La mondialisation et la lutte pour la vie
Les personnes licenciées parce que leur entreprise ferme ou se délocalise, faute de compétitivité, maudissent la mondialisation. En compensation, on leur verse des indemnités de chômage, plus ou moins généreuses qui contribuent à accroître les déficits publics et on leur explique qu’ils sont les victimes, innocentes, d’un mouvement irrésistible et irréversible.
On se révolte de même contre la crise mondiale qui a commencé avec l’endettement de la classe moyenne américaine et qui s’est traduite par la surenchère des « subprimes ». Et chacun de se désoler de cette conséquence incontrôlable de la mondialisation des marchés financiers. On promet de limiter les mouvements spéculatifs et de lutter contre les paradis fiscaux qui sont issus des mouvements libres de capitaux. On peut toujours y croire.
On gémit de la hausse des prix provoquée par l’introduction de l’Euro, mais, que voulez-vous, c’était le prix à payer pour disposer d’une monnaie unique. Et tant pis si les Grecs ne sont plus en mesure de rembourser leur dette publique, les pays de l’Euro prendront collectivement en charge le fardeau. On ne sort pas de l’Euro, c’est un dogme.
On s’inquiète de la pollution engendrée par la croissance de l’activité industrielle, par celles de la consommation d’énergie et de produits alimentaires plus riches en protéines. On se promet de trouver, un jour, un accord pour réduire les émissions de gaz carbonique.
On s’inquiète de l’immigration clandestine que l’on ne parvient pas à contrôler. En réponse, on dénonce les réactions de xénophobie qui éclatent ici et là et l’on cherche les moyens d’intégrer ces populations au sein des sociétés où elles ont trouvé refuge. De leur côté, les immigrés, clandestins ou pas, se révoltent à la fois contre les conditions qui leur sont faites dans des sociétés qui leur paraissent encore opulentes et contre la culture permissive qui les choquent et les attirent à la fois.
En somme, on gémit partout contre la mondialisation, tout en reconnaissant qu’elle est inévitable.
Ce constat est doublement trompeur.
En premier lieu, on ne gémit pas partout contre la mondialisation. En Chine, les milliardaires s’en réjouissent, beaucoup de citadins aussi qui accèdent à la classe moyenne, tandis que les paysans se déplacent, aspirés par la demande de main d’œuvre bon marché qu’ils constituent. En Allemagne, on se réjouit encore pour quelque temps des excédents commerciaux générés par les efforts d’équipement des pays émergents. Ces derniers n’en finissent pas de surgir sur la scène internationale, en Asie, en Amérique du Sud et çà et là en Afrique, et ils se réjouissent de parvenir enfin à damer le pion aux vieilles puissances.
Car la figure majeure de la mondialisation, ce n’est pas un mouvement commun vers plus de prospérité, c’est le rééquilibrage de la richesse économique et de l’influence sur les affaires du monde qui l’accompagne au profit des puissances émergentes conduites par la Chine et au détriment de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
En second lieu, la mondialisation n’est nullement triomphante. Au contraire, elle va vers son terme, précisément en raison du mouvement de rééquilibrage précédent. Les Etats-Unis n’acceptent pas et n’accepteront pas, comme d’autres pays avant eux, de laisser leur influence s’éroder. Ils y ont répondu par la guerre, pour l’instant locale, en Irak puis en Afghanistan. Ils quittent le premier pays, ils quitteront le second. Mais ils ne renonceront pas pour autant. Leur ennemi déclaré est de plus en plus clairement la Chine. En conséquence les Etats-Unis montreront une fermeté toujours plus intransigeante face aux entorses aux droits de l’homme, les yeux rivés sur le déséquilibre de leurs échanges. Quant aux dirigeants européens, il leur faut chercher à fuir la logique du chômage et de l’endettement, sans disposer d’aucune liberté d’action vis-à-vis des Etats-Unis. Les solutions qui s’ouvrent à eux ne sont théoriquement que de deux ordres, le protectionnisme ou la guerre. Le premier leur est fermé, sauf si les États-Unis s’y résolvent. Le second risque de leur être imposé par les premiers. Ils ne pourront que suivre les instructions venues d’Outre Atlantique.
Que cette logique nous effraie, c’est bien naturel. Qu’elle nous paraisse lointaine relève du vœu pieu. Qu’on la nie me semble assez présomptueux. Car où se trouvent les solutions qui permettront de réduire le chômage, la dette, la consommation excessive, la pollution, l’immigration incontrôlée, sinon dans la fermeture et le conflit ?
Fermez les yeux, regardez le monde d’hier. La terrible guerre du Péloponnèse trouve son origine dans l’expansion orgueilleuse d’Athènes. Athènes a été détruite. Charles-Quint a fini en Philippe II et l’Invincible Armada dans l’abîme des rêves brisés. Les Anglais ont livré une guerre impitoyable à Napoléon le conquérant de l’Europe jusqu’à ce que la France, dés 1814, soit définitivement réduite au rôle d’une puissance secondaire. Les anglo-saxons, encore eux, ont maté l’expansionnisme allemand entre 1914 et 1945 et l’Allemagne se trouve irrémédiablement englobée dans une Europe ectoplasme. Il en a été de même du Japon qui n’a eu besoin que de quatre ans de guerre et de deux bombes atomiques pour comprendre pour toujours la leçon.
Le monde est-il soudainement devenu si angélique que, pour faire place à la Chine, les riches accepteront de devenir pauvres ?
La mondialisation n’est qu’un moment de l’histoire. Elle est en train de s'achever à l'instant où chacun s'accorde à célébrer son triomphe. La lutte pour les droits de l’homme et contre la pollution va prendre le pas sur le libre-échange. Écoutez attentivement le discours ambiant, si vous en doutez. Cette double lutte couvrira de son vertueux manteau l’éternelle lutte pour la survie que mènent les êtres vivants, tous les êtres vivants, dont l’espèce humaine fait partie, je crois.