Le 2 mars dernier, je terminai mon article intitulé « Quelle évolution du pouvoir politique ? » en notant que la France disposait d’une organisation du pouvoir dépassée, face à laquelle chacun d’entre nous avait la responsabilité soit de se soumettre soit de décider à s’en affranchir en quittant le pays. Il reste à expliquer pourquoi les dirigeants français n’ont pas voulu prendre les décisions qui auraient permis au pays de s’adapter au nouveau contexte mondial.
Ces dirigeants ont pourtant toujours su ce qu’il fallait faire pour le bien de la société française, et ils ne l’ont pas fait. Ils ont reculé, sciemment, devant des décisions que l’intérêt public imposait. Ils ont reculé partout où les décisions risquaient de leur coûter, non pas les élections, puisqu’ils ne les ont jamais gagnées sur leur bilan, mais plus fondamentalement leur position au sein de l’oligarchie politique.
Pour mesurer la distance qui s’est installée entre les décisions qui devaient être prises, selon le sens commun partagé par les innombrables rapports qu’ils ont reçus, et celles que les politiciens ont effectivement prises avec le souci primordial de ne pas effaroucher l’opinion publique, il est nécessaire de prendre conscience de la barrière qui s’élève entre l’oligarchie qui gouverne la France et ses sujets, les citoyens français. Une oligarchie qui contrôle entièrement les medias et qui fait en permanence la leçon à ses sujets, pardon ses « citoyens ». Sur les ondes, unanimes, journalistes, présentateurs et hommes politiques font assaut de bons sentiments, car leur vie, ils nous l’affirment, est toute entière consacrée à améliorer le sort de leurs prochains. Pourtant les privilèges des uns, le cynisme des autres ont depuis longtemps décrédibilisé leurs discours auprès de leurs auditeurs. L’hypocrisie trône, souveraine au milieu des ondes, une hypocrisie qu’il nous faut subir passivement dans la vaine attente qu’enfin une parole d’humilité, de contrition, de vérité perce miraculeusement le mur du mensonge bien pensant.
Pouvoir politique et journalistes forment un monde à part, le microcosme, qui prétend dicter ses lois et ses opinions à l’ensemble de la société française. Les « informations » que les journalistes délivrent sont des produits qu’ils vendent : les faits ont bien un fondement réel, mais la description qu’ils en font n’est que conte de leur invention élaboré pour les besoins de la cause. À quoi sert toute cette mécanique, sinon à conserver le pouvoir au sein du petit groupe qui le détient.
Pour défendre les vertus de la pensée unique qu’elle met en œuvre, l’oligarchie prétend qu’elle conduit le peuple français, malgré lui, vers un avenir raisonnable. Elle estime inutile, nuisible même, de solliciter l’adhésion du peuple français face aux changements qu’engendre la nouvelle donne mondiale. Cela impliquerait d’ouvrir la boîte de Pandore qui consisterait à débattre de l’ensemble des principes et des structures qui définissent le système de pouvoir français. Elle n’en veut évidemment pas, puisque son pouvoir est intimement lié à la survie des structures actuelles. Elle les trouve par définition excellentes, tout juste susceptibles de quelques ajustements marginaux. C’est pourquoi, tandis que la plupart des analystes écrivent des rapports qui rempliraient une imposante bibliothèque sur les incohérences, les déséquilibres, les déficits qu’engendre la gestion actuelle de la France dont la population mesure quotidiennement les effets négatifs dans la rue, à l’école, au travail, les politiciens refusent d’entendre les messages désapprobateurs qui leur sont adressés.
Cette fermeture du système politique empêche tout consensus sur les objectifs de la société, interdit toute mobilisation collective et rend impraticable l’adaptation de la France à la mondialisation. L’écart de vitesse entre l’évolution de la société française et celle du monde devient de plus en plus élevé, tandis que les hommes politiques ne savent plus comment expliquer aux Français qu’ils doivent se contenter d’un système politique incapable de répondre à leurs besoins.
Leur ultime recours reste l’arme idéologique, car elle est par définition le dernier rempart de l’oligarchie pour se maintenir au pouvoir. Mais, si dans toutes les sociétés on attend des élites qu’elles conduisent le mouvement, encore faut-il que ces idées ne consistent pas simplement à opprimer la population qu’elles prétendent piloter.