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Le blog d'André Boyer

La tolérance comme capitulation de l'esprit

11 Août 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

Il y a un mois, plus précisément le 8 juillet dernier, j’ai écrit un blog intitulé « Que faire ? » dans lequel je soutenais que l’homme me semblait  fort capable de maîtriser les techniques qui lui permettront de survivre sur la Terre. En revanche, le fétichisme pour les outils intellectuels forgés dans le passé risque fort de freiner le nécessaire changement de vision du monde que cette adaptation aux nouvelles conditions de vie implique pour l’espèce humaine.

VirtualSubjectivity.jpgDans le passé, la pensée scientifique a représenté un extraordinaire bond en avant de la pensée humaine, puisqu’elle lui a permis de se libérer de tout préjugé sur ce qui est vrai ou faux. Avec elle, l’observation et la mesure sont devenus l’alpha et l’oméga de toutes les constructions scientifiques, au point d’être considérées comme indépassables. C’est tout juste si les scientifiques concèdent, à regret, qu’il subsiste quelques rares domaines, comme l’amour ou l’art, qui ne relèvent pas de la science. Et encore…   

Or, à partir du moment où la vérité ne peut être que scientifique, la démarche scientifique devient une doctrine. Mais cette doctrine est contredite par les scientifiques eux-mêmes. D’un côté, la pensée scientifique postule que tout, absolument tout, est explicable pour l’homme armé de sa conscience et d’un autre côté les scientifiques, armés de leurs méthodes, ont constaté avec beaucoup d’honnêteté et quelque stupeur, qu’ils étaient incapables de tout expliquer. Au cours du dernier siècle[1], ils ont en effet remis en cause l’objectivité de leurs expériences et de leurs découvertes en observant que les chercheurs choisissaient par convention les hypothèses qui leur convenaient, ce qui déterminait largement les résultats qui en découlaient. De plus, au cœur de l’outil scientifique, il est apparu que la logique était dans l’incapacité de déterminer si une proposition était vraie ou fausse. Aussi, les résultats scientifiques sont-ils devenus plus incertains, les conclusions que les scientifiques en ont tirés plus subjectifs, donc de plus en plus sujettes à caution. Les idéologies s’en apparent désormais fréquemment, comme en témoigne le débat scientifique suspect sur le réchauffement de la planète[2]. Il en résulte que la confiance dans les recherches scientifiques s’érode progressivement tandis que l’humanité est toujours sommée d’adhérer sans réserve à un raisonnement scientifique saisi par le doute. C’est faire fi du besoin profond, du besoin immémorial, du besoin fondamental de l’espèce humaine pour la vérité.

La vérité justement, c’est que la science domine toujours la pensée humaine parce que personne ne peut proposer de système alternatif pour la remplacer. Une autre démarche est pour le moment inconcevable pour nos esprits façonnés par la science, comme cela est déjà arrivé, pendant la Renaissance, aux esprits façonnés par la religion dont le principe central était la croyance : ils ont eu un mal fou à le remplacer par le principe d’expérience. 

Aujourd’hui, le monde actuel est entièrement façonné par la pensée scientifique. Où que l’on se tourne, la quasi-totalité des principes d’analyse et d’action qui nous sont proposés est directement issue de la pensée scientifique. Par exemple, et ce n’est pas un exemple mineur, il suffit d’observer que l’individualisme, si représentatif de l’état d’esprit moderne, est le pur produit de l’esprit scientifique. En effet, pour que l’individu s’affirme dans les mœurs et dans les lois, il a fallu que la science postule que l’esprit humain était capable, par la grâce de la raison, de faire la différence entre ce qui est juste ou faux et que la vérité émergeait de l’individu, et de lui seul. Il en est résulté, entre autres, la doctrine juridique des droits de l’homme et la doctrine économique du laissez faire ; cette dernière a engendré l’économie de marché actuellement qualifiée de mondialisation.

Lorsque le doute saisit la science, il contamine les systèmes qu’elle a forgé. Le postulat posant que l’individu est par définition doté de la raison n’est plus très solide, après trois ou quatre siècles d’expériences in vivo. Il a fallu admettre que l’individu pouvait être déraisonnable, ce qui remettait en cause la doctrine de l’individualisme. Or, personne ne sait au profit de quelle improbable raison collective il convient de la remplacer. C’est pourquoi il est apparu nécessaire aux scientifiques, pour maintenir un semblant de cohérence dans la vision de l’être humain qu’ils s’efforcent d’imposer à l’humanité, de mettre le concept de tolérance au centre du fonctionnement des sociétés. Il s’agit en effet d’accepter la déraison, la sienne et celle des autres, sans remettre en cause l’individualisme. C’est ainsi que la tolérance s’impose comme un élément du doute scientifique appliqué aux sociétés humaines. Elle fait que nous n’avons plus le droit de dire ce qui nous paraît juste ou faux, bon ou mauvais, parce qu’exprimer notre vérité, que plus personne n’ose affirmer comme étant LA vérité, offense la vérité de l’autre qui est, par définition, ni plus ni moins contingente que la nôtre.

Du coup, la confiance dans nos systèmes de pensée s’effrite et, par contrecoup, notre foi dans l’avenir s’effondre.

 

[1] Voir mes blogs précédents sur la notion de vérité, dans la série « trajectoire », notamment l’article intitulé « L’incertain scientifique », publié le 21 juin 2009.

[2] Voir mon blog intitulé « Coup de froid sur le réchauffisme », publié le 7 février 2010.

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B
Remarquable commentaire, argumenté et parfaitement articulé. Je ne puis qu'y adhérer. <br /> Il s'achève de plus par une question redoutable: " Pourquoi les philosophes considèrent-ils que la tolérance est une fausse vertu?" <br /> Sans doute parce que cette vertu est utilisée dans un cadre qui n'est pas adapté, en dehors de celui du débat sur les opinions que vous mettez en avant, comme si ces dernières n'avaient pas le DROIT de s'exprimer. <br /> Mais ma réponse est courte et mérite réflexion. J'y reviendrais. <br /> Merci en tout cas de votre éclairant commentaire. <br /> Amicalement, <br /> André Boyer
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J
La reconnaissance de l’inévitable contingence de toute approche humaine de la vérité (nécessairement dépendante de son point de vue, son contexte, sa culture, son histoire) n'implique-t-elle pas une définition de la tolérance (la tolérance des opinions, non pas celle des valeurs) comme principe d’égalité d’accès à la vérité: si deux personnes sont d’opinions différentes, cela ne résulte pas nécessairement d’une erreur de jugement de l’une d’entre elles, mais du fait que chacune n’a qu’un point de vue partiel, subjectif, limité sur la vérité. Reconnaissant que la vérité peut présenter plusieurs aspects suivant le point de vue où chacun se trouve, elles resteront dans l’incapacité de départager leurs opinions, sauf à les dépasser. L’intolérance, c’est alors le fait d’affirmer que son point de vue est LA vérité : qu’il est absolu, objectif, révélé, et non pas relatif, subjectif, limité. Deux conceptions différentes de la vérité n'interdisent pas la cohabitation, tant qu'elles ne se traduisent pas en actes inacceptables, autrement dit en éthiques incompatibles.<br /> Quid de la « tolérance des valeurs » ? On ne peut pas parler de « vérité des valeurs » : une valeur relève de l’ordre du postulat. De deux éthiques distinctes, de deux échelles de valeurs, on peut seulement dire si elles sont compatibles ou non ; leur compatibilité conditionne la possibilité de cohabitation. Mais on ne peut rien dire de leur « vérité ». <br /> La science est une démarche d’accès à la vérité très particulière, car elle dispose d'un moyen simple de départager les théories: leur cohérence logique, et l'expérience. Mais la science est de ce fait même limitée dans son angle de vision. Hors de la science, il y a des opinions, plus ou moins élaborées, plus ou moins robustes, mais qui ne sont au mieux que des hypothèses, ou des postulats. En particulier dans le domaine de la morale, les principes ne peuvent prétendre au statut de vérité.<br /> Dans le domaine religieux, cette conception de la tolérance devrait par exemple conduire à admettre que « le divin » puisse « se révéler » à chacun suivant son contexte (son point de vue, sa culture, sa langue, etc.), d’où les différentes religions. <br /> La tolérance n'est pas l'indifférence, elle n'exclut pas de rechercher à comprendre, à réduire, à chercher l'origine de la différence d'opinions, mais accepte que l'exercice puisse finalement buter sur un désaccord irréductible.<br /> Pourtant nombre de philosophes contemporains, y compris des non croyants, considèrent la tolérance comme une « fausse vertu ». Pourquoi ?
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B
Remarquable commentaire, argumenté et parfaitement articulé. Je ne puis qu'y adhérer. <br /> Il s'achève de plus par une question redoutable: " Pourquoi les philosophes considèrent-ils que la tolérance est une fausse vertu?" <br /> Sans doute parce que cette vertu est utilisée dans un cadre qui n'est pas adapté, en dehors de celui du débat sur les opinions que vous mettez en avant, comme si ces dernières n'avaient pas le DROIT de s'exprimer. <br /> Mais ma réponse est courte et mérite réflexion. J'y reviendrais. <br /> Merci en tout cas de votre éclairant commentaire. <br /> Amicalement, <br /> André Boyer