Un volcan, des poussières et un troupeau.
Au moment où je commence ces lignes, je me dirige en avion vers Nice en provenance de Casablanca. Ce 19 avril 2010, ce vol est un petit miracle puisque presque tous les aéroports européens sont fermés, à l’exception entre autres de celui de Nice, et encore pour quelques heures seulement.
Vous savez tous ce qui se passe. Une irruption volcanique en Islande, de lourds nuages de fumées chargés de particules se répandent à haute altitude dans l’azur européen…
Nous comprenons mieux maintenant qu’il ne faut pas énerver les Islandais, notamment en leur demandant de rembourser leurs dettes, parce qu’eux, sinon, ils n’hésitent pas à faire sauter un volcan pour nous noircir tous de cendres refroidies !
Mais cela n’explique pas tout. Il faut que nous nous concentrions sur les météorologistes. Vous savez bien qu’ils se sont réfugiés dans ce métier parce qu’ils ont raté leurs études scientifiques, un métier qui leur permet d’inquiéter les gens avec des nuées, nuées gazeuses et nuées de discours alarmistes. Ils discourent sur le temps qu’il fera demain, soit trop chaud soit trop froid, soit trop humide (attention les inondations) soit trop sec (attention la sécheresse). Les données sont suffisamment floues pour que l’on puisse les interpréter à sa guise. Vous avez déjà entendu parler d’un météorologiste licencié pour erreur de prévision ?
C’est clair, les météorologistes sont pour quelque chose dans cette affaire. Mais si nous voulons cerner la vérité de plus prés, il faut nous transporter en pensée dans les Orcades, au nord de l’Ecosse. Là-bas, à Sanday, il y a une station météorologique. Ce matin-là, le 14 avril, il fait frisquet dehors où le vent souffle à plus de 30 mph.. Au total, ils sont trois météorologistes debouts, une tasse de thé à la main. L’un deux, John a entendu parler de l’éruption du volcan Islandais. John (J’ai utilisé ce pseudonyme pour cacher sa véritable identité) est un de ces brillants météorologistes qui ont été envoyés dans les Orkneys Islands pour répeter tous les jours aux Écossais qu’il pleut et qu’il vente…
Pour faire l’intéressant, John prononce un peu par hasard la phrase qui devait se révéler fatidique : « Damned Icelanders, they have blown this damn dust from their volcano. And did they think about our planes, those louts ? » Coup de chance, un autre contrôleur, un type roux et barbu adossé dans le coin qui ne parle jamais, se réveille tout d’un coup pour raconter cette histoire ancienne d’un pilote britannique, Eric Moody, qui a eu tous ses réacteurs coupés en passant à proximité d’un volcan en Indonésie il y a une vingtaine d’années. Il avait trouvé la force de faire un trait d’humour britannique en déclarant aux passagers qu’il espérait qu’ils ne s’inquiéteraient pas trop d’apprendre que tous les réacteurs s’étaient arrêtés et que lui, le pilote, cherchait activement un endroit pour se poser, vu que les avions, sans réacteurs, ce n’est pas très confortable…
Avec retenue, tout le monde a rigolé dans la station météo secouée par le vent. C’est cette rigolade montrant que le sujet était intéressant qui a poussé John à faire un rapport à son Chef sur le volcan et toute cette maudite poussière de lave qui s’en échappait, là-haut, mille deux cent kilomètres au nord-ouest.
Tout naturellement, parce que c’est dans la nature des Chefs, celui de John a déboulé dans son bureau, l’air vaguement inquiet : « c’est sérieux cette histoire de poussière ? » le météorologue a alors pris un air important (c’est normal, c’ était très rare que le Chef s’intéresse à lui) et il a répondu, comme d’habitude : « je ne sais pas, peut-être ». Le chef, blasé, s’apprêtait à se retirer, quand John ajouta, l’air mystérieux : « ces poussières, ça peut être dangereux pour les réacteurs, je ne sais pas moi, ce serait une bonne idée, enfin je crois, de ne pas laisser traîner trop d’avions dans le ciel, s’il y a plein de fumées et de poussières. C’est ce que je pense, Chef, il me semble en tout cas » Le chef l’a regardé, l’air blasé : « vous le croyez ou vous ne le croyez pas, John? »
Ce dernier est resté un bon moment sans parler. C’est qu’il venait de réaliser que c’était la plus longue conversation qu’il avait jamais eue avec le Chef depuis qu’il était entré dans la carrière. Il commençait à comprendre qu’il tenait un sujet qui intéressait le Chef et que ce n’était pas le moment de déclarer bêtement : « Non, ne vous inquiétez pas, Chef, des poussières dans le ciel, il n’y a que ça » ou bien : « Oh moi, je disais ça pour causer ; il fait une bien jolie journée aujourd’hui, ne trouvez vous pas ? » ou encore, plus prosaïquement : « Moi, je sais pas, Chef ». Ou pire encore : « Bon, on verra bien. Attendons de voir si un de ces maudits zincs va se planter. Vous reprenez une goutte de thé, Chef ? ».
Ce qu’il devait faire, c’était prendre une mine inspirée et faire semblant de réfléchir. Puis ouvrir lentement la bouche et articuler sa phrase comme s’il pesait chacun des mots qu’il prononçait, tant la gravité de ce qu’il avait à dire s’imposait à lui. Y ajouter une pointe d’angoisse serait bienvenue pour donner plus de force à sa déclaration. Finalement, il est parvenu à prononcer une phrase du genre :
« Je sais pas, Chef, mais je pense personnellement que c’est très dangereux. On a fait une simulation avec les collègues qui montre que le nuage va petit à petit couvrir toute l’Europe et s’il entre dans les réacteurs…. » Il avait dit cela par hasard, et bien sûr, il venait juste d’inventer l’histoire de la simulation, mais le visage du Chef a immédiatement changé de couleur, il a demandé un rapport, ce qui a obligé John, pris à son propre piège, à bricoler un schéma censé provenir d’une simulation (vous pouvez la voir sur http://www.radarvirtuel.com/) et il a envoyé le tout à Londres. Aussitôt the Right Honorable, Lord Andrew Adonis, Secretary of State for Transport, a pris les choses en main et l’espace aérien britannique a été illico fermé, sine die. Ses collègues des autre pays européens, vexés d’avoir été pris de vitesse et ne voulant pas laisser à Sir Andrew Adonis toute la gloire d’une telle mesure, ont fait aussitôt de même.
Voilà pourquoi des centaines de milliers de naufragés errent de par le monde dans des aéroports déserts. Vous serez heureux d’apprendre que chaque soir depuis le 14 avril dernier, John photocopie une carte de l’Europe sur laquelle il dessine une grosse tache grise qu’il fait grandir chaque jour un peu plus. L’autre jour (il n’aime pas trop les Russes), il a décidé d’étendre la tache jusqu’à Moscou afin de mettre une belle pagaille dans le ciel russe, et ça a marché chez eux aussi. Il espère bien, avant que quelqu’un ne vienne mettre son nez dans ses soi-disant simulations, réussir à pousser la tache jusqu’au Japon, de façon à tout bloquer, partout. Ce serait grandiose.
Il faut dire que John n’a jamais aimé les avions, et moi je suis bien content qu’il ait pu réaliser son rêve, d’autant que la station météorologique de Sanday où il travaille a toujours été réputée pour être la plus ennuyeuse de toutes les Iles Britanniques, alors…
Eric Moody was in command of BA Flight 9, a Boeing 747 that was flying over Indonesia when volcanic ash put all four engines out of action. After 14 minutes of silent flight and aiming to ditch in the ocean, Mr Moody and his two fellow officers managed to relight the engines and land in Jakarta.
The incident in June 1982 was the first such encounter with high-altitude ash. "They copied what we did and published it in every pilot's manual in the world," Mr Moody said.
His announcement to the passengers after losing power has become part of airline lore. "Ladies and gentlemen, this is your captain speaking. We have a small problem. All four engines have stopped. We are doing our damnedest to get it under control. I trust you are not in too much distress."