Le modèle France
Le 2 décembre dernier (une bonne date anniversaire pour s’entretenir de la démocratie en France), je vous ai proposé un article que j’ai intitulé « l’idéologie égalitaire versus la diversité de la société française » que je concluais en observant que c’est parce qu’elle n’ignore sans doute pas que les événements démentent chaque jour l’idéologie officielle de l’égalité entre des Français tous unis autour de l’idéal républicain, que l’oligarchie au pouvoir s’efforce de détourner l’attention en mettant en scène une France exemplaire censée inspirer le reste du monde.
En effet, d’après les « élites » qui la dirigent, la France est le pays des droits de l’homme, soucieuse de défendre les intérêts des pays pauvres, une terre d’accueil pour les réfugiés politiques, un pays tolérant et respectueux des cultures et des religions du monde. Comme un pays aussi vertueux est une sorte chef d’œuvre en péril, La France est tout naturellement attachée à défendre sa spécificité, tout en se faisant le héraut de l’intégration et de l’élargissement de Europe, convaincue qu’elle est des bienfaits pour la paix, le bien être des peuples et l’équilibre mondial qu’une Europe guidée par la France.
Voilà résumé le catéchisme des officiels français dont vous voudrez bien convenir qu’il correspond assez fidèlement à la vulgate des discours des gouvernements français successifs depuis près d’un demi-siècle.
Pour justifier une telle vision, nos dirigeants expliquent que l’histoire de la France est à l’origine de la sagesse de ses dirigeants et de la bienveillance que ce pays manifeste à l’égard du reste du monde. Selon eux, la Révolution française est l’aboutissement de huit siècles d’une sorte de préhistoire nationale qui court de Bouvines à la prise de la Bastille. C’est alors qu’ inspirée par la raison et la passion de la liberté, la Révolution a balayé les privilèges et la religion d’État qu’avaient édifié les rois pour permettre à chacun d’être égal en droit dans un pays gouverné selon les principes républicains.
Avant la Révolution (au fait à quelle date a t-on proclamé la Première République Française[1] ? c’est bizarre que l’on ne vous en parle jamais, non ?), c’était une autre société, un autre pouvoir, presque un autre pays qui n’avait rien à voir avec la France d’aujourd’hui, un peu comme feu l’URSS qui agissait et prétendait penser comme si l’empire russe n’avait jamais existé avant octobre 1917.
La République Française, quant à elle veut, accréditer la croyance que le régime politique actuel est l’héritier d’une vérité universelle découverte en 1789, ce qui justifierait la prétention des politiciens français à gouverner le pays comme s’ils étaient naturellement chargés de donner des leçons aussi bien à leurs propres citoyens qu’au reste du monde. À cet égard, relisons De Gaulle qui proclame dès la première ligne de ses mémoires : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France », une « certaine » idée qui lui a donné en même temps une idée du rôle qu’il se proposait de jouer à sa tête. Toujours selon la même idéologie de notre oligarchie, la vérité, dont la France républicaine a eu la révélation en premier, a ensuite pénétré les cerveaux épais de toutes les autres sociétés humaines. C’est à ce titre que la France se voit comme un modèle universel par l’antériorité et la pureté du principe républicain qui y est appliqué même si les deux premières républiques moderne furent établies en Corse entre novembre 1755 et mai 1769 sous le magistère de Pascal Paoli et aux Etats-Unis le 4 juillet 1776.
Sur ces bases idéologiques pus qu’historiques que soutiennent nos dirigeants, il est impensable que la République Française se reconnaisse simplement comme l’héritière des régimes politiques qui l’ont précédé, royaux, républicains et impériaux, parce qu’il lui faudrait alors convenir que le régime politique actuel ne détient aucune vérité particulière et qu’il n’a donc aucun message universel à transmettre à tous les peuples de la Terre.
Il lui faudrait alors accepter d’être comparée avec les nombreux royaumes démocratiques européens qui ne semblent pas rendre particulièrement malheureuses les populations qu’ils gouvernent. Il lui faudrait aussi accepter de discuter de la validité des principes qu’elle proclame, de la manière dont elle les applique, et surtout de reconnaître qu’elle ne subsiste, elle et ses principes, qu’en vertu de la volonté des citoyens français. Une horreur, qui rabaisserait le personnel politique français au médiocre niveau des politiciens des autres pays, et le priverait de tout magistère moral sur la population.
C’est pourquoi les dirigeants français veillent à proclamer leur credo dans les valeurs « républicaines » et non dans les valeurs démocratiques. Et pour asseoir leur prétendue supériorité face à la population française, ils ne se privent pas de faire ostensiblement la leçon au reste du monde.
[1] Le 22 septembre 1792 par la Convention, à la suite de l’émeute organisée par Danton le 10 août 1792. Ce devrait être la date de la fête nationale, dans un régime républicain. Pourquoi n’est-ce pas le cas à votre avis ?