Prison et Résurrection
29 Janvier 2012 Publié dans #HISTOIRE
Dans le dernier blog que je lui ai consacré, le 19 janvier dernier, nous avons vu Hélie Denoix de Saint-Marc plaider devant ses juges. En réponse, le jugement du tribunal militaire, logique et terrible, tombe : dix ans de réclusion criminelle.
Il se retrouve dans la prison de Tulle. Lisons le, ses mots exhalent la sincérité :
« Une heure, un jour, j’ai tout perdu. Je me suis retrouvé seul dans une cellule. J’ai compris alors la vanité de bien des choses et l’hypocrisie de bien des hommes. J’ai vécu les premiers mois de détention en référence constante aux camps de concentration. Ce souvenir me donnait de la force. Vingt ans plus tôt, j’avais tenu le coup. Pourquoi lâcher prise ? Le désarroi m’envahissait en pensant à ma femme, si jeune encore. Tout juste vingt-cinq ans et deux petites filles qui parlaient à peine. Dans la tempête, il est plus facile d’être seul. Quand on y entraîne les siens, les choses deviennent obscures.
Aujourd’hui encore, des souvenirs de coursive, de fenêtres ouvertes sur le béton, de nuits d’angoisse, d’ennui à couper au couteau, remontent parfois à la surface. Ce ne sont pas des images anodines. Le corps se met en berne, lourd et fatigué. Le ciel devient blafard. Je me suis senti soudain comme un prisonnier en cavale, dont l’esprit échafaude mille solutions pour ne pas être renvoyé en cellule. Aucune solidarité humaine ne pourra jamais empêcher l’enfermement d’attaquer les prisonniers dans ce qu’ils ont de meilleur. Comme la rouille érode le fer, la prison détruit. C’est un pourrissoir moral. L’uniformité des jours m’écrasait. J’étais nourri, chauffé, logé. Je n’avais plus aucune initiative, aucune responsabilité. Chaque heure, chaque minute, il fallait résister à la destruction de soi. Au fil des mois, l’angoisse devint mon ennemie familière : l’impuissance, l’accablement des aubes sans oubli, l’ennui monstrueux que rien ne pouvait combler. L’angoisse montait à intervalles réguliers, comme une marée puissante, bousculant les résolutions, la volonté, le courage. C’était une lutte exténuante qui se déroulait dans un cadre morne, toujours semblable, dont la règle était la régularité oppressante des horaires… »
Il est gracié au bout de cinq ans et quitte la prison de Tulle le jour de Noël, le 25 décembre1966:
« … À ma sortie, en dehors de l’oasis familiale, j’ai connu une sorte de trou noir. Je ne reconnaissais plus ni les lieux, ni les gens, ni les enseignes, ni les voitures. Je me sentais étranger dans un monde étranger. Je n’avais plus de papiers d’identité, plus de carnet de chèques, plus de maison, plus de métier. Pour de longs mois encore, j’étais un citoyen de second rang. On m’invita à Paris quelques jours, et ce fut pire encore. J’avais une sensibilité exacerbée, presque obsessionnelle, vis-à-vis de la vanité, de l’hypocrisie, des tiroirs à double-fond de la comédie humaine. On me posait des questions imbéciles sur ma détention. La moindre manifestation maladroite, qu’elle fût de mépris ou de flatterie, réveillait ma colère. Il s’en est fallu d’un rien pour que je bascule dans une délectation tragique et un puits d’amertume. »
Il s’installe alors à Lyon avec l'aide d’André Laroche, le président de la Fédération des déportés et il commence une carrière de cadre dans l'industrie, en tant que directeur du personnel dans une entreprise de métallurgie qu’il achève en 1988. Dix ans auparavant, il avait été rétabli dans ses droits civils et militaires.
Il avait toujours été reconnu par ses pairs, mais c’est désormais le temps de la célébrité et des célébrations. En 1995 sont publiés, grâce à Laurent Beccaria, Les champs de braises. Mémoires, un ouvrage couronné par le Prix Femina, catégorie essai. Puis notamment, Les Sentinelles du soir, en 1999 et Notre histoire (1922-1945), coécrit avec August von Kageneck en 2002.
Finalement, il est fait Grand'Croix de la Légion d'honneur, le 28 novembre 2011 par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à 89 ans.
Même s’il ne fait pas l’unanimité*, le voilà désormais consacré comme un homme célèbre, qui a eu un parcours de vie remarquable et qui souhaite laisser aux Français un message.
* Nous consacrerons un dernier blog aux jugements portés sur la signification des actes militaires d’Hélie Denoix de Saint-Marc.