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Le blog d'André Boyer

Saint-Simon pose la question du management

28 Octobre 2012 Publié dans #PHILOSOPHIE

Il n’y a guère de terme plus banal, plus galvaudé et par conséquent de plus mystérieux que celui de management. C’est qu’il contient un enjeu d’une grande importance pour la société humaine : comment obtenir des êtres humains un résultat collectif ?

 

Saint-Simon.gifC’est une question qui se pose à tous les niveaux d’organisation, au niveau de l’humanité entière, des États, des entreprises, des familles, et même des individus. Comment obtenir que les hommes ne pillent pas les matières premières ? Comment obtenir que le bien-être des personnes soit assuré par l’État ? Comment rendre une entreprise compétitive ? Comment faire pour que les familles vivent de manière harmonieuse ? Comment faire pour qu’une personne ait le sentiment de contrôler les aléas de sa vie ? 

Il y a donc peu de questions plus générales que celle du management, à ceci prés qu’elles tournent autour de l’organisation, du but et de la mobilisation des hommes.

Manager une organisation, c’est à coup sûr mobiliser, et par conséquent inspirer au groupe que l’on manage confiance dans le but visé et dans ses propres qualités, qui sont autant des qualités morales qu’intellectuelles : comment mobiliser celui qui pense que vous allez l’abandonner au moindre vent contraire ? Comment mobiliser, si celui qui manage donne l’impression de ne pas savoir où aller ?

De ce fait, le management exige des qualités rares qui font que la plupart des organisations, États comme entreprises, ne peuvent être  dirigées que par des managers incompétents. C’est ce qu’observait déjà Saint-Simon en 1819, lorsqu’il publiait la célèbre parabole suivante :

 

« Supposons que la France perde subitement ses cinquante premiers physiciens, ses cinquante premiers chimistes, ses cinquante premiers physiologistes, ses cinquante premiers banquiers, ses deux cents premiers négociants, ses six cents premiers agriculteurs, ses cinquante premiers maîtres de forges (Saint-Simon énumère aussi les dirigeants des grandes professions industrielles), comme ces hommes sont les Français les plus essentiellement producteurs, ceux qui donnent les produits les plus importants, la Nation deviendrait sans âme à l'instant où elle les perdrait. Elle tomberait immédiatement dans un état d'infériorité vis-à-vis des Nations dont elle est aujourd'hui la rivale et elle continuerait à rester subalterne à leur égard, tant qu'elle n'aurait pas réparé cette perte, tant qu'il ne lui aurait pas repoussé une tête ».

 

Saint Simon partait du principe que toutes ces personnes à la tête d’activités scientifiques et économiques étaient par définition qualifiées, ce qui n’était pas forcément exact, et que leur disparition entrainerait un affaiblissement très sensible de l’organisation de la population française. Ils les opposaient à la cohorte des managers inefficaces qu’il plaçait, pour le besoin de sa démonstration, dans les domaines politiques et administratifs :

 

« Admettons que la France conserve tous les hommes de génie qu'elle possède dans les sciences, dans les beaux-arts, dans les arts et métiers, mais qu'elle ait le malheur de perdre le même jour Monsieur, frère du Roi (le futur Charles X), Monseigneur le duc d'Angoulême (et Saint-Simon d’énumérer de manière provocante tous les membres de la famille royale) et qu'elle perde en même temps tous les grands officiers de la Couronne, tous les ministres d'Etat avec ou sans départements, tous les conseillers d'Etat, tous les maîtres des requêtes, tous les maréchaux, tous les cardinaux, archevêques, évêques, grands vicaires et chanoines, tous les juges, et, en sus de cela, les dix mille propriétaires les plus riches parmi ceux qui vivent de leurs rentes. Cet accident affligerait certainement les Français parce qu'ils sont bons, mais cette perte des trente mille individus réputés les plus importants de l'Etat ne causerait de chagrin que sous le rapport sentimental, car il n'en résulterait aucun mal politique pour l'Etat ».

 

En l’appliquant à la période actuelle, on pourrait se demander avec impertinence s’il serait moins nocif pour la France, par exemple, de perdre Bernard Arnault qui a su créer LVMH ou Arnauld Montebourg, le Ministre du Redressement Productif ?

De cette question, il subsiste que celle de la compétence des managers est toujours d’actualité, autant qu’à l’époque de Saint Simon. Car ce dernier soulève deux questions auxquelles il est difficile d'échapper: sommes-nous dirigés par des imbéciles qui nous conduisent à notre perte ? Quant à nous-même, savons nous conduire ceux dont nous avons la responsabilité avec efficacité vers un but acceptable ? 

 

Le management soulève ainsi des questions très générales qui impliquent des règles de conduite souvent bafouées, comme lorsque les dirigeants politiques prétendent manager une collectivité tout en étant populaires…  

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B
<br /> Je vous remercie de votre commentaire, que j'apprécie particulièrement puisque vous avez toute l'expérience nécessaire pour porter un jugement fondé sur la pertinence de mes propos.<br /> <br /> <br /> Nous sommes notamment d'accord, me semble t-il, sur l'importance du management en tant que problématique et sur la difficulté, généralement sous estimée, d'être un bon manager.<br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br /> AB <br />
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J
<br /> Bonjour Monsieur<br /> <br /> <br /> Votre article évoque pour moi 40 ans de vie professionnelle..merci pour sa pertinence Cela mériterait une diffusion nationale à ceux qui enseignent le management...aux élèves de 2ème cycle!<br /> <br /> <br /> Je me suis permis de le citer sur facebook avec le commentaire " managing more by doing less",  bouquin que j'ai acheté il y a déjà longtemps à l'American Management Association.<br /> <br /> <br /> très cordialement<br />
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