Robespierre l'indécis, Robespierre le perdant
Nous avons quitté le 21 novembre dernier (Robespierre vaincu par le tohu-bohu), les évènements du 9 thermidor (27 juillet) 1794, alors que Louis Louchet, député de l’Aveyron, avait eu le premier le courage de demander un décret d’arrestation contre Robespierre…
Augustin Robespierre surenchérit en demandant à partager le sort de son frère tandis que Maximilien et Couthon essaient de se faire entendre, alors que leurs voix sont couvertes par les clameurs et que le président de séance met aussitôt aux voix la motion de Louchet, déclarée illico adoptée à l’unanimité, tandis que tout le monde est debout, criant « Vive la République ! », que Louchet demande l’application de la motion d’arrestation à Augustin Robespierre, Couthon et Saint-Just et que Le Bas demande à partager leur sort.
Fréron monte ensuite à la tribune pour accuser Robespierre, Saint Just et Couthon de vouloir former « un triumvirat dictatorial ». À Fréron succède Barère qui propose un décret émanant du Comité de Salut Public prévoyant l’arrestation, non seulement des deux Robespierre, de Saint-Just, de Couthon, de Le Bas mais aussi de Dumas, Hanriot, Boulanger, Lavalette, Dufresse, Daubigny et Sijas. Le décret est aussitôt mis à exécution. Les députés arrêtés sont conduits au Comité de Sûreté Générale vers 16 heures.
La réaction de la Commune de Paris ne se fait pas attendre plus d’une heure : elle convoque son Conseil Général à l’Hôtel de Ville, auquel se joignent quatre vingt personnes qui seront du coup presque toutes guillotinées, sauf cinq d’entre elles. Réunion fatale!
Sur le coup, le Conseil Général de la Commune décide de voter une « motion d’insurrection », tout en faisant sonner le tocsin pour appeler les patriotes aux armes. Le général de la Garde Nationale, Hanriot, court aux Tuileries avec ses aides de camp pour délivrer les prisonniers, mais comme ils ne sont pas assez nombreux, les gendarmes se saisissent d’eux et transfèrent pour plus de sureté vers 19 heures les prisonniers dans des prisons séparées.
La précaution s’avère insuffisante : Robespierre qui est conduit à la mairie de Paris, quai des Orfèvres, y est libéré par les insurgés de la Commune. Au coucher du soleil, le rapport des forces est désormais en faveur de Robespierre, du fait des troupes à la disposition de la Commune qui s'avérent supérieures à celles de la Convention. D’ailleurs, vers 21 heures, une forte colonne de canonniers et de gendarmes à cheval, commandée par Coffinhal, le vice-président du Tribunal Révolutionnaire, délivre Hanriot, toujours retenu au Comité de Sûreté Générale. Si Confinhal l'avait décidé, la colonne aurait pu faire prisonniers tous les députés de la Convention qui étaient en train de siéger juste à deux pas!
Mais Robespierre, trait de caractère ou fatigue, hésite. Dans un premier temps, il se refuse à diriger le soulèvement, par crainte semble t-il d’être mis hors la loi par la Convention. Cette précaution se révèle rapidement inutile, car entretemps Barère a fait décréter par la Convention la mise hors la loi de tous les députés rebelles et de tous les insurgés.
Vers 23 heures, Robespierre se décide enfin à agir; il se rend à la Commune, rejoint par Le Bas et Saint-Just qui ont également été libérés : décidément les prisons sont des passoires pour les insurgés! Il appuie la décision du Comité d’Exécution de la Commune (que de comités, que de conseils !) qui donne l’ordre d’arrêter les députés Collot, Amar, Bourdon, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Vadier, Dubarran, Fouché, Granet et Bayle. Barère est curieusement oublié, alors qu’il est un acteur important de cette journée cruciale du 27 juillet 1794.
La décision du Comité d’Exécution se révèle trop tardive, car c’était compter sans l’activité de Barras. Il a été chargé du commandement militaire de la Convention dont il a renforcé les troupes par quelques sections bourgeoises, tandis que l’insurrection piétine du fait du mécontentement bougon de la masse des sans-culottes qui n’ont toujours pas digéré la décision de bloquer les salaires dans le cadre de la loi du maximum général. Comme quoi une loi économico-fiscale peut se révéler à l'usage fatale au pouvoir!
C’est une des raisons pour lesquelles, tandis que les Jacobins délibèrent, deux à trois mille sans culottes, renforcés d’une trentaine de canons, demeurent l’arme au pied place de Grève. Sans ordres clairs, inactifs et hargneux, ils se dispersent progressivement dans la nuit, d’autant plus qu’il s’est mis à pleuvoir.
Aussi, lorsqu’à deux heures du matin, deux colonnes de la Convention, l'une conduite par Barras venant par les quais, et l'autre menée par l’adjoint de Barras, Bourdon, venant de la rue Saint-Martin, arrivent sur la place de Grève, ils la trouvent quasiment désertée.
Il ne leur reste plus qu'à pénétrer dans l’Hôtel de Ville, qui est toutefois sérieusement gardé. Mais les hommes de Bourdon sont opportunément aidés par un aide de camp d'Hanriot qui leur souffle le mot de passe. Aussi entrent-ils sans coup férir dans l’Hôtel de Ville, où ils rencontrent Le Bas qui se suicide d’une balle dans la tête dés qu’ils les voient, Augustin Robespierre qui se jette par la fenêtre sans autre dégât qu’une jambe cassée, Couthon, infirme, qui tombe (ou qui est poussé ?) dans l’escalier, sans toutefois se blesser trop sérieusement, et enfin Maximilien Robespierre qui reçoit une balle dans la mâchoire, sans que l’on sache encore aujourd’hui si c’est lui qui s’est tiré une balle de pistolet dans la bouche ou si c’est le gendarme Merda (oui, Merda) qui lui a tiré dessus.
Seul Saint-Just est fait prisonnier sans avoir été blessé.
Tous savent que c’est la fin…