Le Maroc en a les moyens, l'OCP le fait
L’organisation, sous le contrôle du Royaume du Maroc, qui exploite les phosphates est devenue, en quelques années, une entreprise extraordinaire. Elle s’appelle l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates.
J’ai travaillé avec l’OCP lorsque ce dernier m’a demandé d’écrire une trentaine de cas destinés à la formation de ses cadres, avec deux de mes amis. J’en ai écrit neuf, un lourd travail d’interviews, de recueil de données et d’écriture, qui m’a permis de rencontrer les cadres moyens et supérieurs de l’OCP et de découvrir l’expérience qu’ils avaient vécue en son sein, parfois pendant des dizaines d’années.
La mine, la chimie, les batailles commerciales, les violents mouvements de la conjoncture, le harcèlement du fisc, la vie au Sahara, les machines à entretenir à tout prix, la recherche de la qualité, la bureaucratie interne, la vie à l’OCP comme une mission nationale, toutes ces images m’ont ouvert les yeux sur cet important organisme qui avait orgueilleusement dressé une tour noire, entourée de gazon amoureusement entretenu, à l’entrée sud de Casablanca.
La tour est aujourd’hui quasiment vide : trois cents personnes au lieu de trois mille. Elle s’est dépeuplée au moment même où je rencontrais les cadres de l’OCP. C’est qu’en quelques années, le pachyderme OCP est devenu un félin.
Plus tard, lorsque j’ai rencontré les cadres supérieurs de l’OCP aux rencontres scientifiques sur l’économie des phosphates à Nice, c’est leur soif de comprendre, d’apprendre, d’échanger pour faire de l’OCP une entreprise globale qui m’a impressionné.
Mais au fait c’est quoi l’OCP, cette entreprise d’exploitation des phosphates créée en août 1920 ? Apparemment, c’est une entreprise publique qui a vivoté pendant huit décennies, avant d’afficher aujourd’hui l’extraordinaire ambition de devenir le numéro un des phosphates. Pour y parvenir, il a planifié cent vingt milliards de dirhams (onze milliards d’euros !) d’investissements d’ici 2020, afin de doter le Maroc de la plus grande base de production d’engrais chimiques du monde. On imagine les effets énormes de tels investissements pour les entreprises locales et les emplois au Maroc.
Concrètement, l’objectif de l’OCP est tout bonnement de doubler les capacités de production de ses mines et de tripler celles de son pôle chimie, afin d’atteindre 40% de parts de marché mondial sur le phosphate, l’acide phosphorique et les engrais.
Grâce à ses réserves gigantesques, le Maroc en a les moyens, mais l’OCP y parvient grâce à son « capital » humain. C’est pourquoi, plutôt que de vous abreuver de chiffres, je vais vous entretenir des personnes qui font vivre l’OCP.
À toute organisation, il faut une tête. L’OCP l’a trouvé avec Mostafa Terrab, qui a modifié radicalement l’OCP depuis qu’il le dirige. Ingénieur des Ponts et Chaussées, Docteur en Recherche Opérationnelle du MIT, il a été nommé Directeur Général de l’OCP le 15 février 2006.
C’était le moment pour l’OCP de changer, et vite, sous peine de sombrer sous la pression de la globalisation. L’Office était alors, semble t-il, une aimable administration centralisée qui ne cherchait pas spécialement à faire des profits et dont le souci majeur était de pouvoir financer encore longtemps les retraites de ses cadres.
Pour changer l’OCP, Mustafa Terrab l’a changé ! la Caisse de retraite de l’OCP a été externalisée, l’OCP a modifié ses statuts en devenant une société anonyme. Mais le plus important s’est passé en interne : la production a doublé (doublé !) en trois ans, sans investissements nouveaux, simplement (sic) en améliorant les performances de son outil industriel.
Comme par hasard, ce bond en avant a été accompagné d’une série de mesures de décentralisation, d’amélioration des procédures ou de mise en place de nouvelles structures opérationnelles. Un exemple parmi cent : les délais de paiement des fournisseurs ont été ramenés de plusieurs mois à quelques semaines.
Certes, il a fallu changer de culture d’entreprise, et rien n’est plus difficile à faire accepter. Abandonner les procédures bureaucratiques en décentralisant les décisions, en faisant confiance aux cadres, en les respectant, facile à écrire ! mais si vous avez déjà vécu cette expérience, vous connaissez la difficulté de convaincre quelqu’un d’abandonner SES habitudes pour adopter de nouvelles façons de faire, décidées par d’autres ! Mostafa Terrab et son équipe y sont parvenus, ce qui révèle une capacité hors du commun à mobiliser les équipes.
Plus étonnant encore, l’OCP ne s’est pas limité à diffuser son savoir faire en son sein. Entreprise publique, il s’est investi dans le Maroc. Comme l’entreprise avait érigé la formation permanente de son personnel au rang de priorité stratégique, elle s’en est servi pour répondre aux besoins sociaux du pays en formant quinze mille jeunes. Elle y a ajouté concrètement le recrutement de près de six mille agents.
Qu’ajouter de plus ? Un livre entier a été écrit sur le sujet par Pascal Croset, qu’il a intitulé à juste titre « L'ambition au coeur de la transformation : une leçon de management venue du Sud» (Dunod,2012). Si vous vous intéressez aux leçons de management que nous fournit l’OCP, lisez le !