actualite
UKRAINE: SE POSITIONNER AVANT LA NÉGOCIATION
Les événements récents relatifs à l'Ukraine, interventions des troupes de la Corée du Nord, utilisation de missiles à longue portée pour frapper la Russie, forte poussée des troupes russes dans le Donbass, montrent que les deux parties, l'Otan et la Russie, cherchent à obtenir les meilleures positions possibles dans la future négociation du début 2025.
Il est clair désormais, loin du phantasme d'une "victoire" ukrainienne, que l'avancée des troupes russes est fortement freinée par l'usage des drones qui rendent impossible toute concentration de troupes. Le front devient une confrontation de deux guérillas harcelées par les drones.
Il va donc falloir mettre un terme à cette interminable bataille qui dévore les troupes et ce sera probablement par un cessez le feu sur le front qui précèdera une longue négociation pour un futur traité de paix.
Les bases du nouvel équilibre à atteindre ne seront pas celles d'une protection de l'Ukraine dont les États-Unis ne se sont jamais préoccupés, compte tenu de leur double sabotage des accords de Minsk et de l'accord de paix de 2022, mais celui du nouvel équilibre stratégique entre les États-Unis d'une part et la Russie et ses alliés d'autre part, nouvel équilibre dont l'Ukraine et l'Europe seront les perdants.
Pour éclairer la position de Trump et de son équipe dans cette négociation à venir, voici le discours que Robert F Kennedy a prononcé le 24 aout 2024, lorsqu'il s'est rallié à Trump, un discours qui illustre la vision de la coalition républicaine qui sera au pouvoir le 20 janvier 2025:
"Je veux dire un mot sur la guerre en Ukraine.
Le complexe militaro-industriel nous a fourni une justification familière, comme ils le font pour chaque guerre, à savoir que celle-ci est un effort noble pour arrêter un super vilain, Vladimir Poutine, d'envahir l'Ukraine puis d'empêcher sa marche à la Hitler à travers l'Europe.
En réalité, la petite Ukraine est un pion dans une lutte géopolitique, initiée par les ambitions des néo-conservateurs américains pour l'hégémonie américaine.
Je n'excuse pas Poutine pour avoir envahi l’Ukraine ; il avait d'autres options. Mais la guerre est la réponse prévisible de la Russie au projet néo-con imprudent d'étendre l'OTAN pour encercler la Russie, un acte hostile. Les médias crédules expliquent rarement aux Américains que nous nous sommes unilatéralement retirés des deux traités d'armes nucléaires intermédiaires avec la Russie. Les néo-cons ont ensuite installés des systèmes de missiles prêts à l'emploi nucléaire en Roumanie et en Pologne : c'est hostile.
La Maison Blanche de Biden a refusé à deux reprises l'offre de la Russie de mettre fin à la guerre pacifiquement : la guerre en Ukraine a commencé en 2014, lorsque des agences américaines ont renversé le gouvernement démocratiquement élu en Ukraine et installé un gouvernement pro occidental qui a lancé une guerre civile meurtrière ethnique contre les Russes en Ukraine.
En 2019, l'Amérique s'est retirée d'un accord de paix, l'accord de Minsk, qui avait été négocié entre la Russie et l'Ukraine par des nations européennes. Puis en avril 2022, nous voulions la guerre : en avril 2022, le président Biden a envoyé Boris Johnson en Ukraine pour forcer le président Zelensky à déchirer un accord de paix qu'il avait signé avec les Russes, qui retiraient leurs troupes de Kiev et du Donbass, un accord qui aurait apporté la paix à la région et qui aurait permis au Donbass de rester en Ukraine.
Le président Biden a déclaré ce mois-là que son objectif dans la guerre était de changer le régime en Russie. Son secrétaire d'État à la Défense Lloyd Austin a simultanément expliqué que le but de l'Amérique dans la guerre était d'épuiser l'armée russe, de dégrader sa capacité à combattre ailleurs dans le monde.
Ces objectifs, bien sûr, n'ont rien à voir avec ce qu'ils disent aux Américains sur la protection de la souveraineté de l'Ukraine. L’Ukraine est une victime de cette guerre et c'est une victime de l'Occident et de la Russie.
Depuis la déchirure de cet accord, nous avons gaspillé la fleur de la jeunesse ukrainienne jusqu'à 600 000 jeunes ukrainiens et plus de 100 000 jeunes russes et l'infrastructure de l'Ukraine est détruite.
La guerre a été un désastre pour notre pays aussi, nous avons gaspillé près de 200 milliards de dollars déjà. Et ce sont des dollars dont nos communautés souffrantes ont cruellement besoin dans notre pays. Le pipe-line Nord Stream a été saboté. Les sanctions ont détruit la base industrielle de l'Europe qui formait le bastion de la sécurité nationale américaine : une Allemagne forte avec une industrie forte est un bien. C'est bien plus dissuasif pour la Russie qu'une Allemagne industrielle transformée en simple extension d'une base militaire américaine.
Nous avons poussé la Russie dans une alliance désastreuse avec la Chine et l'Iran, nous sommes plus près d'une guerre nucléaire que jamais depuis 1962 et les néo-cons à la Maison-Blanche ne semblent pas s'en soucier du tout. Notre autorité morale et notre économie sont en ruine et la guerre a donné naissance à l'émergence des BRICS qui menacent maintenant de remplacer le dollar comme monnaie de réserve mondiale : c'est une catastrophe de première classe pour notre pays.
À en juger par le discours belliqueux d'hier soir à Chicago, nous pouvons supposer que la présidente Harris sera une défenseuse enthousiasme de cela, et de bien d'autres aventures militaires néo-conservatrices.
Mais le président Trump dit qu'il rouvrira la négociation avec le président Poutine et qu'il mettra fin à la guerre du jour au lendemain, dès qu'il deviendra président.
Cela seul justifierait mon soutien à sa campagne."
J'espère que le contenu de ce discours vous permettra d'avoir une vue réaliste du contenu de la négociation à venir, dans laquelle les disciples européens des neo-cons n'auront guère la parole.
QU'ATTENDRE DE TRUMP?
Ces grands changements sociologiques que nous avons présentés précédemment se sont retrouvés dans les comportements électoraux du mardi 4 novembre.
La victoire républicaine s'est construite autour des électeurs blancs de la classe ouvrière à laquelle se sont ajoutés beaucoup plus d'électeurs hispaniques et noirs de la classe ouvrière qu'au cours de l'élection de 2020, en particulier les électeurs masculins de ces groupes. Pour ces derniers, la classe sociale comptait plus que la race ou l'ethnicité, car il n'y avait aucune raison particulière pour qu'un latino de la classe ouvrière soit particulièrement attiré par un libéralisme woke qui favorisait les immigrants sans papier et se concentrait sur la promotion des intérêts des femmes.
En outre ces acteurs ne se souciaient pas beaucoup de la menace que représente Trump pour l'ordre libéral, alors que Trump est un protectionniste autoproclamé qui se propose d'établir des tarifs de 10% à 20 % sur tous les biens produits à l'étranger, une mesure qu'il pourra prendre sans avoir à solliciter l'autorisation du Congrès.
Ce faisant, il reste que Trump risque de provoquer des représailles massives en matière de droits de douane de la part des autres pays, ce qui pourrait le faire reculer. Mais il ne veut pas seulement lutter contre le néolibéralisme et le libéralisme woke, il menace aussi le libéralisme classique et si certains ne prennent pas sa rhétorique au sérieux, ils commettent probablement une erreur :
En matière d'immigration, Trump ne veut plus simplement fermer la frontière, il veut aussi expulser la plus grande proportion possible des onze millions d'immigrés sans-papiers déjà présents dans le pays, ce qui représente une tâche énorme du point de vue administratif. En outre, cette action aura des effets dévastateurs sur les industries qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée, comme la construction et l'agriculture, et elle suscitera un énorme scandale moral, comme la gauche les aime, lorsque les parents expulsés seront séparés de leurs enfants citoyens américains.
En ce qui concerne l'État de Droit, Trump cherchera sans doute à se venger des injustices qui estime avoir subi de la part de ses détracteurs. À cet égard, il a juré d'utiliser le système judiciaire pour poursuivre tout le monde de Liz Cheney aux policiers et de Joe Biden à l'ancien chef d'état-major interarmées, Mac Milley et à Barack Obama. Il veut aussi faire taire les critiques des médias en leur retirant leur licence ou en leur imposant des sanctions et, pour pouvoir agir, il a chargé les républicains de recruter des juges compréhensifs.
Cependant, les changements les plus importants interviendront probablement dans la politique étrangère. L'Ukraine risque d'être de loin la plus grande perdante. Son combat contre la Russie s'est essoufflé avant même les élections et Trump peut la forcer d'accepter les conditions de la Russie, en retenant ses livraisons d'armes, comme l’a déjà fait la chambre républicaine pendant six mois l'hiver dernier.
Trump peut aussi gravement affaiblir l'alliance en ne respectant pas l'article 5 de la garantie de défense mutuelle. Les alliés et amis des États-Unis en Asie du Sud-Est ne sont guère en meilleure position que l'Ukraine. Trump a tenu des propos durs à l’égard de la Chine mais il admire aussi Xi Jinping pour ses qualités d'homme fort : il pourrait être disposé à conclure un accord avec lui sur Taïwan et ceci d'autant plus que Trump se déclare opposé par principe à l'usage de la force militaire, sauf peut-être au Moyen-Orient, où il est susceptible de soutenir sans réserve les guerres de Netanyahou contre Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.
Il y a de bonnes raisons de penser que Trump sera plus efficace dans la réalisation de ce programme qu'il ne l'a été lors de son premier mandat. Lui et les républicains se sont rendus compte qu'ils avaient été trahis par la haute administration, car lorsqu'il a été élu pour la première fois en 2016, il l'a dû s'appuyer sur les républicains de l'establishment qui ont souvent bloqué, détourné ou ralentis ses ordres.
Sa réaction à la fin de son mandat consista à émettre un décret créant un « Schedule F » destiné à priver de leur emploi les fonctionnaires fédéraux qu’il jugeait déloyaux à son endroit ou inefficaces. La résurgence du Schedule F est au cœur des plans de Trump pour son second mandat et il a fait établir des listes de potentiels fonctionnaires qui lui seraient personnellement loyaux, ce qui laisse penser qu’il semble capable cette fois de mettre ses plans à exécution.
Au cours de la campagne électorale, Kamala Harris a accusé à tort Trump d'être un fasciste, car il n'a pas l'intention d'instaurer un régime totalitaire aux États-Unis, mais plutôt d'organiser un déclin progressif des institutions libérales, sur le modèle du retour au pouvoir de Victor Orban en 2010.
Ce déclin a déjà commencé car Trump a contribué à accroître l'importante polarisation de la société américaine : il a fait passer les États-Unis d'une société de confiance à une société de défiance, il a diabolisé le gouvernement et affaiblit la croyance que ce dernier représente les intérêts collectifs des Américains, il a pratiqué une rhétorique politique grossière, il a enfin convaincu une majorité de républicains que son prédécesseur était un président illégitime qui lui a volé l'élection en 2020.
L'ampleur de la victoire républicaine qui s'étend de la Présidence des États-Unis, au Sénat et à la Chambre des Représentants est interprétée comme un mandat politique fort, confirmant les idées de Trump et l'autorisant à agir comme il l’entend.
Il reste aux Européens, comme aux autres parties du monde, à accepter ce prochain état de fait, à s’y s'adapter et à tenter d'en tirer avantage.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
MAIS POURQUOI TRUMP?*
La victoire écrasante de Donald Trump et du parti républicain mardi 5 novembre va entraîner des changements majeurs, car elle signifie un rejet décisif par les électeurs américains du libéralisme et de la manière particulière dont la conception d’une « société libérale » a évolué depuis les années 1980.
Lorsque Trump a été élu pour la première fois en 2016, il était facile de croire que cet événement était une aberration. Trump se présentait face à un adversaire faible qui ne le prenait pas au sérieux et, de toute façon, Trump n'avait pas remporté le vote populaire. Lorsque Biden a remporté la Maison Blanche quatre ans plus tard, tout semblait être revenu à la normale après un funeste mais unique mandat présidentiel.
Après le vote de mardi, il semble désormais que ce soit la présidence Biden qui constitue l’anomalie, tandis que Trump inaugure une nouvelle ère dans la politique américaine, une nouvelle ère qui concerne le monde entier.
Car les Américains ont voté en sachant parfaitement qui était Trump et ce qu'il représentait.
Le sachant, ils lui ont permis non seulement de remporter une majorité de voix, mais il a en outre remporté tous les États clés, la majorité du Sénat et il a conservé la Chambre des représentants. Étant donné leur domination actuelle sur la Cour suprême, les Républicains détiennent désormais les principaux moyens du gouvernement.
La nature profonde de cette nouvelle étape de l’histoire américaine semble liée à l’évolution du libéralisme. Sa version classique se présente comme une doctrine fondée sur le respect de l’égale dignité des individus par un État qui protège leurs droits et par des contrôles constitutionnels visant l’État à ne pas empiéter sur ces droits.
Mais au cours des cinquante dernières années, cette impulsion fondamentale a subi deux grandes distorsions. La première a été la montée du néolibéralisme, une doctrine économique qui sanctifiait les marchés et réduisait la capacité des gouvernements à protéger les citoyens touchés par le changement économique. Cette dernière a entrainé un enrichissement mondial, mais la classe ouvrière en Occident a perdu des emplois et la possibilité d’un ascenseur social, tandis que le pouvoir se déplaçait de ces pays occidentaux vers le Sud global.
La seconde distorsion a été la montée des politiques identitaires ou de ce que l’on pourrait appeler le « libéralisme woke », dans lequel l’intérêt progressiste pour la classe ouvrière a été remplacé par des protections ciblées pour un ensemble de groupes marginalisés : minorités raciales, immigrants, minorités sexuelles. Le pouvoir de l’État a été de plus en plus utilisé non pas au service d’une justice impartiale, mais pour promouvoir des résultats sociaux spécifiques pour ces groupes.
Entre-temps, les marchés du travail se transformaient en une économie de l'information. Dans un monde où la plupart des travailleurs étaient assis devant un écran d'ordinateur plutôt que de soulever des objets lourds sur les sols des usines, les femmes se trouvaient sur un pied d'égalité. Cela a transformé le pouvoir au sein des ménages et a conduit à la perception d'une célébration de la réussite féminine.
L’émergence de ces nouvelles conceptions du libéralisme a entraîné un changement majeur dans la base sociale du pouvoir politique. La classe ouvrière a compris que les partis politiques de gauche ne défendaient plus ses intérêts et s’est mis à voter pour les partis de droite.
C’est ainsi qu’aux États-Unis les démocrates ont perdu le contact avec leur base ouvrière et sont devenus un parti dominé par des cols blancs urbains et instruits, tandis que les ouvriers votaient républicain et qu’en Europe les électeurs communistes français et italien faisaient défection au profit de Marine Le Pen et de Giorgia Meloni.
Tous ces groupes étaient mécontents d’un système de libre-échange qui éliminait leurs moyens de subsistance tout en créant une nouvelle classe de super-riches, et étaient également mécontents des partis progressistes qui semblaient se soucier davantage des minorités et de l’environnement que de leurs conditions de vie qui se détérioraient.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
À SUIVRE
DONALD TRUMP A GAGNÉ
C’est une victoire extraordinaire : second Président US à être réélu après avoir été battu à l’issue de son premier mandat, il a obtenu également la majorité au Congrès et peut-être, à l’heure où j’écris, la majorité à la Chambre des Représentants, tout en recueillant la majorité des voix sur l’ensemble du territoire américain.
Bien. Mais ce n’est pas dans ce billet écrit le jour de sa réélection que je proposerai des explications sur les raisons de sa réussite. Cependant, il faut d’ores et déjà noter qu’il s’agissait plus d’un referendum pour ou contre D. Trump que d’un vote qui le départageait de la candidate Kamala Harris, tant, malgré une campagne acharnée sur le terrain, elle a été inexistante dans les médias : en effet, ils évoquaient principalement les qualités et surtout les défauts de Donald Trump et fort peu ceux de Kamala Harris. À la décharge de cette dernière, il est vrai qu'elle n’a fait sa campagne que très tard et en simple remplaçante d’un Joe Biden défaillant.
Même sans connaitre en profondeur les États-Unis, on pouvait prévoir la réélection de Donald Trump à quelques signes visibles, l’attentat auquel il a échappé miraculeusement, la défection du Washington Post, le soutien de Robert F. Kennedy puis d’Elon Musk qui ne s’y seraient pas risqués s’ils n’avaient pas eu la conviction qu’il avait de fortes chances de gagner
Pour ma part, j’avais annoncé à l’avance la victoire de Trump en 2016, mais je n'ai pas persévéré cette fois, n’ayant pas d’arguments assez solides pour m’y avancer.
Pour notre gouverne, je souhaite insister ici sur le rôle dangereux des médias mainstream, en France, en Europe et au Canada. Ils ont mené presque tous une campagne acharnée contre D. Trump et de ce fait ils nous ont fait croire que leurs opinions étaient celle d’une bonne partie des électeurs américains. C’est au point que 65% des Français interrogés déclaraient soutenir K Harris contre 14% qui étaient en faveur de D. Trump. Cette campagne médiatique anti-Trump nous a conduit dans le mur, car nous voici désormais en face d’un président que nous sommes supposés détester et d’un pays, le premier du monde, que nous ne comprenons pas.
Aujourd’hui, ces mêmes médias insistent sur le danger qui nous menacent du fait de sa politique à venir, de sorte que, après nous avoir « mené en bateau », ils veillent à nous faire peur.
À quoi bon ? Puisque D. Trump a déclaré urbi et orbi qu'il mènera une politique favorable, selon son point de vue, aux États-Unis et qu'il ne prêtera qu’une attention distraite à nos craintes et humeurs, sauf si nous pouvons lui opposer un rapport de force favorable.
Or, nous le savons, ce n’est nullement le cas et les appels à faire front en nous appuyant sur une UE rassemblée sont aussi irréalistes que les analyses proposées par les médias sur l’élection qui vient d’avoir lieu.
Par conséquent, s’il faut tirer une leçon de l’élection de D. Trump à la présidence des États-Unis, en dehors d’un couplet sur le mode « rien n’est jamais perdu », elle ne doit pas concerner les États-Unis mais nous-même.
Nous sommes dans une mauvaise passe en Europe et particulièrement en France. Notre économie ne permet plus, depuis longtemps, d’équilibrer nos échanges extérieurs. En outre, le déficit de l’État a tendance à devenir vertigineux et nos partenaires sont de moins en moins disposés à nous prêter gratuitement des sommes toujours plus élevées. Enfin, signe de notre perte de contrôle sur le « système » France, nos faiblesses dans l’éducation, la sécurité publique et désormais la santé s'approfondissent.
C'est pourquoi, alors que D. Trump s’apprête à mettre en place sa politique, bonne ou mauvaise pour les États-Unis, la question qui nous est posée consiste à déterminer quelle est la notre pour reprendre la main ?
Tant que nous ne le ferons pas, nous n’aurons à observer qu’une chute accélérée de notre niveau de vie et un affaissement de notre style de vie, tandis que les médias se chargeront de nous amuser en désignant à notre vindicte les responsables supposés de nos malheurs, qui sont américains, russes, chinois et étrangers de tout poil, pour nous permettre à nous qui les écoutons de nous dispenser de l'inconfort de l'action…
RWANDA
À priori, nous avons tous quelques idées sur le Rwanda, un pays autrefois colonisé par la Belgique, qui a connu un génocide dont la France semble n’être pas tout à fait innocente et qui est dirigé par Paul Kagame, ce dernier, officiellement pour la raison précédente, ne se présentant pas vraiment comme un ami de la France.
Essayons donc de remettre ces idées reçues en ordre :
Depuis la capitale du Rwanda, Kagali, Paul Kagamé règne, c’est le moins que l’on puisse écrire, sur ce pays, dit « des mille collines » depuis le 24 mars 2000, qui le réélit sans aucune difficulté depuis.
Un petit pays au demeurant, 26338 km2, un peu plus petit que la Belgique, peuplé de 13 millions d’habitants (2021), et dont la population va continuer à croitre de 2,5 % par an, grâce à un indice de fécondité de 4,2 enfants par femme (2015).
C’est un pays dépourvu de ressources minières et énergétiques, enclavé puisqu’entouré de quatre pays, l’Ouganda au nord, le Burundi au sud, la Tanzanie à l’est et, pour le malheur de cette dernière, par la République du Congo à l’ouest.
Trois ethnies, les Hutus, les Tutsis et les Twa composent sa population, je n’ose écrire cohabitent. Elles usent de la même langue, le kinyarwanda, mais le pays s’autorise trois autres langues officielles, dans l’ordre l’anglais, le français et le swahili. La pénurie foncière et le manque de perspectives de développement ont provoqué de fortes tensions sociales et politiques qui préexistaient à la colonisation et qui ont culminées avec le génocide de 1994.
Prenons aussi conscience, du point de vue géographique, qu’il s’agit d’un pays de hautes terres bien arrosées, composé de trois parties bien distinctes, un fossé d’effondrement occupé par le lac Kivu à 1460 mètres d’altitude et prolongé par une petite plaine, la seule partie du Rwanda située à moins de 1000 mètres d’altitude, un grand escarpement qui domine le lac Kivu de plus de 1000 mètres et son versant oriental qui décroit de 2000 à 1200 mètres. Au sud se dresse la chaine des Virunga, un ensemble volcanique spectaculaire, avec le volcan Karisimbi situé à 4507 mètres (le Mont Blanc 4805 mètres) et partout, d’innombrables collines…
Le Rwanda est un pays densément peuplé, avec une croissance démographique encore forte, mais qui se ralentit comme partout dans le monde (cf. mes billets sur la démographie). Le génocide, même s’il n’a été qu’une parenthèse dans la dynamique démographique du pays, a eu des conséquences extrêmes : entre cinq cent mille et un million de morts, de gigantesques déplacements de populations et des traumatismes familiaux sans précédents.
Malgré ces évènements dramatiques, le processus de densification de l’espace, entamé après 1945, se poursuit, atteignant aujourd’hui plus de 400 habitants au km2 et faisant du Rwanda le pays africain le plus densément peuplé.
Sur cet espace, on trouve un habitat dispersé avec des rugo, enclos familiaux entourés des parcelles cultivées, qui a récemment évolué vers des regroupements autour des marchés, des paroisses, des équipements de santé et administratifs encouragés par une politique de villages. Une nouvelle donne urbaine émerge autour de la capitale, Kigali et son million d’habitants, qui devrait provoquer de grandes mutations, ne serait-ce qu’en raison des faibles perspectives de progrès dans des campagnes aux effectifs humains pléthoriques (cf. mes billets sur la révolution agricole en cours).
Aujourd’hui, le Rwanda reste un pays essentiellement rural, avec une trame foncière composée de micro-exploitations, souvent d’un hectare, qui pratiquent une polyculture complétée par un peu d’élevage autour de la bananeraie familiale.
La banane joue en effet un rôle central dans ces exploitations familiales : elle fournit la « bière de banane » une boisson vendue, offerte et partagée qui cimente les relations sociales. La banane contribue aussi, bien sûr, à l’alimentation des hommes et des animaux, à la fourniture de matériaux pour les toits et les clôtures et à la fumure des champs. À la bananeraie s’ajoute l’assolement saisonnier haricot-sorgho complété par des plantations diverses.
L’opinion publique occidentale a appris à différencier les Hutus cultivateurs et les Tutsi éleveurs, qui ne sont pourtant pas des ethnies au sens habituel du terme, car tous parlent la même langue, le kinyarwanda, partagent de nombreuses valeurs culturelles et cohabitent depuis longtemps. Cette différenciation entre les cultivateurs hutus et les éleveurs tutsis plonge ses racines dans une période ancienne au cours de laquelle les détenteurs de bétail furent en situation de pouvoir.
Mais il s’agit aujourd'hui d’une instrumentalisation politique, car la séparation entre les agriculteurs et les éleveurs est devenue depuis longtemps caduque.
À SUIVRE
L'HIVER DÉMOGRAPHIQUE QUI S'ANNONCE
C'est à peine si l'on se commence à réaliser que l'explosion démographique ne montera pas jusqu’à dix ou douze milliards d’êtres humains en 2100, alors que la crise démographique est déjà présente parmi nous.
Il est donc plus que temps de s'inquiéter des conséquences de la baisse du taux de natalité. Je sais, il y a des raisons de s'inquiéter à court terme, le déficit du budget de l'État, la baisse de productivité européenne ou la guerre d'Ukraine.
Mais, au même titre que les conséquences écologiques de notre style de vie, la baisse du taux de fécondité a des conséquences bien plus lourdes, bien plus universelles et bien plus profondes que ces crises conjoncturelles. L'année 2023 marque, à ce titre, un tournant dans l'histoire de l'humanité, car c'est l'année où, pour la première fois, les humains n'ont pas fait assez de bébés pour assurer la survie de la population.
Pourtant, selon les projections de la population mondiale effectuées par les Nations unies, l'indice synthétique de fécondité était encore de 2,25 en 2023, soit un peu plus que le taux de remplacement théorique de 2,1. Mais les Nations unies ont surestimé cet indice, en raison de l'absence de statistiques dans de nombreux pays et de leur sous-estimation du taux de fécondité de remplacement.
Lorsque l’on a pu recueillir des pays statistiques fiables comme en Colombie, le nombre de naissances en 2023 était inférieur de 10 à 20 % aux estimations de l'ONU. En outre, le taux de fécondité de remplacement de 2,1, réaliste en Europe, ne s’applique pas à l'ensemble du monde, car dans de nombreux pays en développement le pourcentage de femmes qui survivent jusqu'à l'âge de la procréation est inférieur à celui des pays développés.
Un niveau de fécondité insuffisant pour renouveler la population mondiale ne signifie cependant pas qu’elle est déjà en train de diminuer, car elle est pour le moment compensée par l’accroissement de la longévité.
Si la tendance actuelle se poursuit, la population humaine devrait atteindre son maximum dans une trentaine d'années, avant de commencer à chuter.
Il faut noter que la baisse de la fécondité n’est pas limitée aux pays développés, car elle s’est produite partout et à un rythme plus rapide que prévu par les statistiques de l’ONU.
La Corée du Sud est le cas le plus extrême, avec un taux de fécondité de 0,72 en 2023 alors qu'il était encore en 2015 de 1,24, et il n'y a aucun signe de ralentissement de ce déclin. La même tendance est observée dans toute l'Asie, en Chine, au Viêt Nam, à Taïwan, en Thaïlande, aux Philippines et au Japon.
Cette tendance n'est pas propre à l'Asie. En Turquie, le taux de fécondité est passé de 3,11 en 1990 à 1,51 en 2023. Au Royaume-Uni, le taux de fécondité était de 1,83 en 1990 et il n’était plus que de 1,49 en 2022. La situation en Amérique latine est également frappante : le Chili et la Colombie avaient des taux de 1,2 l'année dernière, l'Argentine et le Brésil étaient à 1,44 alors que tous ces pays avaient des taux de fécondité élevés il y a trente ans.
Une liste non exhaustive de pays où le taux est inférieur au taux de remplacement diminue rapidement comprend l'Inde, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Bangladesh, l'Iran et toute l'Europe. Nous en savons moins sur l'Afrique en raison de la mauvaise qualité des données, mais celles qui sont disponibles suggèrent toutefois qu'elle connaît un déclin rapide : là où nous disposons d'informations plus fiables, l'Égypte, la Tunisie ou le Kenya, les taux de fécondité s'effondrent à un rythme sans précédent.
La prise de conscience de la baisse du taux de fécondité soulève généralement quatre questions :
1 La baisse de la population ne sera-t-elle pas bénéfique pour l'environnement ? Sur le plan quantitatif sans doute, mais le risque réside dans la faible priorité à l’environnement accordée par une population confrontée à de graves problèmes budgétaires dus au vieillissement de la population.
2 L'immigration peut-elle résoudre le problème démographique ? C’est oublier que la baisse de la fécondité concerne toute la planète. Chaque Argentin qui s'installe en Espagne atténue les problèmes démographiques de l'Espagne mais aggrave ceux de l'Argentine. Par ailleurs, pour maintenir une population constante dans un pays comme la Corée du Sud, il faudrait que, d'ici 2080, 80 % des personnes vivant dans ce pays soient des immigrants, ce qui parait irréaliste.
3 L'IA ne permettra-t-elle pas de pallier à l'effondrement de la population en faisant tout le travail à notre place ? C’est envisageable mais complexe, tant il est parait plus facile, à priori, d'apprendre à une machine à lire des états financiers qu'à vider des bassins de lit dans un Ehpad.
4 Les politiques publiques ne peuvent-elles pas permettre d'accroitre à nouveau la fécondité ? De la France à la Corée du Sud en passant par Singapour et la Suède, des politiques d’aide financière ou de congés parentaux ont été mises en place, avec un succès limité dans le temps. Le facteur purement pratique qui explique la baisse des taux de fécondité semble être le coût du logement. À Mexico ou à Séoul, les taux de fécondité très bas sont probablement davantage dus aux prix élevés de l'immobilier qu'à toute autre variable et l'État ne peut pas y faire grand-chose.
Finalement élever un enfant est un engagement profond et à long terme, alors que nos structures sociétales sont devenues profondément hostiles aux familles nombreuses et que les normes sociales ont évolué. Du coup, élever des enfants n'est plus une priorité pour beaucoup.
Par conséquent, tant que nous ne parviendrons pas à inverser la tendance à la baisse des taux de fécondité, préparons-nous à affronter un hiver démographique qui s'annonce bien plus rude qu'on ne veut bien l'admettre aujourd’hui…
Librement adapté d'un article de Jesús Fernández Villaverde, professeur d’Économie à University of Pennsylvania, Philadelphie.
VERS L'INDÉPENDANCE DE LA NOUVELLE CALÉDONIE ?
Le territoire néo calédonien est marqué par les différences entre kanaks, caldoches et les nouveaux arrivants, qu’ils proviennent d’Europe, de Wallis et Futuna ou d’Asie. Ces différences fragilisent le pays, qui a d’autant plus de difficultés à s’adapter aux crises qui l’atteignent.
La plus importante de ces crises concerne le revenu issu de l’extraction du nickel. La Nouvelle-Calédonie détient le douzième des réserves mondiales de nickel, ce qui la fait vivre au rythme des oscillations des cours mondiaux : que le prix monte et les usines tournent, le chômage baisse, l’espoir renait. Qu’il baisse et une sorte de dépression, économique et psychique, s’abat sur l’ile, accentuant les effets matériels de l’extension de la pauvreté.
L’offre néocalédonienne est en partie détenue par les Kanaks, une autre partie revenant aux caldoches, les deux ayant dû s’adjoindre des partenaires étrangers, l’apport financier français se révélant insuffisant.
Cette offre est constituée par l’usine de Koniambo dans le nord de l’ile, dont le capital est détenu à 51 % par la SMSP qui appartient aux Kanaks et à 49 % par le groupe anglo-suisse Glencore, ainsi que l’usine hydro métallurgique de Goro, détenue à 95 % par Prony Resources qui produit du nickel et du cobalt, avec pour principal client Tesla.
Il faut y ajouter la plus que centenaire usine pyrométallurgique de Doniambo (Nouméa) qui appartient à la SLN, dont 56 % du capital est entre les mains du groupe français Eramet.
Avec la moitié de la production métallurgique achetée, la Chine est le principal client pour le nickel métal et le deuxième pour le minerai. La SMSP s’est associée à l’aciériste sud-coréen Posco pour construire une usine en Corée du Sud utilisant le minerai néo-calédonien qui a été ouverte en 2008 et dont elle détient 51 % du capital.
Cette industrialisation de la Nouvelle Calédonie a fait évoluer l’économie néo-calédonienne, qui était surtout financée par les transferts publics, vers les revenus issus de la rente assise sur l’extraction du nickel. Mais cette substitution de revenus l’a rendue sensible à la concurrence internationale.
Or le coût de la vie très élevé en Nouvelle Calédonie dû, entre autres, aux sur rémunérations dont bénéficient les fonctionnaires et nombre d’employés des secteurs protégés, comme les banques et les monopoles de distribution tels que l’eau, l’électricité, le téléphone ou Internet.
Aussi la baisse des prix du nickel ne bénéficie pas à la Nouvelle Calédonie. Déjà menacé en 2013 du fait du prix de marché, l’ensemble des usines de production de nickel ont du fermer leurs portes à partir du printemps 2024, soit du fait du manque de rentabilité comme l’usine de Koniambo, soit du fait des manifestations.
En effet, dans ce contexte déprimé, la proposition de loi visant à élargir le corps électoral, proposition aujourd’hui suspendue, a mis le feu aux poudres dans un contexte économique anxiogène et avec un corps socio-ethnique profondément divisé.
Si l’on peut comprendre que la République Française cherchât à conserver la Nouvelle Calédonie en son sein, pour les capacités d’action qui en découlent dans la zone indopacifique, tout en disposant d’un certain contrôle sur le nickel et sur la zone économique exclusive, il parait curieux que l’action de l’État ait ignoré les craintes de marginalisation ressentie par les Kanaks.
Ces craintes ont engendré un mouvement de révolte par rapport à ce qui est apparu, du point de vue Kanak, comme une provocation alors que la crise du nickel, avec la fermeture de l’usine Glencore en février 2024, provoquait déjà une montée des tensions socio ethniques.
Désormais la crise du nickel conjuguée avec les émeutes du printemps 2024, qui perdurent partiellement, se traduisent à court terme par une dépression économique et à long terme par une forte incertitude relative à l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie.
En effet, pour le court terme, le 21 aout 2024, le journal LES ECHOS titrait sur une « Nouvelle-Calédonie au bord de l'effondrement économique », du fait que mille deux cent entreprises avaient été pillées ou incendiées pendant les émeutes, que certaines routes restaient coupées et que les aides financières arrivaient lentement.
Huit jours plus tard, le 28 aout 2024, le Congrès de Nouvelle Calédonie a adopté à une large majorité une résolution demandant un soutien massif de l’État de 500 milliards de francs Pacifique, soit environ 4,2 milliards d’euros, pour reconstruire l’archipel après les émeutes qui ont ravagé son tissu économique. Ce plan viserait à « assurer le sauvetage du pays dans un premier temps, et, dans un second temps, d’engager sa reconstruction ».
Il faut noter que l’aide demandée à Paris ne représente pas loin de la moitié du PIB de la Nouvelle-Calédonie, qui atteignait en 2022 1.092 milliards de francs Pacifique, soit 9,1 milliards d’euros et il est probable que la Nouvelle Calédonie ne recevra qu’une aide plus modeste, compte tenu des contraintes budgétaires du budget de l’État pour 2025 et pour les années suivantes.
On peut en déduire que si une remontée significative du prix du nickel ne se produit pas dans les prochaines années, on peut s’attendre à une paupérisation de la Nouvelle Calédonie qui engendrera le départ pour la France d’une partie de sa population, en particulier d’origine européenne.
Il faudra alors constater que les émeutes du printemps 2024 auront contribué à renverser l’équilibre démographique en faveur des Kanaks et à contraindre la Nouvelle Calédonie à rechercher des appuis économiques en dehors de la France, les deux facteurs entrainant à terme l’éloignement politique et institutionnel de la Nouvelle Calédonie par rapport à la République française.
Jusqu’à son indépendance ?
FIN
UN DESTIN COMMUN EN NOUVELLE CALÉDONIE ?
Le statut issu des accords de Matignon devait aboutir à l’organisation d’un scrutin d’autodétermination en 1998. Mais les deux camps convinrent de rechercher une solution qui éviterait de nouveaux affrontements.
La vente par Jacques Lafleur de la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) aux indépendantistes de la province Nord fut capitale pour la suite des évènements, car les discussions achoppaient sur ce qu’on a appelé le « préalable minier », c’est-à-dire la nécessité pour la SMSP de détenir des gisements suffisamment importants pour construire une usine métallurgique en province Nord permettant un rééquilibrage économique entre les régions.
Par l’accord de Bercy, la SMSP obtint le massif minier du Koniambo en échange du massif de Poum* qui revint à la SLN. La voie était désormais libre pour l’accord de Nouméa, conclu entre le RPCR et le FLNKS, signé par le Premier ministre Lionel Jospin le 5 mai 1998 et approuvé par référendum le 8 novembre 1998.
La Nouvelle-Calédonie devint une collectivité sui generis, au sein de la République Française, en faisant l’objet d’un titre spécial qui constitutionnalise les orientations définies par l’accord de Nouméa, reposant sur des dispositions largement dérogatoires, avec notamment la création des « lois du pays » ou la mise en place d’une « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie » reposant sur l’exigence d’une durée de résidence. L'accord engageait la Nouvelle-Calédonie, qui, rappelons-le, est inscrite sur la liste des territoires à décoloniser établie par les Nations unies, sur le chemin de l’autonomie et de l’autodétermination par des transferts de compétences déclarés irréversibles.
Il repoussait de vingt ans, à échéance de 2018, le choix de son accession ou pas au rang d’État souverain, avec l’organisation d’un à trois referendums. Pour donner du temps aux indépendantistes, il était prévu qu’en cas de rejet de l’indépendance au premier referendum, ces derniers pourraient demander d’en organiser un deuxième, voire un troisième au plus tard en novembre 2022, si le résultat du deuxième était toujours négatif.
L’inscription sur la liste électorale spéciale pour cette consultation (LESC) était restrictive pour les non-natifs de Nouvelle-Calédonie, qui devaient justifier de leur arrivée avant le 31 décembre 1994 et de vingt ans de domicile continu, ou avoir été admis à la consultation du 8 novembre 1998. Une telle limitation du corps électoral reposait constitutionnellement sur le fait que ne devaient être consultées que les « populations intéressées ».
Les résultats des referenda ont été les suivants :
- le 4 novembre 2018, 56,7 % des votants ont répondu « non » à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souverainetéś et devienne indépendante ? » avec 81 % de votants parmi les électeurs inscrits sur la liste électorale.
- le 4 octobre 2020, le taux de participation avait augmenté́ de 4,6 % par rapport au referendum précédent et ils n’étaient plus que 53,3 % à refuser l’indépendance.
- Mais le 12 décembre 2022, lors du dernier referendum organisé, la participation s’effondrait à 43,9 % des inscrits, les partis indépendantistes ayant appelé́ au boycottage du scrutin après le refus gouvernemental de le reporter malgré la situation sanitaire générée par le COVID. Du coup, son résultat, 96,5 % des voix en faveur du maintien dans la République, fut non significatif.
Ainsi le fossé politique se creusait entre les indépendantistes et les non-indépendantistes. Or, que ce soit dans le cadre français ou d'un pays indépendant, le projet d'un « destin commun » se heurte à la persistance de fortes inégalités entre les communautés : en ce qui concerne les différences de niveau de vie en Nouvelle Calédonie, celui des 10% les plus aisés est sept fois plus élevé́ que celui des 10 % les plus modestes, alors que ce ratio est de 3,5 en France hexagonale.
En matière de formation, seuls 4 % des Kanaks avaient un diplôme universitaire pour 26 % des non-Kanaks en 2014. Aussi la part des ouvriers dans la population active occupée dépasse le tiers chez les Kanaks contre un dixième chez les Européens.
En matière sociale, alors que 40% des Kanaks vivent dans l’agglomération de Nouméa, cette urbanisation est un facteur déstabilisant pour la jeunesse kanak qui n’est plus encadrée par le clan. Aussi, la très grande majorité́ des détenus est constituée par les Kanaks et les responsables et les victimes des accidents de la route en Nouvelle Calédonie sont massivement kanaks.
Dans le domaine du foncier, un dualisme, né de la période coloniale, oppose une agriculture commerciale très majoritairement d’origine européenne et une agriculture en tribus, essentiellement vivrière ou destinée à la vente de proximité́, avec l'igname qui est au cœur de la culture kanak. Ces terres collectives kanaks, qui représentent 19% de la superficie de l'archipel, sont d'ailleurs régies par le « principe des quatre i », à savoir inaliénables, insaisissables, incommutables et incessibles.
Au plan juridique, si les tribus regroupaient en 2014 plus de la moitié des Kanaks, il faut ajouter que la très grande majorité́ des Kanaks relève d'un statut, consacré par l'article 75 de la Constitution, qui leur permet d’être régis par la coutume dans les domaines de l’état civil, la filiation, le mariage, la propriété́ et les successions, le tout relevant du Senat coutumier issu de l'accord de Nouméa.
Ce monde néo-calédonien, qui ne peut être que profondément marqué par les différences, semble réagir aux crises qui l'atteignent en les accentuant encore...
*Ce qui n'a pas porté chance à l'exploitation minière de Poum, à l'extrême nord de la grande ile. L’entreprise sous-traitante de la Société Le Nickel (SLN), la Somarep a été liquidée le 11 juillet 2023 en raison d’une forte dette engendrée, semble-t-il, par une gestion calamiteuse liée à de graves soupçons de détournements de fonds.
À SUIVRE
VERS L'AUTONOMIE DE LA NOUVELLE CALÉDONIE
Concernant la Nouvelle Calédonie, le gouvernement français est revenu sur l'essentiel des lois cadres, s’engageant dans un processus de refus de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, à rebours de ce qui avait été octroyé à l’Algérie, à l’ensemble des colonies africaines de la France et à Madagascar.
Ainsi, en 1963, le Conseil de gouvernement est placé sous l'autorité du gouverneur et en 1968, la loi Billotte retire à l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie l'essentiel de ses pouvoirs. De plus, obsédé par le risque d’une majorité canaque qui demanderait l’indépendance, le retour à la croissance de la population kanake à partir de 1945 pousse l’État à encourager l'émigration vers l'île, en particulier en provenance des îles Wallis-et-Futuna.
Cette immigration est facilitée par le boum du nickel qui permet d’offrir des travaux dans la mine et dans les travaux publics. Entre 1969 et 1976, la population de l'île s'accroît de plus de 20 % avec près de 20 000 nouveaux immigrants. Les Kanaks restent plus nombreux que les Européens, avec 55 000 Mélanésiens contre 50 000 « blancs » en 1976, mais ils ne sont pas majoritaires du fait des communautés asiatiques et polynésiennes qui rassemblent 26000 personnes.
La séparation des systèmes scolaires a empêché les Kanaks d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur, si bien qu’il faudra attendre 1962 pour voir le premier Kanak obtenir le baccalauréat. L’accès à l’enseignement supérieur encourage les communautés kanaks à critiquer l’ordre établi à partir de 1969, avec notamment le mouvement des Foulards rouges de Nidoish Naisseline, qui est l’un des tout premiers Kanaks bacheliers poursuivant ses études à Paris et qui est très marqué par les événements de Mai 1968.
En 1975, le premier festival des arts mélanésiens, Mélanésia 2000, organisé par Jean-Marie Tjibaou, militant associatif, marque le début de la reconnaissance culturelle kanak. Puis en 1977, lors du congrès de l’Union calédonienne (UC) qui est un parti politique à la fois centriste et autonomiste, une majorité de représentants vote une motion en faveur de l’indépendance. La même année, Jacques Lafleur, issu d’une grande famille néo-calédonienne, crée un parti opposé à l’UC, le Rassemblement pour la Calédonie (RPC), qui devient en 1978 le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR).
Ainsi s’installe en Nouvelle Calédonie la bipolarisation politique entre indépendantistes et loyalistes. Elle conduit à la création, en 1984, du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui rassemble plusieurs mouvements indépendantistes. La récupération des terres spoliées par la colonisation catalyse les énergies. Les revendications et les occupations de terre se multiplient et conduisent à une situation insurrectionnelle. Le 19 septembre 1981, Pierre Declercq, européen né en France métropolitaine et secrétaire général de l'Union Calédonienne, est assassiné.
Après le boycott des élections territoriales de 1984 symbolisé par le bris de l’urne de la mairie de Canala par le militant du FLNKS Éloi Machoro, la violence se déchaîne : dix militants indépendantistes sont abattus lors d’un guet-apens à Hienghène; le fils d’un éleveur européen est tué par des militants indépendantistes et Éloi Machoro est abattu par le GIGN en 1985.
Le 22 avril 1988, à deux jours du premier tour de l’élection présidentielle qui oppose François Mitterrand à Jacques Chirac et des élections régionales, des indépendantistes décident de s’emparer de la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, qui accueille des renforts venus sécuriser le vote.
L’opération dégénère : quatre gendarmes sont tués, les autres sont pris en otage. Leur libération par un assaut de l’armée, trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle, se solde par la mort de dix-neuf militants indépendantistes et de deux militaires.
Après la réélection de François Mitterrand, la responsabilité de résoudre la crise ouverte en Nouvelle Calédonie échoit au nouveau Premier ministre, Michel Rocard. Il dépêche sur place une mission de dialogue qui aboutit aux accords de Matignon en juin 1988 et d’Oudinot en août 1988 entre le RPCR et le FLNKS symbolisés par la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.
Mais dix mois plus tard, ce dernier est assassiné à Ouvéa par un indépendantiste, à l’occasion d’une cérémonie marquant le premier anniversaire de la tragédie d’Ouvéa.
Pour réunir les deux communautés, les accords de Matignon prévoient une large amnistie des crimes et délits commis durant la période insurrectionnelle. En outre, pour donner à ces deux communautés le pouvoir de se gérer, les accords fractionnent la Nouvelle-Calédonie en trois provinces dotées de compétences étendues, en particulier en matière de développement économique. En partageant transversalement la Grande Terre, le découpage satisfait les non-indépendantistes qui gèrent la province Sud autour de Nouméa. Les indépendantistes contrôlent pour leur part deux des trois provinces, la province Nord et la province des îles Loyauté. Chaque province est dotée d’une assemblée dont la plupart des membres siègent également au Congrès de la Nouvelle-Calédonie chargé de voter les lois du pays et d'élire le gouvernement.
Cependant la question pendante de l’autodétermination conduit progressivement la Nouvelle Calédonie vers une nouvelle situation de crise.
À SUIVRE
DE L'INDIGÉNAT KANAK À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE
Des révoltes ? Le colonisateur cherche à contrôler les Kanaks en créant les tribus en 1867, à la tête desquelles l’administration place un chef, et en instituant la « réserve », un territoire dont la tribu a la jouissance mais qui limite les déplacements des Kanaks.
Dans la région de La Foa, les Kanaks font les frais de la volonté d’intégrer des milliers d’hectares au domaine de l’État pour les affecter à la colonisation libre, ce qui est à l’origine de la première grande révolte kanak en 1878. Les Kanaks ont souvent réagi violemment à la politique de peuplement pratiquée par l’administration française. Mais, compte tenu de l’affaiblissement de la population kanak qui passera de 50000 personnes environ en 1853 à 27000 en 1921, les soulèvements restent ponctuels et aisément réprimés jusqu’à l’insurrection conduite par le grand-chef Ataï en 1878.
L'administration coloniale, débordée dans un premier temps, réussit à mettre un terme à l’insurrection en utilisant la rivalité d’autres tribus kanakes avec celle d'Ataï qui est finalement capturé et décapité par ses rivaux. Cette révolte de 1878 a entrainé la mort de 200 Européens et de 800 à 1 000 Kanaks.
Sous la direction de plusieurs chefs, d'autres révoltes ont lieu en 1913 et en 1917 dans le nord de la grande île car le « grand cantonnement » pratiqué entre 1897 et 1903, réduit progressivement l’espace foncier kanak à un huitième de la superficie de la Grande Terre. Puis l’humiliation des Kanaks sera totale lorsque Joseph Guyon, gouverneur français de Nouvelle-Calédonie, lors de l'exposition coloniale de Paris de 1931, organisera un « spectacle » montrant un groupe de Kanaks dans des cages, sous couvert d' une nouvelle politique indigène visant à « assimiler» les Kanaks.
Cette politique, en vigueur jusqu’en 1946, consiste en un ensemble, juridique et réglementaire appelé « régime de l’indigénat », de mesures administratives qui s’applique aux autochtones qui sont soumis à des interdictions propres, contraints à des travaux d’utilité publique et qui subissent une séparation des systèmes scolaires qui les cantonne aux « écoles indigènes ». Ces dernières n’offrent pas d’accès à l’enseignement secondaire et supérieur : il faudra attendre 1962 pour voir un premier Kanak obtenir le baccalauréat.
Cependant le développement des infrastructures médicales avec la construction d’hôpitaux et de dispensaires ainsi que les progrès en matière d’hygiène permettent à la population kanak de se redresser démographiquement à partir des années 1930.
La Seconde Guerre mondiale bouleverse la Nouvelle-Calédonie qui a rallié la France Libre et qui est choisie comme base arrière et tête de pont par les États-Unis pour reconquérir le Pacifique. À partir de 1942, l’économie locale est dopée par le ravitaillement d’un contingent anglo-saxon qui atteint à son apogée plus de 200000 soldats étatsuniens, australiens et néo-zélandais pour un territoire où habitent 55000 habitants. Des aérodromes sont aménagés, des centres hospitaliers sont installés sur la côte est et dans l’extrême nord.
Cette présence bouleverse des Kanaks soumis au code de l'indigénat qui découvrent des soldats noirs et blancs travaillant sur un pied d'égalité, si bien que la Seconde Guerre mondiale marque le début du processus de décolonisation.
En 1946, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’outre-mer (TOM) et les restrictions à la liberté de résidence, de travail et de mobilité des Kanaks sont levées par étapes. Ils accèdent à la nationalité française et obtiennent progressivement le droit de vote. Déjà le code de l'Indigénat avait été aboli par l'ordonnance du 7 mars 1944 qui supprimait le statut pénal de l'indigénat, puis la loi Lamine Guèye du 7 avril 1946 a accordé la nationalité française pleine et entière à tous les indigènes et le statut du 20 septembre 1947 a permis l’égalité politique et l’accès égal aux institutions.
Les Kanaks obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils.
Cependant, seuls 267 membres de l'élite kanak, chefs coutumiers, religieux et anciens combattants obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 permet à 60 % des Mélanésiens en âge de pouvoir voter d'y accéder et le suffrage universel ne sera pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.
L’accession des Kanaks aux droits civiques entraîne la création des premiers mouvements politiques appelant à défendre leurs intérêts. Le Parti communiste calédonien est créé en 1946, qui propose un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. En réaction, du côté catholique, une association confessionnelle, l’UICALO, est créée suivie par l’AICLF issue du milieu protestant, toutes deux destinées à défendre les droits des Kanaks. Ces deux associations se fondent en 1956 dans un parti politique, l’Union calédonienne » (UC).
Ce parti, qui affiche un programme autonomiste et social, qui est résumé par le slogan « Deux couleurs, un seul peuple », se rapproche des centristes démocrates-chrétiens de Métropole et dominera la vie politique locale jusqu'en 1972.
La Nouvelle-Calédonie est alors un territoire d'outre-mer que les lois cadres dites Defferre de 1957 conduisent vers plus d'autonomie. Mais alors qu'un mouvement de décolonisation s'amorce dans les autres colonies, ce processus connait au début des années 1960 en Nouvelle-Calédonie et dans les autres territoires français du Pacifique un brusque coup d'arrêt qui est à l’origine des crises suivantes, et en particulier de la dernière.
À SUIVRE