre la publication du Rapport de la Cour des Comptes avant de procéder à l’élection du directeur de l’IEP.

La crise s’aggrave encore lorsque, le mercredi 14 novembre, plus d’une centaine de membres du personnel de SciencesPo votent une résolution adressée à la Ministre de l'Enseignement Supérieur, Geneviève Fioraso. Cette motion mérite d’être retranscrite dans son intégralité, tant elle fait clairement le point, à mon avis, sur l’origine des dysfonctionnements de SciencesPo (c’est nous qui soulignons dans le texte): 

« Sciences Po traverse depuis près d’un an une crise inédite par son ampleur et sa durée. Cette crise révèle de profonds et gravissimes dysfonctionnements du Conseil d’administration de la Fondation et du Conseil de direction de l’IEP. La responsabilité de ces dysfonctionnements incombe en tout premier lieu à leurs présidents respectifs. Ceux-ci n’ont pas su, pu ou voulu exercer leurs missions de contrôle ; ils ont entretenu une opacité totale autour des processus de décision ; ils ont traité par le mépris les questions légitimes posées par les personnels et les étudiants. Plus récemment, par leur stratégie de passage en force pour imposer leur candidat au poste d’administrateur/directeur, ils ont affaibli notre institution en entamant sa crédibilité vis-à-vis de ses tutelles.
Nous considérons que ces présidents ont manqué à leurs devoirs vis-à-vis de Sciences Po, à commencer par celui qui consiste à adopter un comportement exemplaire lorsqu’on a l’honneur de présider aux destinées d’une institution qui forme les futures élites économiques, politiques et sociales du pays. Cela requiert le respect des principes que l’on professe, ainsi que celui des personnels qui travaillent à Sciences Po. On ne peut pas enseigner l’éthique de la responsabilité sans l’appliquer d’abord à soi-même. On ne peut pas vanter les mérites de la démocratie, de la transparence et du dialogue sans les mettre en œuvre au sein de sa propre institution. Alors qu’une nouvelle page de l’histoire de Sciences Po doit s’ouvrir, nous demandons aux deux présidents, Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau, de se retirer tous deux des conseils qu’ils dirigent, l’un depuis 6 ans, l’autre depuis 24 ans. Nous ne nous sentons pas engagés par les résultats du Conseil d’administration de la FNSP et du Conseil de direction de l’IEP de Paris des 29 et 30 octobre 2012 et nous réclamons l’organisation d’une nouvelle procédure de recrutement et d’élection. »

Le 22 novembre, la Cour des Comptes rend son rapport qui demande la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière à la suite d’un certain nombre d’irrégularités dans la gestion du personnel incluant «la rémunération des cadres dirigeants et de l'administrateur.»

Ce même jour, la Ministre de l’Enseignement Supérieur fait connaître au journal Le Monde sa position. Elle indique qu’elle ne procédera pas à la nomination d’Hervé Crès à la Direction de l’IEP, qu’elle désignera dans quelques jours d’une part un nouvel administrateur provisoire avec pour mission d’aboutir à la nomination d’un nouveau directeur et d’autre part un représentant de l'Etat qui siégera au conseil d'administration de la FNSP.

On peut donc espérer, et même s’attendre, à ce que SciencesPo retrouve assez rapidement  sa sérénité. Mais cette crise en cours d’apaisement continue à poser un certain nombre de questions importantes pour SciencesPo et l’Université française, dont les suivantes :

 - La vocation de SciencesPo est-elle strictement  celles des sciences politiques ou concerne t-elle un champ plus large et dans ce cas lequel ?

- Le mode de gouvernance de SciencesPo est-il un modèle pour l'Université ou une anomalie à corriger ?

- La sélection et les droits d’entrée ont-ils vocation à se généraliser dans l’Université ?


Pour conclure, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles j’ai cru utile de consacrer une série de six blogs à la crise de SciencesPo, comme j’en avais consacré cinq cet été à la crise syrienne. La raison principale est que SciencesPo est une institution assez emblématique dans la République Française pour que l’on ne se désintéresse pas de son évolution. Mais je dois indiquer aussi que j’ai quelques titres à m’y être particulierement attaché en tant qu’ancien président du jury « Gestion Publique » de l’ENA, en tant qu’ancien directeur d’une des rares structures mixtes public/privé de l’Université, l’IECS Strasbourg et bien sûr en tant que professeur en Sciences de Gestion à l’Université.

 

 

 

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B
<br /> Je ne puis qu'adhérer à l'esprit du texte de Philippe autant qu'à son contenu et le remercier<br />
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P
<br /> Pour résumer, Richard Descoing et ses mentors, notamment Michel Pébereau, ont été les exécutants zélés et opportunistes, pour rester courtois, d'un dogme ultra-libéral qui ravage la planète et en<br /> particulier la France et les pays européens. Dogme qui consiste à détourner des institutions supposément démocratiques (en façade) et à dépouiller les nations pour le bénéfice obscène de<br /> puissants intérêts privés et de leurs serviteurs. Ce n'est que la mise en oeuvre, pour Sciences Po, d'une politique de soumission à la haute finance internationale, des gouvernements français et<br /> européens, passés et présents, consommée depuis le traité de Maastricht. Que penser par exemple de l'alignement euro-atlantiste servile (OTAN, guerres extérieures, etc.), décidé sans débat (ni<br /> référendum ni vote parlementaire) et sans contrepartie par notre ex toutou en chef (et il serait naïf de penser que son successeur et sa clique ne sont pas plus des toutous), de l'annulation par<br /> voie parlementaire du référendum négatif sur l'approbation du TCE (signifiant clairement que toutes nos institutions, à commencer par le "ConCon", bafouent la démocratie), etc. (la liste est<br /> effarante) ? L'UE (et sa Commission) et la BCE sont des institutions inféodées à ce dogme, de manière cynique et outrancière. Leurs dirigeants ont été à divers degrés au service de grands groupes<br /> privés (l'inceste entre la fonction publique et le privé étant une pratique bien établie de ces hautes castes) et certains continuent, directement ou indirectement, à conseiller ces groupes.<br /> Corollaire, l'indépendance de la BCE n'est évidemment qu'un mythe. Jean-Claude Trichet comme Mario Draghi, et leurs collègues, sont les meilleurs copains d'un système dont ils sont issus. Ne<br /> comptez pas sur eux, ni sur les marionnettes du FMI, pour assainir le système. Le contrôle souverain de la monnaie était déjà un mythe notoire, l'article 25 de la loi du 3 janvier 1973 sur la<br /> Banque de France, dite loi Rothschild, ayant limité la possibilité d'intervention de la Banque de France sous prétexte de dérives inflationnistes (alors que l'inflation sur la période 1960-1972<br /> avait été contenue entre 2,5% et 6,4%, mais s'était envolée ensuite, jusqu'à 14% en 1974, et était restée au dessus de 8% jusqu'en 1984), puis le seul emprunt sur les marchés financiers est<br /> permis depuis 1993 en vertu de l'article 104 du Traité de Maastricht et de sa réécriture à l'article 101 du TCE (TCE co-écrit par un certain VGE) devenu l'article 123 du TFUE.<br /> <br /> <br /> Dans le microcosme universitaire français, le cas Sciences Po n'est qu'un exemple révélateur d'une dérive rampante qui a tendance à gangrener l'enseignement supérieur en France, y compris<br /> l'université publique, sachant que la notion de contre-pouvoir n'a jamais été le point fort de la culture politique française (la constitution de 1958 est éloquente, le suffrage universel venu<br /> légitimer le P.R. n'étant qu'une farce qui donne toute liberté d'abus aux heureux élus une fois les élections passées, et cela s'est généralisé avec la décentralisation).<br /> <br /> <br /> Cette situation était connue depuis longtemps, et cautionnée par notre toutou en chef, comme le rappelait en juin dernier le politologue européiste Franck Biancheri, fondateur du groupe de<br /> réflexion Europe2020/LEAP et du parti européen Newropeans, qui nous a prématurément quittés il y a un mois :<br /> <br /> <br /> Sciences-Po - Plaidoyer pour redresser une institution républicaine en perdition. Par Franck Biancheri, 15-06-2012<br /> <br /> <br /> http://www.newropeans-magazine.org/content/view/13077/1/lang,fr/<br /> <br /> <br /> Lien vers le rapport accablant de la Cour des comptes, intitulé : « Sciences Po : une forte ambition, une gestion défaillante » :<br /> <br /> <br /> http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/124000624-sciences-po-une-forte-ambition-une-gestion-defaillante<br /> <br /> <br /> L'échec de l'ultime tentative de Jean-Claude Casanova et Michel Pébereau de désigner Hervé Crès, ancien bras droit de Richard Descoings, comme candidat à sa succession, suite au refus de<br /> Geneviève Fioraso, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, est une première bonne nouvelle dans l'attente d'une refonte intégrale de la gouvernance de Sciences Po mais rien ne<br /> dit que cela débouchera sur un assainissement plus global des nombreuses écuries d'Augias de la République. J’ai cru voir que sur Nice il y avait du boulot pour qui veut bien ouvrir les yeux, je<br /> souhaite donc à Madame la nouvelle Présidente de l'UNS de ne pas manquer de courage.<br /> <br /> <br /> Sur ce, un grand bravo à André pour son analyse détaillée et pour son blog toujours intéressant.<br /> <br /> <br /> Philippe<br />
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