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Le blog d'André Boyer

philosophie

LE MONDE SELON MACHIAVEL

23 Février 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE MONDE SELON MACHIAVEL

Machiavel étudie l’homme sans passion, comme il étudie un problème de mathématiques, avec le seul souci de la vérité, une vérité qu’il ne faut jamais accepter sans preuve. Il ne retient que les certitudes.

 

Pour lui, Il ne s'agit pas de savoir ce que la morale approuve ou ce qu'elle réprouve. Cela, tout le monde le sait, et inutilement. Il s'agit de connaître avec précision la juste valeur de l'homme. Pour cela, il a eu entre les mains des âmes de roi, des âmes de pape, des âmes de républicains. Il a manié l'âme des gens qui veulent la paix, l’âme des gens qui veulent la guerre, l'âme des commerçants, des banquiers, des ouvriers l'âme collective du prolétariat, l'âme solitaire des chefs, l'âme réjouie des bourreaux, l'âme acide des suppliciés.

Il ne faut pas lui parler d'âme extraordinaire, il n'y en a pas, il n'y en a pas d'ordinaires non plus, mais elles sont toutes interchangeables. Le pouvoir gouverne toujours comme les gouvernés gouverneraient s'ils avaient le pouvoir. Il en a eu mille exemples. Le prince est partout et n'importe qui : la Terre n'est peuplée que de Princes. Les uns sont en exercice, les autres le sont en puissance.

L'homme qui tue n'as pas de nom propre : c'est l'homme. Mieux : il n'y a pas de monstres, comme l'observe aussi Hannah Arendt.

Cela n'empêche pas que nous tenons à l’idéal ; nous tenons surtout à une conception idéale de nous-mêmes. Nous y tenons tellement que nous sommes disposés à être imprudents, au point de faire confiance à l'autre considéré comme notre propre reflet. Et dès qu'une utopie se prémédite quelque part, on y voit affluer les hommes en mal d’angélisme qui embouchent la trompe pour sonner au bonheur de l'humanité.  

Il n'est pas question de bonheur de l'humanité chez Machiavel. Ce que l'on peut construire avec les hommes est très loin, évidemment, d'une construction angélique, mais, si nous en étions à notre première utopie, il faudrait prendre au sérieux la tragique gaucherie de nos gâcheurs d'hommes, avoir beaucoup de respect pour l'homme capable de croire, de se passionner et d'en mourir. Nous admirerions celui qui cherche l'espoir au-delà de sa valeur.

Mais nous voilà trompés une fois de plus et déjà la prochaine tromperie se prépare ; nous courons de l'une à l'autre, comme en extase, les reins chargés de notre intérêt personnel sous prétexte d'intérêt commun. Il faut en convenir: le temps de la mystique est fini.

Le souffle du lecteur suffit à chasser des textes de Machiavel la poussière du passé. L'encre luit comme si la phrase avait été écrite tout à l'heure. Des noms propres viennent aux lèvres. Les événements de la semaine, du jour même, se superposent aux événements de l'ancienne Florence et, miraculeusement, ils coïncident.

Nous lisons dans Machiavel le récit de nos erreurs et de nos révoltes; on nous explique pour quoi et par quoi nous sommes trahis à l'instant même où les faits du jour sollicitent notre confiance. Nous y perdons la foi, comme il se doit en notre époque crépusculaire, qui se situe à l'extrême confins de la Renaissance, depuis que tout est devenu possible et impossible en même temps, que tous les espoirs et tous les désespoirs ont été permis.  

Machiavel, c'est l'acceptation tranquille de l'horreur qui est inséparable de toute vie qui se perpétue. Rien n'est plus logique qu'un cadavre en plein champ. On sent tout de suite qu'il y est utile. C'est en tout cas là qu'il y est le moins déplacé. Car on tue dans chaque ferme avec simplicité ; on organise, on émonde, on abat, on arrache, on tond. Le paysan "gouverne" sa ferme, avec comme idée derrière la tête de défendre son intérêt personnel. Rien n'est plus naturel qu'un seau rempli de sang sur le seuil d'une ferme. Presque toujours, c'est un enfant, souvent une petite fille candide ,qui est chargée de battre ce sang avec un petit ballet de bruyère pour qu'il reste fluide et puisse faire du boudin.  

 

Un peu guindé, bourré de rois, de papes et de peuples, mais logique et précis comme un paysan dans ses vignes, Machiavel compose du haut de son cheval les Géorgiques des temps modernes, organise la dernière façon possible de fabriquer de la terre ferme pour des hommes qui vont, peut-être, trouver la machine du monde mais perdre sûrement le ciel ...

 

D'après Jean Giono en préface à Machiavel.

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MACHIAVEL, LE MODERNE

3 Février 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

MACHIAVEL, LE MODERNE

MACHIAVEL, LE MODERNE

 

La Renaissance s'efforce de voir les choses telles qu'elles sont et non plus à travers l'illusion chrétienne. À partir de ce principe, Dieu ne créa plus les rois et Machiavel se résolut à écrire le Prince.

 

Il s'y résolut après une longue expérience des choses. Sur l'échiquier dont il parle et sur lequel il a joué de nombreuses parties, il n'y a pas de pièces vertueuses. En proie avec les tours, les cavaliers, les canons, les soldats et l'Assassin, le Roi ne peut pas se dégager en faisant appel à la clémence, la générosité ou la bonté de l'adversaire. Ces pièces morales n'existent dans aucun camp, car il s'agit de prendre possession d'un royaume qui n'est plus au ciel mais sur la terre ferme.

Pendant la Renaissance, on a découvert l'Amérique et la route des Indes par le Cap, et, de ce fait, les richesses ne sont plus fabuleuses. Auparavant, toutes les cailles que l'on avait manquées dans ce monde ci tombaient rôties dans l'autre. Maintenant, l'on sait qu'il faut s'occuper soi-même, le plus vite possible, de toutes les jouissances que l'on désire.

Plus de calendes grecques.

On est désormais entre êtres humains et rien d'autre.

Le monde est devenu petit.

Nous avons plusieurs façons de lire Machiavel. L'une d'elles consiste à chercher dans ses écrits un traité de politique. Mais, au fond, instruits par l'expérience et la masse d'information que nous recevons, nous en savons plus que Machiavel. Nous pouvons viser le même but que lui et plus vite que lui.

Simplement, nous avons moins de franchise, car, à vrai dire, c'est sa franchise qui nous étonne, pire encore, qui nous intimide.  

De nos jours, l'honnête homme parle volontiers des droits de l’homme. Il s'offusque lorsqu'ils ne sont pas respectés. Mais en réalité, ces droits nécessitent la contrainte pour ne pas être totalement bafoués.  Car, même sous la contrainte, la plupart du temps ces droits sont tournés, retournés, détournés. Déjà, dans les simples rapports de commerce, on a recours au contrat à chaque instant, on signe à qui mieux mieux, on multiplie les signes d'engagement, car on sait à quel point les engagements sont précaires.

Et que dire alors des contrats de travail, dont les procédures doivent être respectées à la lettre sous peine de nullité ? C'est que dans le domaine social, le contrat n'a jamais cessé d'être tourné, malgré toutes les protestations de bonne foi.

Il y a même certitude de mauvaise foi dès qu'il y a affirmation répétée de bonne foi.

Dans ce monde, un démenti confirme.

Sur ce point, Machiavel apporte une franchise d'acier. Dès que le contrat se discute, il déclare qu'il sera tourné et quand il est signé, il démontre que la signature ne vaut rien, qu'elle n'engage rien de réel, que l'on vient, tout simplement de perdre son temps. Il défend que l'on parle de bonne foi ; il a même la loyauté de proclamer, avant que les débats ne commencent, qu'ils seront essentiellement présidés par la mauvaise foi.

En cela, il ne s'occupe que de la stricte vérité et à ce titre il est le premier écrivain moderne.

Une autre façon de lire Machiavel est de l'accompagner dans son étude de l'homme, puisqu'il cherche à comprendre comment l'homme peut être gouverné par l'homme, Machiavel est logiquement amené à étudier l'homme et c’est sur ce chemin que nous pouvons aussi l’accompagner.

Pour qui subit la politique plutôt qu'il ne la fait, être berné est chose commune ; en revanche, ce qui importe est que nous croyons à un pouvoir sans limite de l'homme. Non seulement, nous croyons à une valeur de l'homme, mais à la valeur de l'homme. Nous dressons des plans pour une super-humanité, des plans orgueilleux. Nous sommes dans le paroxysme de l'ambition humaine.

L'homme de Machiavel, ce n'est pas le méchant, c'est n'importe quel homme dès qu'il pose en principe que le monde matériel perceptible par ses sens est la seule réalité et qu'en dehors de cette réalité, il n'y a rien.

 

C'est l'homme d'aujourd'hui.

 

À suivre.

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CHEVAUCHER LE CYGNE NOIR

15 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CHEVAUCHER LE CYGNE NOIR

Popper ne s'est pas contenté de traiter de la falsification, relative à la vérification ou la non-vérification d'une affirmation, il a inscrit plus généralement sa démarche dans une approche sceptique des assertions humaines.

 

Pour ce faire, Popper a écrit un ouvrage qu'il a intitulé Misère de l'historicisme. L'argument central du livre est qu'il est impossible de prévoir les évènements historiques parce que cela impliquerait de prédire l'innovation technologique, ce qui lui semblait radicalement imprédictible. Pour ce faire, il en appelle à la "loi des espérances itérées" qui pose que si l'on s'attend à voir arriver un événement dans le futur, c'est que l'on s'attend d'ores et déjà à cet événement. Par exemple, l'homme préhistorique, capable de prédire l'invention de la roue, savait donc déjà à quoi elle ressemblait et savait en conséquence comment la construire : en somme, il était en chemin pour construire la roue.

En d'autres termes, si nous connaissons la découverte que nous allons faire dans l'avenir, nous l'avons déjà presque faite.

Donc, selon Popper, les vraies découvertes sont imprévisibles, et il ne nous reste plus, soit à nous y résigner (Mektoub, c'est le destin), soit à nous obstiner à mettre en lumière quelques structures du futur. Poincaré fait partie de ces obstinés.

Alors que, à son époque, on pouvait encore espérer expliquer tout l'univers comme l'on démonte une horloge, ce qui bien sûr permettrait de prévoir progressivement le futur, Poincaré doucha cet enthousiasme en introduisant le concept de non-linéarité, qui consiste à prendre en compte des effets mineurs entrainant des conséquences importantes.

Ce concept a ensuite été popularisé sous le nom de la Théorie du Chaos, qui prétend, avec un optimisme dangereux, résoudre les problèmes de la prévision à long terme.

Poincaré s'est contenté de montrer qu'à mesure où l'on se projette dans l'avenir, on a besoin d'un niveau de précision de plus en plus fort sur la dynamique du processus que l'on modélise, car le taux d'erreur augmente très rapidement avec le temps. Il l'a illustré par l'exemple du mouvement des planètes, mais je me contenterai ici de celui la modélisation du mouvement d'une boule de billard.

Lorsque le joueur percute une boule de billard, s'il peut évaluer la force de l'impact, la résistance de la matière sur laquelle roule la bille et les paramètres de la boule au repos comme sa masse, il est tout à fait possible de prévoir l'endroit de la table qu'elle va percuter. Après ce premier impact, le résultat du second impact contre la table est plus difficile à prévoir: il faut être plus connaisseur des conditions initiales et faire preuve de plus de précision dans le premier impact pour prévoir le troisième. Mais, pure théorie, supposons que la balle rebondisse huit fois contre la table après le premier impact: pour savoir où se produira le dixième impact, il faudra tenir compte d'informations telles que la poussée gravitationnelle sur la boule en mouvement exercée par une personne qui regarde le jeu à côté de la table. Et ainsi de suite. Pour prévoir où se produirait le cinquante-sixième impact, il faudrait intégrer toutes les particules élémentaires de l'univers dans nos hypothèses de calcul !

Cet exemple signifie que la moindre erreur dans nos hypothèses de calcul rend rapidement caducs nos résultats, dès le troisième ou quatrième impact. En d'autres termes, nous sommes sûr de nous tromper, pour peu que nous cherchions à faire des hypothèses sur un futur non immédiat.  

Et ceci, notez-le, est une avancée pour la recherche du Cygne Noir, car nous savons désormais que ce type de prévision conduit immanquablement à l'erreur.  

Si nous revenons aux Cygnes Blancs que nous avons observé dans le passé, nous savons donc que l'arrivée d'un Cygne Noir dans le futur est, non pas probable, mais certaine.

Il est par conséquent faux d'imaginer que le futur sera similaire au passé, puisque ce serait poser que le futur est prédictible. Par exemple, la différence fondamentale entre le passé et le futur se traduit par le fait certain de la connaissance de la date de notre naissance et de l'ignorance de la date de notre mort.

Finalement, dans la pratique, nous devons lutter contre notre cécité prévisionnelle qui nous pousse fatalement à voir le futur comme un prolongement déterministe de notre perception du passé plutôt que comme un processus où le hasard joue un rôle important, en respectant quelques principes simples :

- Tout d'abord, et tout le texte précédent l'affirme, Il est inutile et même nuisible d'essayer de prévoir l'advenu d'un Cygne Noir précis : c'est impossible.

- Ensuite, il faut rechercher les contingences positives et fuir les négatives; ce qui implique de ne pas se placer dans des situations où le moindre Cygne Noir peut vous détruire mais plutôt dans celles où un Cygne Noir peut vous aider et où vous n'avez pas un grand risque de perdre.

- Enfin, il faut saisir n'importe quelle opportunité, lorsqu'un Cygne Noir qui peut être positif se présente. Ce n'est pas un choix évident, car il existe une proportion importante de personnes qui regardent passer les trains de Cygnes Blancs, sans se rendre compte qu'un Cygne Noir vient de s'arrêter juste devant eux, qu'il est reparti, que c'est fini et qu'il ne repassera jamais plus. En d'autres termes, il faut appliquer le Pari de Pascal* en le généralisant à toutes les circonstances de la vie :

 

"Le juste est de ne point parier.

— Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. (...). Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter."

(Blaise Pascal, Pensées, fragment 397, extrait)

 

FIN PROVISOIRE

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ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

8 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

Accepter l'imprévisible? Comme il est plus difficile que l'on croit de faire des prévisions, il semble logique de faire appel à des experts.

 

Le problème avec les experts, c'est qu'ils ignorent l'étendue de leur ignorance et souvent ils la sous-estiment. Ils sont excellents pour prévoir les évènements routiniers, mais ce sont malheureusement les évènements extraordinaires qui nous intéressent.

C'est ainsi que Tetlock* a interrogé 300 experts qui ont fourni 27000 prévisions consistant à estimer les chances de réalisations d'évènements d'ordre politique, économique et militaires pour les cinq prochaines années. Il a observé que les experts se trompaient très souvent, plus encore que ce qu'il prévoyait. Il a donc cherché à comprendre pourquoi les experts ne se rendaient pas compte qu'ils étaient moins bien informés qu'ils ne le croyaient. Il les a interrogé sur l'origine des erreurs qu'ils avaient commises et, naturellement, ils se sont trouvés des excuses, puisque leur amour propre et leur réputation était en jeu. 

Tetlock a répertorié les types d'excuses invoquées par les experts, révélant de la sorte les biais de leurs prévision:

- L'expert invoque la duplicité des acteurs : "L'URSS s'est effondrée sans que je ne puisse le prévoir, bien que je connaissais fort bien le système politique soviétique, mais ils nous ont caché l'extrême faiblesse de leur économie. Si je l'avais su, j’aurais prévu la chute du système. Mes compétences ne sont donc pas en jeu, Il m'a simplement manqué les bonnes données". Simple.

- L'expert invoque l’aberration : "L'évènement était absolument imprévisible et il échappe à ma spécialité. Comment voulez-vous que je prévois les attentats du 11 septembre 2011 à New-York? Impossible". Mais comme il s'agit d'un événement très improbable, je prévois tout de même qu'il ne se reproduira plus, puisqu'il s'est produit déjà une fois." Absurde.

- L'expert a "presque" eu raison : "Les communistes purs et durs ont failli renverser Gorbatchev. Cela s'est presque produit, car un rien l'a fait échouer, comme le courage d'Eltsine ou le manque de détermination des insurgés." Dans ce dernier cas, l'expert essaie de noyer le poisson pour éviter de reconnaitre que ses capacités de prévision étaient limitées.

Mais, chaque fois, les experts restent dans le cadre de leurs disciplines. Ils n'en remettent en cause ni les limites en se demandant s’il ne faudrait pas intégrer, peut-être, des données provenant d'autres disciplines, ni leur capacité à prévoir. Car, si ce n'est quelques petites erreurs, le modèle était correct pour eux ; sauf que dans l'environnement complexe actuel, il y a toujours quelque chose qui échappe à la prévision routinière. Je me demande d'ailleurs s’il n’y a jamais eu, dans l'histoire, un environnement non complexe...

Encore que le problème central des prévisions réside moins dans la tendance de l'homme à surestimer ses capacités de prévision qu'à la nature même des informations nécessaires à la prévision, qui montrent clairement que le Cygne Noir est structurellement imprévisible.

Le processus de la découverte scientifique est, par nature me semble t-il, imprévisible, alors que des armées de chercheurs sont sommées de "trouver" des découvertes dans des laboratoires de plus en plus nombreux, couteux et structurés. Mais le Cygne Noir ne se laisse pas attraper sans résistance, ce qui fait que les chercheurs se transforment souvent en Christophe Colomb, car ils trouvent souvent une nouvelle manière de penser ou de faire, alors qu'ils ne la cherchaient pas, pour se demander ensuite pourquoi il leur a fallu autant de temps pour arriver à quelque chose d'aussi évident.

Voici deux exemples qui l'illustrent. Le premier est célèbre:

Alexander Fleming était un chercheur brillant mais négligent qui avait la réputation d’oublier régulièrement ses boîtes à culture. Rentrant de vacances, il eut la surprise de découvrir dans l’une d’elles qu’une forme de moisissure avait empêché le développement des bactéries. Il isola l'extrait de moisissure et l'identifia comme appartenant à la famille du penicillium. Il venait de découvrir la pénicilline. Cette forme de découverte est fréquemment citée pour illustrer une forme de disponibilité intellectuelle qui permet de tirer de riches enseignements d’une trouvaille inopinée ou d’une erreur que l'on appelle "sérendipité"**.

Un autre exemple, vraiment spectaculaire, est celui de la découverte du fond cosmique de micro-ondes. Ce sont deux astronomes de Bell Labs qui ont entendu un bruit parasite alors qu'ils installaient une antenne parabolique. Convaincus que ce bruit venait de la parabole et qu'il provenait des fientes d'oiseaux, ils la nettoyèrent avec entrain sans parvenir à faire cesser ce bruit. Ensuite, on comprend qu'il leur fallut pas mal de temps pour passer des fientes d'oiseaux à l'explication qui fut finalement retenue, à savoir qu'ils avaient par hasard découvert la trace sonore de la naissance de l'univers, relançant la théorie du big-bang.

Ainsi, tandis que Ralph Alpher, à l'origine de la théorie du big-bang, cherchait en vain des preuves pour l'étayer, deux personnes à la recherche de fientes d'oiseaux trouvaient ces preuves, par le plus grand des hasards.

 

D'où une sixième règle : n'attendons aucun avenir qui soit programmé, ni par les experts, ni par les scientifiques, incapables les uns et les autres d'embrasser la complexité du futur derrière laquelle se cache les Cygnes Noirs.

 

* Tetlock Ph. E., Expert Political Judgment: How Good it is? How can we know, P.U.P, Princeton, NJ, 2005

**Le terme "sérendipité" est un emprunt de l’anglais serendipity, ou don de faire par hasard des découvertes fructueuses. Le terme anglais a été créé par Horace Walpole et tiré d’un conte oriental, Les Trois Princes de Serendip (1754), Serendip est une ancienne transcription anglaise de Sri Lanka, combinaison de sanscrit et de grec qui désigne une terre bénie des dieux où la fortune semble être offerte à chacun.

 

À SUIVRE

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CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

1 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

Si vous voulez rester maitre de vos décisions, exercez vos facultés de raisonnement, ce qui implique d'ignorer les médias pour apprendre sans œillères.

 

Sans œillères : il s'agit de ne pas se faire piéger par les prévisions dont on nous abreuve, car elles sont fausses la plupart du temps puisqu'elles sont impossibles à faire.

Cette impossibilité tient à la complexité croissante du monde, d'où de forts obstacles à la prévision identifiés par un certain nombre de penseurs comme Jacques Hadamard, Henri Poincaré, Friedrich Von Hayek ou Karl Popper. Lorsque nous nous obstinons à croire qu'il est facile de comprendre le passé (voir Le Problème de Diagoras), nous risquons d'en faire de même pour l'avenir, estimant que n'importe quel journaliste peut nous en fournir les clés.

Dès lors, nous perdons toute chance d'apercevoir un Cygne Noir.

Si vous êtes allé à Sydney, en Australie, vous avez certainement admiré son Opéra*. C'est un magnifique bâtiment, mais c'est aussi un monument dédié à l'arrogance de la prévision financière puisque sa construction, de 1958 à 1973, a couté 102 millions de dollars, et encore en faisant des économies sur le projet initial, au lieu des 7 millions prévus !

Nous nous trouvons face à ce type d'erreur catastrophique à peu prés chaque fois que l'on fait une prévision un peu longue ou un peu complexe, si bien que respecter ses prévisions est un exploit rarissime. Demandez leur avis sur ce sujet aux ingénieurs qui construisent l'EPR de Flamanville, dont le coût de construction a été multiplié par trois et les délais de mise en service par 3,5, à supposer, ce qui est logiquement plus que douteux, que les dernières prévisions soient correctes. 

On a pu démontrer que nous avons presque toujours tendance à surestimer notre capacité à faire des prévisions. Alpert et Raiffa** ont ainsi découvert, et beaucoup d'expérimentateurs après eux, que les personnes à qui l'on demande de faire des prévisions sont excessivement confiantes dans leurs capacités à trouver le résultat exact.

Plus précisément, leurs travaux ont révélé qu'une personne appelée à fournir un intervalle de confiance de 50% à l'intérieur duquel elle estime qu'une certaine valeur est vraie, surestime le plus souvent sa capacité à prévoir. Albert et Raiffa ont en effet constaté qu’un pourcentage nettement plus faible d'intervalles, 33% au lieu de 50%, contenaient la vraie valeur, montrant par-là que les prévisionnistes avaient une confiance excessive dans la qualité de leurs estimations. Toutes les expérimentations qui ont suivies sont allées dans le même sens.

Comme l'humanité sous-estime la possibilité que l'avenir prenne un autre cours que celui qu'elle avait initialement envisagé, ce biais a un impact sur la vie des gens. Par exemple, tout le monde sait que 45 % des mariages conduisent à un divorce en France mais évidemment fort peu de couples envisagent une telle issue, surestimant leur capacité personnelle à y échapper, tant mieux d'un certain côté.

Dans ces conditions, comment faire confiance à l'expert qui prévoit l'évolution démographique du siècle à venir, le rendement de la Bourse les dix prochaines années, le déficit de l'assurance maladie en France dans dix ou vingt ans où la valeur du m2 à Paris dans cinq ans ?

Parce que c'est un expert ? En tout cas, pas en fonction de la quantité d'informations qu'il détient, car toute connaissance supplémentaire des détails d'une opération peut se révéler inutile et même nocive.

Inutile: un psychologue sur lequel nous reviendrons, Paul Slovic***, a demandé à des bookmakers de sélectionner les variables les plus utiles pour calculer les probabilités de victoire des chevaux, parmi quatre vingt huit variables qui avaient été utilisées dans d'anciennes courses de chevaux. Il communiqua ensuite les dix variables les plus utiles, selon eux, pour prévoir la victoire des chevaux et leur demanda de faire des prévisions pour les prochaines courses. Puis on communiqua aux bookmakers les dix variables suivantes, mais cela n'améliora pas la qualité de leurs prévisions. Il en advint de même lorsqu'on leur communiqua les suivantes. On constata finalement que plus on leur communiquait d'informations, moins elles étaient utiles.

Nocive: en revanche, plus on leur communiquait d'informations, plus le décalage augmentait entre la confiance que les bookmakers avaient dans les informations qu'ils utilisaient et leurs performances réelles. Or, l'accroissement de la confiance dans ses choix implique que l'on a moins tendance à changer d'avis lorsqu'une information inattendue nous parvient. En d'autres termes, plus on a confiance dans ses choix, plus on ne voit partout que des Cygnes Blancs.  

Je peux donc vous proposer une cinquième règle : Les prévisions sont plus complexes que vous le croyez ; pour en faire, évitez donc d'accumuler les informations, prenez du recul et usez de vos capacités d'analyse.  `

* Construit grâce, entre autres, aux 30 000 équations posées par un ingénieur d'origine corse, Joe Bertony.

** Alpert, M., & Raiffa, H. (1982). A progress report on the training of probability assessors. In D. Kahneman, P. Slavic, L A. Tversky (Eds.), Judgment under uncertainty: Heu- ristics and biases (pp. 294-305). Cambridge, England: Cambridge Univ. Press.

*** Paul Slovic, Baruch Fischoff and Sarah Lichtenstein, Behavioral Decision Theory, Annual Review of Psychology, 1977

 

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LE PROBLÈME DE DIAGORAS

22 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

Jusqu'ici, nous savons que rien ne nous garantit contre l'apparition d'un Cygne Noir, ni une longue cohorte de Cygnes Blancs, ni une avalanche de "preuves" en leur faveur. Qu'est ce qui nous fait encore défaut pour voir venir ce Cygne Noir?

 

Lisez l'histoire de Diagoras que nous conte Cicéron. Ce Diagoras n'était qu'un fichu athée que ses amis croyants essayaient de convertir. Pour y parvenir, ils lui montraient des tablettes peintes représentant d'un côté des dévots en train de prier et de l'autre côté les mêmes dévots qui avaient réussi à survivre au naufrage de leur navire.

"Tu vois, disaient ses amis à Diagoras, ils ont prié et ils ont survécu !". Certains étaient plus directs : " C'est parce qu'ils ont prié qu'ils ont survécu !". Diagoras les écouta tous quelque temps sans rien dire, puis il plissa son front en signe de réflexion avant de les interroger :  "Mais où sont les portraits de ceux qui avaient prié et qui sont morts noyés ?".

Cette terrible question est double. D'une part, les vainqueurs quels qu'ils soient, rescapés d'un accident, gagnants en affaires, sportifs triomphants ou même vainqueurs au Loto, ont une fâcheuse tendance, et le bon public avec eux, à attribuer leurs succès à leurs mérites, rarement à la chance. On peut même généraliser et postuler que les hommes, parce qu'ils sont à la recherche forcenée d'une explication, ont tendance à relier un peu trop simplement les effets à une cause, que ce soient des succès ou des échecs. Surtout les succès*.

D'autre part, si on entoure volontiers les gagnants et si l'on scrute les raisons de leur succès, on regarde avec moins d'acuité le sort des perdants. "Vae victis " : si l'on a perdu, c'est qu'il y a une raison, parce que l'on était plus faible, moins intelligent ou parfois, mais on le mentionne peu volontiers, moins chanceux que les vainqueurs.

C'est ainsi que, longtemps, j'ai été impressionné par le tout petit nombre d'ouvrages consacrés en France à la défaite de 1940, à l'exception du livre de Marc Bloch, écrit sur le coup, "L'Étrange défaite". En revanche les ouvrages anglo-saxons pullulaient sur le sujet. Pourquoi donc les historiens français ne voulaient-ils pas tirer les leçons de cette retentissante défaite stratégique, militaire et même sociétale de la France ? La réponse tenait dans la question : ils ne tenaient pas du tout à en tirer les leçons, des leçons trop lourdes de conséquences, tant l'échec français était patent. Ils se refusaient tout bonnement à l'analyser. En revanche, les anglo-saxons s'en gargarisaient, y trouvant toutes sortes de justifications à leur supposée supériorité, oubliant souvent de mentionner l'existence de la Manche comme la raison principale de leur survie...

C'est très ennuyeux de se refuser à analyser d'analyser les raisons de l'échec, en particulier du sien, lorsque l'on veut comprendre d'où viendra le prochain Cygne Noir. J'aurais rêvé, après mai 1940 qui a vu la plus grande défaite de l'histoire de France, qu'une conférence nationale se réunisse pour en déterminer les causes et en tirer les conséquences. Au contraire, on n'a eu de cesse de pousser la poussière du désastre sous le tapis. C'était pourtant l'usage des Romains de la République de tirer les leçons de leurs échecs, avec la volonté d'en analyser sérieusement les causes tout en n'hésitant pas à reconnaitre le rôle du hasard, afin d'en tirer les conséquences...pour gagner.

Mais lorsque nous attribuons des causes simplistes à des évènements complexes, ne nous étonnons pas de voir débouler un Cygne Noir là où nous n'attendions que des Cygnes Blancs.  

En posant que les Ardennes étaient infranchissables aux chars allemands, Gamelin les a vu tronçonner ses armées en deux. Mais, si à la suite de cette immense faute stratégique, les Français attribuent au seul Gamelin la perte de la guerre de 1940, ils commettent une erreur d'analyse tout aussi monumentale.  Car ni Gamelin, ni les Français n'ont sérieusement pris les moyens de voir venir le Cygne Noir : le premier en a bu les conséquences jusqu'à la lie, les seconds sont encore et toujours les victimes de leur refus d'analyser les causes de la défaite.

 

Nous proposons donc une quatrième règle, la règle de Diagoras, pour ne pas être surpris par l'irruption d'un Cygne Noir inattendu : sans sous-estimer le rôle du hasard, regardez les vaincus comme les vainqueurs dans toutes leurs dimensions avant d'attribuer une cause simple à un échec ou à un succès.

 

* Essayez de publier le livre dont le titre serait le suivant : " Ce que j'ai appris en perdant un million d'Euros". Bonne chance pour trouver un éditeur.

 

À SUIVRE 

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S'ACCROCHER MORDICUS À SA VISION DU MONDE

17 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

KARL POPPER

KARL POPPER

Vu par la dinde, la privation de nourriture qui a lieu le mille et unième jour est un Cygne Noir. Pas pour le boucher, toutefois.

 

Car le Cygne Noir est une histoire de dupe. La dinde est victime de sa naïveté. Si elle l'était moins, on n'arriverait pas à engraisser les dindes, ce qui signifie que l'on peut éliminer un Cygne Noir grâce à sa capacité d'analyse des données.

Or nous nous trompons nous-même, en raison de notre volonté farouche de voir confirmée par les faits notre vision du monde. Cela se traduit par la recherche d'exemples qui apportent de l'eau à notre moulin. Les scientifiques, c'est leur péché, véniel ou mortel c'est selon, testent des hypothèses qui leur conviennent à l'aide d'exemples, qu'ils n'ont aucun mal à trouver. Je peux témoigner qu'au cours de ma carrière universitaire, j'ai rarement* rencontré des chercheurs qui testaient leurs hypothèses avec pour objectif de les invalider!

Mais une succession de faits confirmatifs ne constituent pas une preuve, tandis qu'un fait négatif, en d'autres termes un Cygne Noir, est lui bel est bien une preuve. Pour la dinde, mille journées d'observation ne prouvent rien, mais une seule journée à la diète prouve qu'elle avait tort d'être confiante.

Karl Popper** a élaboré une théorie à propos de cette asymétrie de l’information, qui est fondée sur la technique de la "falsification", ou en bon français sur la technique de la "réfutation", destinée à faire la différence entre les affirmations scientifiques et celles qui ne le sont pas.

Même s'il n'est pas toujours facile de "falsifier", c'est à dire de déclarer que quelque chose est faux avec une certitude absolue, il n'en reste pas moins que l'on est beaucoup plus sûr de ce qui est faux que de ce qui est vrai.

Le mécanisme de vérification fonctionne ainsi selon Popper : vous formulez une hypothèse et vous vous mettez en quête de faits qui la réfutent, au lieu de rechercher des exemples confirmatifs. Tant que vous n'avez pas trouvé des faits qui contredisent votre hypothèse, elle est réputée "vraie". Provisoirement.

Il faut reconnaitre que Georges Soros*** illustre bien cette démarche lorsqu'il fait un pari financier et qu'il passe son temps à chercher des exemples qui réfuteraient (et non qui illustreraient) sa théorie initiale. Mais, pour le commun des mortels, lorsque l'esprit est habité par une certaine vision du monde, il a tendance à considérer uniquement les exemples qui lui donnent raison. Le paradoxe vient de l'observation que, plus on a d'informations et plus on a l'impression que nos opinions sont justifiées.

La guerre entre la Russie et l'Ukraine l'illustre parfaitement qui fait que toutes les informations corroborent notre conviction que Poutine est le méchant et les médias, qui, ne pouvant aller à contre-courant de tous, font en sorte qu'aucune information n'aille en sens inverse. Si bien que plus vous êtes informé, moins vous comprenez ce qui se passe puisque le moindre Cygne Noir est abattu en vol, tandis que les Cygnes Blancs sont préservés de tout croisement intempestif. Cela présente l'avantage de vous permettre de rester confortable avec vos opinions, mais ne vous laisse aucune chance d'apercevoir le moindre Cygne Noir.

Certes, tous les faits corroborent votre opinion, mais le problème est que les preuves confirmatives, cela n'existe tout simplement pas, car un rien, un souffle suffit à les balayer. Imaginez par exemple qu'apparaisse soudainement une rumeur, seulement une rumeur, de négociation entre la Russie et les États-Unis ou de fuite de Poutine en Argentine et le jour même, le prix du gaz s’effondre et toutes vos certitudes avec.   

Pourtant, nous ne sommes pas si naïfs. Nous ne croyons pas n'importe quoi, nous possédons, issus de nos gènes, un instinct inductif dès la petite enfance, mais il semble que la complexité du monde s'accroisse plus vite que notre instinct, qui semble avoir appris à faire des déductions rapides en se focalisant sur un petit nombre de causes de Cygnes Noirs.

 

D'où une troisième règle pour ne pas voir arriver des Cygnes Noirs inattendus : quel que soit leur nombre rien ne peut vous garantir qu'il n'existe que des Cygnes Blancs, mais un rien peut l'infirmer.

 

* Tout de même quelques-uns parmi mes collègues et doctorants se reconnaitront.

** Karl Popper, la logique de la découverte scientifique, 1935, 2017, Payot.

*** Georges Soros, L'Alchimie de la Finance, 1998, Valor. 

 

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RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

12 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

Un Cygne Noir est un évènement aberrant, qui a un fort impact sur les évènements futurs et que nous cherchons, à posteriori, à rendre explicable, donc prévisible.

 

Par exemple, la guerre de 1914 était imprévisible, ou plus exactement son avènement, son ampleur et ses conséquences étaient imprévisibles et de multiples historiens ont cherché à l'expliquer, après.

Je me suis souvent attaché à prévoir la survenance de Cygnes Noirs. Par exemple, j'ai écrit en 1981 un article sur la future chute de l'URSS, intitulé "L'URSS de papier", qui n'a eu aucun succès malgré mes nombreux efforts pour le publier. Presque tout le monde pensait, avant sa chute, que l'URSS était installée pour l'éternité et les mêmes, à ma grande indignation, m'ont expliqué ensuite pourquoi elle était inévitable et prévisible ! J'avais également prévu dans ce blog, dès le début de la guerre en Syrie, qu'Assad ne tomberait pas et j'ai expliqué pourquoi. Cependant le but de ce billet n'est pas de m’auto glorifier mais de montrer que les Cygnes Noirs sont parfois prévisibles.

La première règle à poser est qu'aucune vérité unanimement reconnue par tous ne doit être acceptée à priori.

Il arrive cependant que ce que tout le monde pense soit vrai, mais il s'agit d'évidences sans intérêt. Par exemple, "le soleil se lève chaque matin" est un "Cygne Blanc" qui ne mérite pas d'être discuté, du moins au moment où j'écris ces lignes.

En revanche l'issue de la guerre en Ukraine mérite de l'être. Ce qu'écrivent les commentateurs en Europe est par définition partial, puisqu'ils sont en désaccord total avec l'un des acteurs majeurs, Poutine. Il nous faut donc examiner la question plus au fond, sous les angles stratégiques, politiques, culturels, économiques et recueillir des données. Mais, pour le moment, j'avoue que je n'ai pas recueilli assez d'informations pertinentes pour écrire quelque chose d'utile sur le sujet et donc je n'écris pas. Car, tant que je ne vois pas apparaitre de Cygne Noir, à quoi cela servirait de répéter à mon tour que tous les cygnes sont blancs ?

L'histoire est opaque. Nous croyons comprendre le monde parce que nous le simplifions. Comme sa complexité nous échappe, nous sommes contraints de nous contenter de l’analyser à posteriori et selon nos schémas pré établis, si bien qu'à la fin nous n'avons rien appris des évènements. Car l'histoire n'est pas linéaire, elle saute de fracture en fracture. Quels Romains ont prévu que le christianisme deviendrait la religion dominante en Méditerranée et que, sept siècles plus tard, une escouade de cavaliers étendrait la loi islamique de l'Espagne ou sous-continent indien et qu'elle y serait toujours en vigueur treize siècles plus tard ?

Le premier problème que l'on rencontre lorsque l'on essaie de prévoir l'avenir est celui du passé. L'homme observe les expériences de sa vie et en déduit ce qui l'attend dans ce monde. La dinde aussi, comme l'observe Russel*. Comme elle est nourrie tous les jours, elle en déduit que la règle générale de la vie consiste à être nourrie quotidiennement par de sympathiques êtres humains qui veillent sur ses intérêts. Cette croyance de la dinde se renforce chaque jour un peu plus, au fur et à mesure où elle constate qu'on la nourrit sans relâche amicalement, si bien que sa confiance s'accroit jusqu’au jour où, le mille unième jour, il lui arrive quelque chose d'inattendu, le « gentil » fermier cessant de la nourrir.

On peut tirer de la triste histoire de la dinde des conséquences sur la nature de la connaissance empirique : quelque chose fonctionnait dans le passé jusqu'à ce que, contre toute attente, ce ne soit plus le cas. C'est ce qui nous guette lorsque nous formulons des conclusions sur la seule base des données concernant le passé.

Un exemple d'actualité : les Français se croyaient à l'abri de toute pénurie énergétique avec leurs 56 centrales nucléaires et tout d'un coup ils apprennent que l'électricité risque de manquer, tandis que les artisans découvrent que les prix de l'électricité vont quintupler pour eux. Quelque chose leur a échappé dans le passé qui a un impact surprenant pour eux aujourd'hui.

Un autre exemple, célèbre : en 1907, E.J. Smith, futur capitaine du Titanic, fit la déclaration suivante :

" Pendant toutes ces années passées en mer, je n'ai vu qu'un seul navire en détresse. Je n'ai jamais vu de bateau échoué et je n'ai jamais échoué moi-même, ni été dans une situation difficile qui menaçait de tourner au désastre"

En 1912, il l'a vu.

 

D'où notre deuxième règle pour avoir une chance de reconnaitre le Cygne Noir avant qu'il ne produise ses effets, négatifs ou positifs : nous ne connaissons tout simplement pas la quantité d'information que recèle le passé.

 

*"L'homme qui a nourri le poulet tous les jours de sa vie finit par lui tordre le cou, montrant par là qu'il eût été bien utile au dit poulet d'avoir une vision plus subtile de l'uniformité de la nature" (Bertrand Russell, Problèmes de Philosophie, 1989)

 

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L'IRRUPTION DU NEW SPACE

10 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

L'IRRUPTION DU NEW SPACE

La compétition entre l’URSS et les États-Unis fait que l’on regarde la conquête de l’espace en termes stratégiques plutôt qu'économiques, alors que l'aspect économique prend de plus en plus d'importance dans l'activité spatiale.  

 

Dans le passé, plusieurs pays ont tenté de développer de nouvelles fusées, de nouvelles sondes, de nouveaux satellites pour imprimer leur marque dans l'histoire, pour renforcer leur prestige et pour en tirer des avantages stratégiques.

L'Europe mais aussi des pays comme la Chine ou l’Inde ont développé leur programme spatial. En 2003, la Chine a lancé son premier vol habité avec la capsule Shenzhou 5 et avec son programme Chang’e, Pékin espère devenir le premier pays asiatique à envoyer un homme sur la Lune. Le programme spatial de l’Inde a débuté dans les années 1960 avec un premier satellite construit à l’aide de la technologie soviétique. Le programme s'est poursuivi avec le lancement de la sonde Mangalyaan en orbite autour de Mars. 

La conquête de l’espace pose évidemment une question économique. L’ordre de grandeur des dépenses spatiales est fort différent selon les pays. Les États-Unis dépensent plus de quarante milliards de dollars chaque année pour leurs programmes spatiaux, l’Europe sept milliards et la Russie comme la Chine environ cinq milliards. Ces dépenses n’ont pas que des objectifs stratégiques mais aussi économiques. C’est ainsi que la Chine développe depuis les années 1980 des lanceurs capables de placer des satellites en orbite géostationnaire, avec pour objectif de générer des revenus pour financer le programme spatial, tandis que les États-Unis utilisent l’invention du GPS pour financer le leur.

Car de nouveaux secteurs stratégiques et économiques se sont développés qui dépendent désormais de l’espace, comme les télécommunications, la cartographie et l’aide à la navigation, mais aussi l’observation météorologique et la surveillance des catastrophes naturelles. Chaque jour apparaissent de nouveaux usages des données issues des satellites d’observation de la terre : scruter l’état des sécheresses ou le rendement des récoltes, surveiller la vitesse de déforestation ou d’érosion des plages, vérifier le taux de remplissage de parkings ou observer l’état de plateformes offshore.

Par rapport aux acteurs publics, les acteurs privés jouent un rôle croissant dans la guerre économique qui s’est engagée dans l’espace. Ainsi la constellation de satellites que SpaceX met actuellement en orbite a pour objectif de fournir une couverture Internet mondiale, y compris dans les endroits les plus isolés, permettant de faire fonctionner les lignes téléphoniques, mais aussi les véhicules autonomes. Dans cette guerre économique, les États-Unis ont inventé le concept de New Space, défini comme l’écosystème formé autour des sociétés privées et publiques américaines qui conçoivent et utilisent leurs propres lanceurs, et peuvent opérer des flottes de satellites, par opposition à l’Old Space dominé par les organisations publiques. Pour eux, la transformation de l'Old Space en New Space résulte de l’ouverture de l’espace à des acteurs privés qui ouvrent de nouveaux champs d’application avec des objectifs financiers.

Le New Space s'est traduit depuis une dizaine d'années par la multiplication de nouveaux acteurs spatiaux souvent issus du monde numérique, des innovations technologiques majeures telles que la réutilisation des équipements, la miniaturisation des composants, l'utilisation de nouveaux carburants comme le méthanol et la motorisation électrique, l'utilisation de l'impression 3D comme système de production et finalement la baisse du coût de l’espace

 

On peut donc écrire que le New Space, c'est l’ubérisation d'une industrie spatiale qui génère des nano satellites au prix de quelques dizaines de milliers d’euros par unité contre plusieurs dizaines de millions d'euros pour les satellites de télécommunication classiques.

 

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LA CONQUÊTE SPATIALE

5 Novembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE PREMIER SPOUTNIK (1957)

LE PREMIER SPOUTNIK (1957)

Lorsque nous observons ce démiurge, Elon Musk, lancer des chapelets de satellites, envoyer des touristes dans l’espace proche, intervenir en Ukraine ou en Iran, énoncer des projets fous, Il serait avisé de nous intéresser à l'économie de l'espace qui contrôle déjà une bonne partie d'internet, notre GPS, nos prévisions météorologiques et bientôt nos communications téléphoniques.

 

L'espace, qu'est ce à dire au juste? Il se situe environ cent kilomètres au-dessus de nos têtes, lorsque l’atmosphère terrestre a quasiment disparu et que l'on ne peut plus compter sur la portance aérodynamique mais uniquement sur la vitesse pour se maintenir en orbite.

Environ cent kilomètres... Cet "environ" pose un problème juridique. Au-dessous de cette limite, nous nous trouvons dans l'espace aérien de chaque pays, au-dessus l'espace appartient à tout le monde.

À tout le monde, mais pas n'importe comment. Pour gérer internationalement l'espace, un traité a été signé en 1967, le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Il s'y est ajouté en 1968, un accord sur le retour et le sauvetage des astronautes et sur la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, puis en 1972, une convention sur la responsabilité internationale des États pour les dommages causés par des objets spatiaux suivie, respectivement en 1975 et 1979, par une convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace et par un accord sur les activités des États sur la Lune et sur les autres corps célestes. 

Ces accords gênent aujourd'hui les États-Unis dans leur ambition de développer dans l'espace une économie sans entraves. Car la situation a bien évolué depuis les premiers accords qui ont eux-mêmes suivi d'une décennie la première incursion humaine dans l'espace conduite par l'URSS.

En effet, le 4 octobre 1957 exactement, l'URSS a lancé le tout premier satellite, Spoutnik, sur une orbite qui se situait entre 225 kms et 947 kms au-dessus de la Terre.

Après les spoutniks soviétiques et la chienne Laïka, le premier être vivant satellisé qui n'a pas résisté bien longtemps à l'espace, les Américains rejoignaient les Soviétiques dans la course à l'espace avec le premier satellite américain, Explorer-1 en 1958. L'étape des satellites franchie, la compétition se déplaçait vers la Lune dés l'année suivante avec l’envoi du satellite russe Luna en dehors de l’orbite terrestre, puis de Luna-3 qui dévoilait des images de la face cachée de la Lune. 

À partir de 1961, la course à l'espace s’intensifiait ; les Soviétiques envoyaient le premier homme dans l’espace, Yuri Gagarine, tandis que les Américains se donnaient pour objectif d’envoyer un homme sur la Lune avant la fin des années soixante, objectif atteint de justesse le 21 juillet 1969 par l’alunissage de Neil Armstrong et Edwin Aldrin.

C'est à partir des années 1970 que la conquête spatiale s'élargira de la Lune à l'ensemble des planètes du système solaire. Dés 1970, les Soviétiques parviennent à envoyer une sonde, Venera 7 sur Vénus, tandis qu'en 1976 les sondes américaines Viking se posent sur Mars, et en 1977, deux autres sondes américaines survolent les planètes Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune ainsi que quarante-huit de leurs lunes.

Entre 1986 et 2001, la station spatiale russe Mir devient la première station permettant le vol spatial habité à long terme, et en avril 1990, le télescope spatial Hubble, développé par la NASA, est mis en orbite et permet de faire des découvertes de grande portée dans le domaine de l’astrophysique. 

 

La fin de la Guerre froide en 1990 ne mettait pas fin à cette conquête spatiale conduite par l'URSS et les États-Unis en compétition. Mieux, en 1998, une coopération internationale se mettait en place avec la construction de la Station spatiale internationale (ISS), qui est habitée de manière continue depuis octobre 2000.

 

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