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Le blog d'André Boyer

Retour de Prague

8 Novembre 2009 Publié dans #INTERLUDE

Hier soir, je suis revenu de Prague, où j’étais allé donner un cours de marketing pendant une semaine. Cela explique mon silence pendant tout ce temps car j’étais trop pris pour écrire les deux blogs par semaine que je me suis fixé. Mais j’en ai tiré quelques  leçons.

Pour commencer, Prague a une longue histoire commune avec moi. J’ai tout expliqué dans mon blog du 27 septembre dernier, intitulé « À propos de Vladimir ». Vous savez donc qu’avec Hana Machkova nous avons créé un institut, il y a bientôt 20 ans, appelé Institut Franco Tchèque de Gestion (IFTG), où j’ai longtemps enseigné. Puis mon ami Ali Idrissi m’a excellemment relayé pendant trois ans. Cette année, Hana, pour des raisons familiales, m’a demandé de revenir faire cours, et me voilà de retour. Ce qui m’a frappé, en trois ans, c’est la modernisation continue de la ville de Prague et puisque j’y ai passé une semaine entière, celle de son Université d’Économie (Vysoká škola ekonomická, VŠE en abréviation), qui rassemble environ 16000 étudiants dans cinq Facultés. L’IFTG est l’un des centres de formation de VŠE, doté de trois bureaux et d’une salle de cours, pour une trentaine d’étudiants.

VŠE est un établissement qui est de la taille de l’Université Paris Dauphine. Le modernisme et la fonctionnalité des locaux est inimaginable en France : salles de cours fermées par des cartes magnétiques, vidéo et rétroprojection dans toutes les salles de cours, climatisation, petites cuisines pour les étudiants, vestiaires et casiers à leur disposition, quatre restaurants au choix et un restaurant réservé aux enseignants, Wi-Fi permettant l’accès à Internet dans toutes les universités du pays, horaires étendus des bibliothèques, administration disponible, service d’entretien impeccable ….Bref, on croit rêver quand on a l’habitude de travailler dans des locaux qui se détériorent lentement depuis un demi-siècle, encadré par une administration habituée à freiner la moindre initiative par peur d’être débordée. 

Une fois de plus, comme chaque fois que je vais à l’étranger, mais c’est plus frappant à Prague qu’ailleurs, je suis impressionné par l’écart en notre défaveur qui s’accroît inexorablement entre notre système de formation et celui de pays que nous nous obstinons à croire en retard sur nous. L’aveuglement de nos dirigeants et enseignants, largement partagé par l’opinion, est à mon avis volontaire, car faute de nous améliorer il ne reste guère d’autre solution que de s’illusionner. « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » proclamait le 10 septembre 1939, Paul Reynaud. Huit mois après cette affirmation présomptueuse, l’armée française subissait la pire défaite de son histoire.  

Nous savons pourtant parfaitement la raison fondamentale de notre retard croissant : c’est que nous ne croyons plus, collectivement, à notre système de formation. Nous envoyons nos enfants à l’école maternelle avec confiance, à l’école primaire avec inquiétude, au collège avec angoisse, au lycée avec résignation. Puis nous faisons semblant de nous inquiéter de leur résultat au Baccalauréat alors que tous les candidats réussissent, ou peu s’en faut. Nous essayons ensuite d’éviter de les inscrire à l’université où nous savons qu’ils sont abandonnés à eux-mêmes et dont les débouchés sont incertains. S’ils poursuivent leurs études plus de deux ans au-delà du Baccalauréat, nous préférons qu’ils aillent dans des écoles d’ingénieur ou des écoles de commerce. Dans ce dernier cas, nous sommes prêts à débourser 20000 à 30000 Euros pour bénéficier de leur réseau d’anciens qui permettra à notre progéniture de trouver un travail, même si ces écoles ne dispensent quasiment pas de formation pendant les quatre années que dure leur scolarité.

Nous croyons donc qu’un carnet de chèques et la capacité de nos rejetons à fabriquer des « pompes » remplacent le travail, l’apprentissage des techniques et la réflexion scientifique. Après cela, il ne faut pas s‘étonner que personne ne veuille sérieusement investir dans nos établissements de formation qui ne sont fondamentalement que de longues garderies. Comme cette démission de toute une société vis-à-vis de son système d’éducation est récente, il reste à en mesurer les conséquences pour les prochaines décennies, dont la plus grave risque d’être le manque de confiance en soi de toute une génération.

Pour terminer par un exemple vécu, j’ai reçu pendant mon séjour à Prague le mail d’un de mes sympathiques étudiants qui s’estimait en droit de marchander la note que j’avais attribué à sa copie. Voici les principaux extraits de ce qu’il m’écrit :

« j'ai eu 13,8/20 de moyenne générale... il me manque donc 12 points sur 1200 (1%) pour avoir la mention bien. Je veux bien que la mention ne soit pas essentielle dans le monde du travail, mais j'ai fait mon max, surtout cet été pour l'avoir.

Je suis extrêmement déçu et surpris par ma note de management, (…) je pensais avoir bien plus que le 12 que j'ai eu... Je ne vous demande pas de pouvoir consulter ma copie, mais pourriez-vous y rejeter un petit coup d'oeil? j'ai vraiment bossé pour cette mention, et la rater de si peu me déçoit vraiment... »

Ainsi, puisqu’il estimait avoir travaillé, il avait droit à la mention bien, il suffisait juste que le professeur sollicité change sa note pour lui faire plaisir. Pourquoi l’en priver ?

Je me trouvais à VŠE quand j’ai reçu ce mail qui m’a fait comprendre toute la distance entre une société où l’on croit encore à l’enseignement et au savoir qu’il faut acquérir et celle où l’on pense que la mention bien est un droit.

 



La Faculté de Finance et de Comptabilité, la Faculté des Relations Internationales, la Faculté de Gestion des Entreprises, la Faculté de Statistiques et d’Informatique et la Faculté d’Économie et d’Administration Publique.

 

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