Regardez les Grecs!
Regardez attentivement ce qui se joue sur la scène grecque, cela vous permettra de comprendre comment va tourner la mondialisation. Pour sauver les emplois et le niveau de vie de leurs citoyens qui souffrent de plus en plus des déséquilibres globaux, nombre d’États ont emprunté sans compter et se trouvent, lorsque la brise vient, fort dépourvus.
Cette cohorte d’États couverts de dettes suit attentivement le déroulement du scenario grec, dont le premier acte vient de s’achever par la prise de conscience générale de l’étendue des dégâts. En ce moment L’État grec emprunte à un taux de 7,15% par an, alors qu’il trouvait prêteur à 4,5% quatre mois plus tôt. C’est en effet une prime exorbitante qu’exigent désormais les banquiers pour combler le déficit grec.
Pendant les premières scènes du drame qui se joue à Athènes, le Ministre grec des finances, George Papaconstantinou a beaucoup souffert puisqu’il a été chargé d’interpréter le rôle ingrat de Cassandre. Dés sa prise de fonction, il y a quatre mois, il a découvert un Trésor noyé sous un monceau de dettes et d’impayés. Il s’est alors trouvé contraint de révéler au monde financier stupéfait que le déficit de l‘État grec pour l’année 2009 se monterait finalement à 12,7% du PIB de la Grèce, soit le double de ce qu’avait prétendu le gouvernement précédent ! Vous imaginez l’effroi des prêteurs et l’effondrement de la crédibilité du gouvernement, des fonctionnaires et de toute l’économie grecque…
Naturellement, dans la scène suivante, Monsieur Papaconstantinou s’est empressé de tenter de rassurer les marchés en présentant toutes sortes de plans pour ramener, dit-il, le déficit à 3% dans trois ans. Il est vrai que tout est possible en économie, mais qui le croit encore ? Les marchés ont répondu en faisant grimper la prime de risque, cette dernière exprimant une sorte de compromis entre ceux qui pensent que le gouvernement grec va se déclarer en faillite puis quitter la zone euro et ceux qui croient que cette dernière ne peut pas se permettre de laisser tomber l’un de ses membres. Mais, compte tenu de la rapide croissance de la prime, les croyants semblent de moins en moins nombreux.
Or, Monsieur Papaconstantinou n’a pas le choix, il lui faut trouver 50 milliards d’Euros en 2010, et, si tout va bien encore 30 milliards en 2011 et encore 15 milliards en 2012. Après on verra. Et s’il ne les trouve pas ? Les allemands sont bien décidés à laisser le gouvernement grec s’enfoncer, car ils pensent que l’économie grecque est incapable de supporter un Euro fort. Que l’Etat grec se déclare donc en cessation de paiement, qu’il sorte de l’Euro, bon débarras ! Cela aura l’avantage de donner une bonne leçon aux mauvais élèves de la classe Euro, ces portugais, ces irlandais, ces espagnols, ces italiens et même ces français, qui croient qu’ils sont assis sur un tas d’or garanti par les allemands. Dans une scène assez dure, Axel Weber, le Président de la Bundesbank, a été très clair, comme savent l’être les allemands lorsqu’ils pensent que leurs interlocuteurs ne les croient pas capables de faire ce qu’ils disent : « Il est impossible de justifier auprès des électeurs que l’on aide un autre pays afin que ce dernier puisse s’épargner les douloureux efforts d’adaptation que l’on a soi-même consenti ». Verstehen sie?
En regardant la pièce, on se dit que les Allemands et les Grecs nous rejouent la Cigale et la Fourmi. Il est vrai que la Grèce a largement utilisé les facilités offertes par un crédit bon marché, jusqu’à ce que la crise de 2009 ne révèle la profondeur de ses déséquilibres. Car, non seulement le gouvernement grec a usé et abusé du déficit public tout en camouflant son ampleur auprès de forts naïfs « experts » européens (on les paie pour croire ou pour contrôler ?), mais les Grecs dans leur ensemble sont des cigales assez convaincantes, puisqu’ils sont les plus faibles épargnants de la zone Euro. Les « experts » précédents ont calculé que le gouvernement grec devra obliger ses citoyens à réduire leur consommation d’au moins dix pour cent pour redresser les comptes du pays.
À Davos, Monsieur Papandreou a joué la scène de l’homme sûr de son fait. « Notre principal déficit, c’est notre crédibilité » dit-il. C’est le moins que l’on puisse dire. « Pas nos finances » ajoute t-il. Vraiment ? Puis il s’est montré rassurant : « Chaque Grec a aujourd’hui compris que cette fois il fallait changer, même si c’est douloureux ». Ce serait bien, et Monsieur Coué y croit dur comme fer, que c’est promis , que c’est juré, croix de bois, croix de fer, on ne jouera plus désormais à tromper son monde avec des comptes truqués. Derrière lui, mezzo voce, Monsieur Zapatero, pas très fier, cherchait à se rassurer: « L’euro est un club dont les membres ont des liens très forts et qui se soutiennent réciproquement ». Des liens tellement forts qu’ils sont prêts à renoncer à leur règlement pour soutenir l’un des leurs qui ne les a pas respecté ? On aimerait bien rassurer Monsieur Zapatero, mais il ferait mieux de relire attentivement les règles du club, puis se mettre d’urgence au travail sur son propre budget plutôt que de croire à la charité publique. Car ces règles, édictées justement à la demande de la Bundesbank, précisent que la BCE a interdiction d’aider un pays en difficulté financière du fait de son déficit.
D’ailleurs, si on écoute bien le doucereux Monsieur Trichet dont la fonction interdit d’avoir des états d’âme, la BCE a déjà fait son deuil de l’économie grecque. Depuis Francfort, Monsieur Trichet a en effet déclaré : « La Grèce, c’est moins de 3% du PIB de la zone Euro ». Qu’ils aillent au diable les Grecs, Monsieur Trichet s’en lave les mains !
La pièce n’est pas terminée et elle ménage bien le suspense. Quel en sera l’épilogue ?
Soit le gouvernement grec réussi à imposer des mesures drastiques de réduction de la consommation à sa population, soit il décide de dénoncer la spéculation internationale qui le contraint à quitter l’euro provisoirement. Franchement, je ne vois pas de solution intermédiaire et pour ma part, il me semble que la deuxième hypothèse est plus probable que la première, en raison de l’extrême difficulté pour un gouvernement démocratique d’imposer de lourds sacrifices à sa population sans qu’elle n’y soit contrainte de fait. Mais je me trompe peut-être, nous verrons…