Un roi trop faible pour un pouvoir trop lourd
Le 27 mars dernier, avant qu’une série d’événements guerriers n’interrompe cette série historique, j’écrivais qu’il ne restait plus à Louis XIV qu’à mourir, après avoir passé sa vie à épuiser son peuple de guerres et d’impôts et à ravager l’Europe. Il laissait un régime affaibli face à un pays rétif.
Après le règne de Louis XIV, chacun en France, que ce soit le roi, son administration, son armée et le peuple ne pouvaient que chercher à retrouver des forces. La Régence fit face à une situation financière catastrophique, qui la poussa à expérimenter le système de Law, lequel système s’effondra rapidement tout en suscitant une sorte de boom économique. Louis XVcommença par gouverner avec le cardinal de Fleury qui parvint à stabiliser la monnaie et à équilibrer le budget du royaume. L'expansion économique était au cœur des préoccupations du gouvernement.
Il reste que le pouvoir centralisé était toujours le modèle dominant du pouvoir. En témoigne la construction systématique d'un réseau routier partant de Paris selon un schéma en étoile qui forme encore l'ossature actuelle des routes nationales, la répression des oppositions jansénistes et gallicanes ou l’interdiction faite au Parlement de Paris de s'occuper des affaires religieuses.
Cependant, le souci majeur du pouvoir central restait le déséquilibre budgétaire, qui finira par emporter la royauté. Apparemment le pouvoir n’était plus assez fort pour s’emparer des revenus de ses sujets afin de combler le déficit du budget de l’État, qui s’élevait à 100 millions de livres en 1745. Lorsque le contrôleur des finances, Machault d'Arnouville, créa un impôt prélevant un vingtième des revenus qui concernait aussi bien les privilégiés que les roturiers, la nouvelle taxe fut accueillie avec hostilité par le clergé et le Parlement. Finalement, le « vingtième » finit par se fondre dans une augmentation de la taille, qui ne touchait que les agriculteurs.
À la suite de cette tentative de réforme, le Parlement de Paris, s’érigeant en « défenseur naturel des lois fondamentales du royaume » contre l'arbitraire de la monarchie, adressa des remontrances au roi. Le système royal craquait. À l'intérieur du royaume, le mécontentement s'amplifiait et se manifestait. Le train de vie de la cour était critiqué. Louis XV en vint même à subir une tentative d’assassinat. L'ambassadeur d'Autriche écrivait à Vienne : « Le mécontentement public est général. Toutes les conversations tournent autour du poison et de la mort. Le long de la galerie des glaces apparaissent des affiches menaçant la vie du roi ». Affecté par cette impopularité, Louis XV décida d’abandonner toutes les tentatives de réformes et de renvoyer ses ministres les plus décriés. Il se tourna alors vers une mesure plus populaire, du moins dans les cercles parisiens, qui consistait à dissoudre l’ordre des Jésuites, attaqués par les Jansénistes et les Encyclopédistes.
Mais il ne pût en rester à des mesures destinées à satisfaire l’opinion publique éclairée, celle que l’on appellerait aujourd’hui le microcosme de la pensée unique. Il lui fallut se résoudre à rétablir l’autorité royale. Les membres du Parlement se mirent en grève à la suite de l’Affaire de Bretagne. En 1764, sur requête des états de la province, le parlement de Rennes refusa la levée de centimes additionnels ; le Conseil du roi cassa alors l’arrêt rendu par le parlement de Rennes qui répondit en se mettant en grève avant de démissionner. Le Roi accepta de céder en rétablissant le parlement de Rennes dans ces droits. C’est alors que ce dernier décida de se venger sur la personne du lieutenant de Bretagne en l’inculpant d’abus de pouvoir. Le roi ne pouvait pas accepter qu’un Parlement régional fasse le procès de son représentant, c’est-à-dire indirectement du pouvoir royal lui-même. Il intervint pour arrêter la procédure entamée par le parlement de Rennes par lettres patentes. En réponse, tous les Parlements de France se solidarisèrent avec le Parlement de Rennes pour déclarer nulles les lettres patentes royales.
Par l’entremise du chancelier Maupeou, le roi fit sommer les parlementaires de rentrer dans l’obéissance. En grande majorité, ceux-ci refusèrent. Ils furent alors déchus de leur charge, exilés, et la justice jusqu'alors administrée par des magistrats dont la charge était héréditaire devint une institution publique, avec des fonctionnaires payés par l'État. Elle l’est toujours. C’est ainsi qu’après une véritable fronde des magistrats qui toucha l’ensemble du royaume, le Roi finit par obtenir la fin de la rébellion des Parlements.
En ce qui concerne les affaires étrangères, le gouvernement de Louis XV commença par rechercher la paix à tout prix, en pratiquant une politique d'alliance avec l’Angleterre tout en se réconciliant avec l'Espagne. Louis XV intervint cependant, sans grand succès, dans la guerre de Succession de Pologne, qui permit à terme l’intégration de la Lorraine dans le royaume de France. Il joua ensuite le rôle peu risqué de médiateur, avant d’entrer en conflit avec l’Autriche, aux cotés de la Prusse, dans la guerre de Succession d’Autriche. Les troupes françaises remportèrent de grands succès militaires. Sans doute pour faire pardonner les atrocités du règne de Louis XIV, Louis XV se comporta chevaleresquement en rendant à l’Autriche les conquêtes de ses troupes, ce qui ne contribua guère à sa popularité en France. Cette impopularité ne fit que s’accroître lorsqu’un renversement d’alliance conduisit Louis XV à combattre sans succès les Anglais et les Prussiens au cours de la Guerre de Sept ans, qui se termina par la perte du Canada et de l'Inde au profit des britanniques.
Lorsque Louis XV mourut, ce fut dans l’indifférence ou l’hostilité, tant ses actes à la tête du pouvoir avaient paru illégitimes, même si cette illégitimité tenait plus à la structure de l’Etat qu’à ses actes personnels. Le dernier acte avant la révolution restait encore à jouer.
Louis XV annonçait Louis XVI : un roi trop faible pour un pouvoir trop lourd.