Mouammar? Dégage!
J’avais prévu d’écrire un blog sur un tout autre sujet, mais j’avoue que je suis fasciné par l’actualité en cours.
Hier soir mardi 23 février, j’ai regardé en direct sur la chaîne AlJazeera, Mouammar Kadhafi parler devant les caméras pour la dernière fois sans doute, dans une sorte de hangar. Il n’était entouré que de quelques fidèles qui lui ont fait un maigre cortége après que son fils aîné l’ait embrassé à la fin de son allocution. Son fils aîné, il est doudou avec son papa, mais pas avec la populace qu’il est chargé de réprimer avec ses avions, ses hélicoptères et ses mercenaires. C’était quand même émouvant cette scène d’amour filial, j’ai failli verser une larme.
Le discours de Mouammar était à mi-chemin entre l’horrible et le pitoyable. Le vieux dictateur avait quelque chose d’un Ceausescu à la dérive dans un palais vide ou d’un petit Hitler à la recherche d’une apocalypse qui l’engloutirait avec son peuple : « Je suis un combattant, un révolutionnaire venu du désert, je suis prêt à mourir comme un martyr. »
On se demande de quelle cause il veut être le martyr, Mouammar, sinon de sa propre folie. Je regarde avec un mélange de pitié et, j’avoue, de mépris, ce sinistre pantin vêtu de sa gandourah marron et de son turban dans le décor à moitié en ruine dans lequel il pérore encore : « Mouammar Kadhafi est un combattant, un révolutionnaire venu du désert, je ne suis pas un président qui se retire. C’est mon pays. Mouammar n’est pas un président qui quitte son poste » hurle t-il pour se rassurer et pour essayer de convaincre le peuple qu’il devra continuer à le subir. C’est sûr que c’est son pays, il a humilié son peuple, il l’a mis en coupe réglée pendant presque un demi-siècle. C’est à lui tout ça, mais voilà c’est fini maintenant et Mouammar n’arrive pas à s’y faire, c’est cela qu’il crie.
Et puis tout d’un coup, il fait très fort : « Je n’ai pas encore ordonné l’usage de la force ! » Ah oui ? c’est quoi ces mercenaires qui tirent dans le tas, ces hélicoptères qui mitraille la foule, ces avions qui envoient sur elle des missiles ? des amuse gueules ? « Je n’ai pas encore ordonné de tirer une seule balle! » À ce moment, il délire Mouammar, mais enfin, il a des excuses, toutes ces contrariétés ont dû le chambouler un peu.
Le voilà qui précise encore sa pensée: « Quand je ferai usage de la force, tout brûlera ! » Nous y sommes, Néron est de retour en compagnie d’Hitler, observant le monde entier enflammé par sa folie. En voilà une bonne raison de vivre et de mourir pour un dictateur qui se respecte !
Mais il n’a pas perdu tout à fait espoir, Mouammar, il pense qu’il a encore des supporters : « Vous les hommes et les femmes qui aiment Kadhafi… » Il croit qu’il y a eu un jour des gens qui l’aimaient, Mouammar, en tant que dictateur ? C’est bien la folie des hommes politiques de croire qu’on puisse les aimer ! C’est vrai que des millions de personnes ont pleuré à chaudes larmes la mort de Staline, ce monstre. Intéressant au plan psychologique de comprendre ce qu’ils aimaient en Staline ? leur jeunesse qui partait avec lui peut-être? Un jour, certains pleureront sans doute Mouammar : c’était mieux avec lui, on était tranquille, pas de voleurs et il y avait de l’ordre.
Mais pour l’instant ce n’est pas la question, nous assène encore Mouammar : « Ceux qui aiment Kadhafi, sortez dans la rue, attaquez-les dans leurs tanières ! » C’est fini ce temps-là, mais lui, il y croit encore, il se fait paternel : « les manifestations pacifiques sont une chose, la rébellion armée en est une autre » C’est bien vrai ça, les dirigeants de tous les pays adorent les manifestations pacifiques, les referenda que l’on contourne, les votes que l’on manipule, mais la rébellion armée, non, ils n'aiment pas du tout parce que ce n’est pas du jeu.
Pour qu’ils sortent dans la rue ces amoureux tardifs de Kadhafi, Mouammar se rend compte qu’il faut injecter un peu de management : « À partir de ce soir, tous les hommes jeunes doivent former des comités de sécurité populaires, ils doivent porter un brassard vert pour s’identifier.» Alors, si les gens sont sérieux, tout va s’arranger : « Le peuple libyen et la révolution populaire contrôleront la Libye » Amen. Un avenir radieux illimité attend la Libye sous le règne éternel de son guide bien aimé, de ses fils, de ses petits-fils, de ses arrières petits-fils, le lait des chamelles coulera à flots dans les oasis et le pétrole dans les pipe-lines…
L’allocution était retransmise sur un écran devant des centaines de supporters massés sur la place Verte de Tripoli où avait eu lieu la veille un assassinat de masse, les avions ouvrant le feu sur la foule des protestataires. Mais Kadhafi ne parlait même pas devant ses supporters. Sans doute avait-il trop peur que l’un d’entre eux ne sorte une arme pour l’abattre. Il parlait seul face à un mur. Tout un symbole.
J’étais fasciné. Un dirigeant révélant dans toute son obscénité ce qu’est vraiment le pouvoir, c’est rarissime. Et puis, le moment est historique parce qu’il ne se produit qu’une fois par génération : le peuple bouscule les dirigeants qu’il a dû subir depuis tant d’années pour les jeter à la poubelle. Ce fut le cas en 1989 en Europe de l’Est puis en URSS, ce fut encore le cas en 1968 pour la France, aujourd’hui c’est le tour des pays arabes.
Je suis fasciné aussi par la révélation des mensonges que nous ont assenés nos dirigeants pendant des décennies nous expliquant que Kadhafi avait changé, tout simplement parce qu’ils voulaient faire tranquillement des affaires avec lui. Aujourd'hui encore, ils le regardent calmement assassiner les gens. Eux qui crient tant contre les terroristes, qui n'ont pas hésité à bombarder la Serbie pendant des semaines, ils n'ont pas un avion, pas un bateau disponible pour menacer le tyran assassin. Ils cherchent leurs mots pour manifester leurs désaccord avec ces méthodes brutales, ils s'inquiètent de la hausse du prix du pétrole et de l'immigration potentielle qui peut en résulter. C'est que Mouammar lui, il faisait en sorte que le pétrole coule et que les immigrés restent en Afrique. Regardez pour finir les déclarations de ce bouffon qui vous[1]représente en Tunisie, Boris Boillon qui trouvait, il y a moins de trois mois, que ce pauvre Kadhafi avait fait des erreurs comme tout le monde mais qu’il s’était corrigé depuis. En effet, on voit ça, en direct.
Le problème, Boris, c’est que toi et tes semblables faitent payer leurs erreurs à des millions de personnes. Alors, Boris, Mouammar, MAM et tous les autres, dégagez, on se passera de vous. On vous promet que l'on vous pleurera un jour, mais plus tard quand on aura le temps. Pour l'instant, dégagez et vite!