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Le blog d'André Boyer

Le prix de l'arachide à Ouahigouya

8 Juillet 2013 Publié dans #INTERLUDE

Vous vous souvenez que le 17 juin dernier, j’ai commencé à vous raconter, en tenant la plume de Madame Lunel, ce qu’était un marché d’arachides à Ouahigouya en janvier 1935.

 

cfao-.jpgLa veille du marché, convergent et s’installent chez Nader Attié, le commerçant syro haïtien de Ouahigouya, la meute des commerçants dont  deux personnages importants suisse allemands qui résident à Bobo-Dioulasso*, Meïer et Feller, qui ont pratiquement le monopole des transports sur toute la région, si bien qu’en 1939, leurs camions feront tous les transports nécessaires à la mobilisation.

À ces deux personnages s’ajoutent les agents de diverses maisons de commerce et cette arrivée massive de commerçants est prétexte à réception chez les fonctionnaires locaux, qui, au gré des connaissances et des sympathies, en reçoivent chacun six à dix à leurs tables. Mais l’affaire sérieuse, c’est l’arrivée des arachides.

Elles sont en route, elles  viennent, elles arrivent. De tous les points de l’horizon, sur toutes les pistes qui convergent vers Ouahigouya, des colonnes de femmes, d’hommes d’adolescents groupées par village, par canton, abattant cinquante kilomètres par jour avec une charge de trente kilos sur la tête, arrivent à Ouahigouya la veille du marché.

Le même soir, chez Nader Attié, se discutent les choses sérieuses. En définitive, il n’existe qu’un seul acheteur et un seul transporteur maritime pour les arachides entre l’AOF (Afrique Occidentale Française) et la France, la CFAO.

Il n’ y a aucune concurrence. 

C’est à la CFAO que sont finalement livrées à Abidjan les arachides provenant de toute l’AOF. Tous les commerçants travaillent donc, directement ou indirectement, pour l’agent de la CFAO. En période de traite des arachides, ce dernier reçoit tous les jours de Londres, siège mondial du marché des arachides, le cours du jour de la tonne d’arachide.

De ce cours, l’assemblée des commerçants installée chez Nader Attié en tire le cours à Ouahigouya, en défalquant le transport, les taxes, les manutentions, le pourcentage de perte. Il faut une assez longue discussion pour savoir de combien sera abaissé le cours de l’arachide à Londres pour obtenir le cours de l’arachide à Ouahigouya qui sera offert demain matin.

Il reste à enlever la marge des commerçants. S’il est facile, une fois estimé  le volume d’arachide, de calculer le bénéfice global que fera l’ensemble des commerçants, il est plus difficile de se mettre d’accord sur la part du gâteau de chacun. La grosseur de la part dépend de la capacité de nuisance de chaque commerçant, c’est-à-dire de sa capacité à faire monter les cours lors de la discussion avec l’Administrateur. 

Mais finalement, après des marchandages plus ou moins fermes, tout s’arrange, chacun est inscrit sur les tablettes de Meïer pour une part bien déterminée de bénéfice et tout se réglera à Bobo-Dioulasso en fin de période des achats chez Meïer, dont la fiabilité ne fait aucun doute pour personne.

Tout étant bien au clair, Meïer, Nader et quelques commerçants de moindre importance se rendent alors chez l’Administrateur : c’est qu’il y a des formes à respecter, puisque l’achat se fait théoriquement par adjudication. En fait, une discussion a lieu entre l’Administrateur qui a une idée approximative des cours et veut tirer le maximum du stock d’arachide pour pouvoir recouvrer les impôts et le chef de la délégation des commerçants qui doit sauvegarder un bénéfice  qu’il a déjà partagé !

Mais le rapport de force est inégal, car le chef de la délégation des commerçants dispose d’un terrible moyen de pression, celui de refuser d’acheter. Aussi obtient-il la reddition totale de l’Administrateur, ce qui se traduit pudiquement par un simulacre d’adjudication, dûment inscrit dans le compte-rendu administratif adressé à ses supérieurs.

 

Le marché va alors pouvoir commencer : il y a quelques jours déjà que les représentants locaux des chefs de canton font déverser, chacun à l’emplacement qui lui a été assigné, les charges venues de leurs circonscriptions. Mais depuis hier, le poste est submergé par l’inhabituel va-et-vient des camions des commerçants et le torrent des porteurs qui déferlent par toutes les pistes, tourbillonnant sur la place dans une tempête de hurlements…

 

*La deuxième ville du Burkina-Faso, actuellement prés de  500000 habitants.

** La CFAO, Compagnie Française de l’Afrique Occidentale, a été créée en 1887. D’abord spécialisée dans le commerce alimentaire, elle s’est ensuite consacrée à la distribution automobile, des médicaments et récemment des réseaux informatiques. Elle emploie près de 10000 personnes et réalise un chiffre d’affaires de prés de trois milliards d’euros.

Elle a été rachetée en décembre 2012 par le groupe japonais Toyota Tsusho. 

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