Quel choix est le bon?
16 Juillet 2010 Publié dans #INTERLUDE
Le texte ci-après est inspiré d’un livre de Vita Sackville-West, « Toute passion abolie ». Il raconte l’histoire d’une vieille dame de 87 ans qui nous pose à tous, jeunes et vieux, la question du sens de notre vie.
Dans la vie, quel choix est le bon ? faut-il faire le choix que tous attendent autour de nous, parents, amis, opinion ? Ou faut-il prendre la voie qui est celle de notre intime conviction? Naturellement, nous sommes tenté de penser que la seconde solution est la bonne, mais quel courage elle suppose, quel égoïsme elle nécessite, quelle solitude elle engendre ! Tandis que la première solution, nourrie de conformisme et de lâcheté, permet de nous évader de nous-mêmes en faisant ce que les autres nous demandent et en nous consacrant à eux. C’est la question que nous pose lady Slane, quel choix est le bon, celui de notre inclinaison ou le poids des convenances ?
À la mort de son mari, le comte de Slane, un homme fort important, les enfants de la vieille dame, désormais veuve et âgée de 87 ans, confèrent sur le sort de leur mère, qu’ils n’imaginent pas avoir des idées personnelles. Pour eux, il faut vendre la maison devenue trop lourde pour elle et l’héberger à tour de rôle. Devant le corps à peine froid de leur père, leur réalisme fait plaisir à voir, on sent qu’ils ont pensé à tout cela depuis fort longtemps.
La surprise vient de Lady Slane qui, tout en acceptant de vendre et de donner tout ce que l’on voudra, déclare tout de go qu’elle ira vivre seule à Hampstead, dans une maison qu’elle a vue et aimée du premier coup d’œil il y a trente ans. Tout en étant inquiets pour la santé mentale de la vieille dame finissante, ses enfants n’osent pas s’y opposer. Car ses motifs ne sont pas si stupides : après tout, elle s’est trop longtemps préoccupée de l’opinion des autres pour ne pas prendre enfin le temps de vivre. Elle souhaite se comporter désormais comme une égoïste.
Contre toute attente, la maison que vise Lady Slane est à louer et cette dernière s’y installe en compagnie de sa servante ; le propriétaire des lieux se révèle charmant, à l’instar de son homme à tout faire. C’est que ce propriétaire, Monsieur Buckrout, fut autrefois un implacable et respecté homme d’affaire (« plus vous êtes implacable, Lady Slane, plus on vous respecte ! »). Il sait que ni la douceur, ni la modestie, ni la gentillesse ne payent dans ce monde construit sur la compétition, tant et si bien que seuls les poètes et les personnes très âgées peuvent encore s’opposer au modèle qui gouverne le monde. Or qui peut dire si cette fameuse compétition n’est pas une simple convention plutôt qu’une réelle nécessité, une simple illusion plutôt qu’une loi naturelle ? Qui sait si un jour les hypothèses qui fondent la compétition n’apparaîtront pas délirantes ?
Du coup, en la seule compagnie de ces deux vieux messieurs et de sa servante, Lady Slane se sent bien, sans doute pour la première fois de sa vie. Pour sa part, elle n’a jamais remis en question les lois qui gouvernent le monde, les partis politiques, les conflits internationaux, l’industrie ou la naissance. Elle a toujours cru que c’était un jeu nécessaire puisque les gens qui semblaient intelligents s’en nourrissaient, mais en même temps elle avait toujours eu l’impression de vivre dans une humanité immergée dans les illusions, embarquée dans des rêves dérisoires. Elle observait avec tristesse que ses propres enfants, nourris malgré elle de cette philosophie, vivaient dans un univers stérile basé sur l’effort et la compétition. Ils ne pouvaient jamais se contenter d’être, d’être tout simplement !
C’est alors qu’elle se rappela cette nuée de papillons jaunes et blancs qui voletaient autour de la voiture dans le désert persan, dansant autour d’eux. Dansant dans la lumière, ils personnalisaient ses pensées les plus insolentes, ses rêves les plus fous.