Révolution médiatique et exigence de vérité
Je vais commencer par vous livrer un scoop : le dimanche 28 novembre, j’étais à Casablanca. Ce jour-là, de mes yeux, j’ai vu défiler une énorme manifestation, rassemblant entre un million et trois millions de personnes venant de tout le Maroc.
Vous en avez entendu parler dans les medias français ? absolument pas et pour cause. C’est qu’elle est gênante pour les medias occidentaux. Ces derniers ont en effet publié une photo d'enfants palestiniens, datant de 2006 et fournie par l'agence espagnole EFE, afin de démontrer la violence subie par les populations civiles sahraouies de la part de l’armée marocaine. Plainte a été déposée pour trucage. Vous avez entendu parler de ce trucage ? Bien sûr que non.
Voilà un exemple récent pour vous montrer à quel point l’information que l’on nous distille est étroitement limitée et orientée.
Là-dessus arrive les révélations fournies par le site Wikileaks. Vous savez quelle est l’opinion que nous fait connaître le Ministre du Budget et Porte Parole du gouvernement, François Baroin ? pour lui, « une société transparente est une société totalitaire » ! Vous avez bien lu : « une société transparente est une société totalitaire »…
On peut donc en conclure avec lui qu’une société démocratique doit être opaque. François Baroin peut être au moins certain que sa phrase restera dans les mémoires pour illustrer l’insondable arrogance des hommes au pouvoir, comme celle de Georgina Dufoix se déclarant autrefois « responsable mais pas coupable », lors de l’affaire du sang contaminé. Qu’est-ce qui lui fait donc peur dans les documents diffusés par Wikileaks ? On n’y trouve aucune révélation fracassante, rien qui puisse ébranler le monde. Les petites phrases diplomatiques des uns sur les autres racontent ce que nous savions déjà. Ce qui le gêne, c’est que Wikileaks lève le rideau sur des rouages des medias, qui dosent minutieusement les informations à livrer au peuple. Les livraisons de Wikileaks impliquent une perte de contrôle, donc de pouvoir. Finies les subtiles lignes éditoriales, finies les injonctions du pouvoir politique. Des sources capables de déstabiliser le système émergent désormais, ce qui est évidemment intolérable pour les hommes au pouvoir.
Du coup, ils hurlent à l’atteinte à la démocratie, un discours qui doit être décodé. Lisez plutôt qu’ils dénoncent l’atteinte au monopole qu’ils détiennent sur l’information. Les médias en place, à qui l’on dit presque tout, ont pour fonction de fabriquer et de tempérer l’opinion (l’Euro est fort, intangible, dormez tranquille…). En échange de quoi, on les accueille dans le cénacle des puissants, on leur donne des scoops qui les confortent dans leur statut et on les subventionne.
Il est révélateur de voir que cette peur de la transparence ne les trouble pas quand il s’agit de surveiller les gens ordinaires : le fichage généralisé, la traçabilité du citoyen, la télésurveillance, rien ne les effraient. C’est alors qu’ils proclament que « ceux qui n’ont rien à cacher n’ont rien craindre ». Par contre, s’ils sont eux-mêmes auscultés, ils tempêtent contre la société totalitaire ! Curieux, non ?
Si on a le privilège de parler à ces puissants en privé, ils ne se font pas prier pour vous livrer le fond de leur pensée : « sachez bien que leur unique objectif est évidemment le bien du citoyen, qu’il s’agit de protéger d’une vérité qu’il n’est pas capable d’affronter ». Quelle vérité ? Je ne voudrais pas faire de mauvais esprit, mais il ne s’agirait pas, par hasard, de celle d’être floué par l’oligarchie à l’aide de mensonges bien gardés par la médiasphère ? En tout cas, il serait bon que vous preniez conscience que, pour les puissants, il y a deux types d’êtres humains dans la société : les êtres qui font partie de la sphère supérieure, sphère dont ils font naturellement partie ; ceux-là sont capables de comprendre l’information. Hors de cette sphère, se trouve la masse molle des zombies de la sphère inférieure qui ne peuvent ingurgiter qu’une information préalablement aseptisée par les représentants de la classe supérieure.
Ces représentants, ce sont les medias autorisés. Si vous ne comprenez pas cela, petit journaliste qui se prétend intègre, vous allez illico être éjecté du premier cercle afin que se perpétue la société irénique tempérée par la communication de masse. Pour mesurer l’efficacité du filet de protection qui entoure l’information autorisée, notez qu’aucune des dizaines de radios que vous pouvez écouter dans les grandes villes françaises ne déroge à ce principe en donnant des informations dérangeantes ou des opinions non autorisées. Si elles s'y risquaient, leur autorisation d'émettre ne serait pas renouvelée. Par exemple, il n’existe aucune station de radio qui exprime des opinions proches du Front national et lorsqu’il en existera une, ce sera le signe que ce dernier a été admis dans le cercle du pouvoir.
Alors que rien ne peut plus arrêter une révolution numérique imprégnée du tropisme de la recherche de la vérité, les sociétés qui prônent l’opacité comme garante de l’équilibre filent droit vers l’abîme. Ce qui se passe sous nos yeux, dont Wikileaks est un des révélateurs, c’est la mise en place d’un nouveau pouvoir fondé sur ce nouveau et dérangeant principe selon lequel "l’on ne peut plus rien cacher".
Ceux qui refusent cette évolution sont voués à être balayés par la révolution numérique. Par contre, ce que sera la nouvelle société transparente, je n'en sais fichtre rien! On verra…