ANALYSES QUÉBÉCOISES III
Dans ce blog, on ne traitera que de sexe, au travers du coming out d’un grand dirigeant d’entreprises, des mœurs sado-masochistes d’un animateur de TV et des réactions très instructives de lectrices ordinaires au comportement d’une actrice porno…
Tim Cook fait son coming out
Les faits :
Cela a pas mal agité les milieux mediatico financiers aux USA et au Canada : Tim Cook, 53 ans, le patron d’Apple, a revendiqué son homosexualité. Mêlant habilement Dieu à ses préférences sexuelles, il a précisément déclaré : « C’est le plus beau cadeau que Dieu m’ait fait ».
L’ampleur donnée à cette déclaration par les medias a surpris. Cela fait des années qu’acteurs, sportifs et politiciens se disputent les plateaux pour annoncer leur homosexualité au monde entier, alors Tim Hook ?
Oui, mais c’est le premier patron des mille plus grandes entreprises américaines qui se déclare homo et c’est ça l’événement.
Oui, oui, mais une entreprise du secteur des nouvelles technologies à Silicon Valley en Californie n’est pas représentative du monde des affaires américaines, dans un pays, les USA, où plus de la moitié des États ne protégent pas les employés qui seraient licenciés en raison de leur orientation sexuelle.
Le Canada retient son souffle : quel patron d’une grande entreprise canadienne sera le premier à se déclarer ?
Mon commentaire :
Ils sont encore plus forts en marketing que je le pensais, ces gens d’Apple car, depuis la déclaration de Tim Cook, l’action Apple est montée de 10%, à croire qu’un nouveau marché s’est ouvert pour l’entreprise, les homophiles.
Je signale toutefois aux commerciaux d’Apple que, moi, j’achète leur produit juste parce que je le trouve bon…
Vous connaissez l’émission Q ?
On ne parle que de cela au Canada et en l’occurrence l’émission porte bien son nom, en français en tout cas. Depuis des années, cette émission connaît un succès phénoménal sur CBC Radio One (chaine de TV de Toronto).
Mais voilà que la direction de la chaine a suspendu puis congédié son animateur vedette au sourire enjôleur, âgé de 47 ans, Jian Ghomeshi. La raison : il aimait bien les relations sado-masochistes, qu’il pratiquait assidument avec le consentement de ses partenaires, maintient-il. Mais la chaine déclare qu’elle a vu de ses yeux des blessures physiques infligées par l’animateur au cours de ses ébats et qu’elle en a été choquée.
Le plus fort, c’est que c’est l’animateur lui-même qui a montré les vidéos accusatrices à sa direction pour lui démontrer qu’il était tout à fait possible d’être blessé physiquement lors de relations sadomasochistes, tout en étant volontaire, ou consentant.
La CBC (Canada Broadcasting Corporation) est en cause. Elle a misé sur une star qui exploitait l’univers des stars et le public qu’il attire, ce qui ne faisait pas partie de la culture canadienne, supposée constituer un trait essentiel de son mandat. La société d’État se défend en déclarant qu’elle ne pouvait pas se mêler de la vie privée de ses vedettes. Mais la vie privée devient d’intérêt public lorsqu’elle influe sur les institutions.
Ne faut-il donc pas se soucier de l’éthique des stars ?
Depuis, deux victimes ont porté plainte et les témoignages s’accumulent contre l’animateur accusé d’être tyrannique, mais jusqu’à maintenant l’enquête n’a pas encore montré que les « victimes » n’étaient pas consentantes et si elle n’évolue pas, cela pourrait se terminer par d’énormes indemnités compensatoires versées à l’animateur sado ou par une gigantesque peine de prison.
Le suspense passionne les medias tout en désolant les amateurs de Q.
Du coup l’émission a fortement perdu de son audience et la CBC de l’argent.
La morale ou l’argent, il faut choisir.
Eh bien !
Je ne sais trop comment raconter cette histoire, mais je me lance quand même.
Le 5 septembre dernier, à Gatineau, à côté d’Ottawa, une actrice porno de 22 ans a eu des relations sexuelles avec 25 hommes d’affilée.
Oui, vingt-cinq…
Oui, mais pour une raison pratique. Elle a fait ça pour que son producteur lui paie une augmentation mammaire. Cette activité, qui s ‘appelle, paraît-il, « Boule-o-thon », a eu lieu dans une caravane (au Québec on dit « roulotte ») attenante à un bar de Gatineau.
Bon, et alors ?
Alors Léa Clermont-Dion, chroniqueuse de la revue Châtelaine, ayant eu vent de cette affaire, s’en est prise à l’actrice porno en invoquant le manque de dignité de cette dernière qui retentissait sur toutes les femmes.
Mal lui en a pris.
Publiée en ligne, sa lettre ouverte à la jeune femme souleva une bordée de commentaires peu amènes de la part de lectrices indignées. Ces dernières lui reprochaient son « attitude moralisatrice et condescendante » à l’égard de l’actrice porno, d’avoir « osé juger haut et fort les choix des autres », et, en plus, d’avoir parlé de tout cela sur un ton « très maternel et rabaissant ».
Et ces lectrices de lui faire à leur tour la leçon : elle aurait dû « comprendre » et « garder l’esprit ouvert à la différence », accorder à cette personne le respect « que chaque être humain mérite » d’autant plus « qu’on ne connaît pas son histoire ».
Dans ces réponses de lectrices, on vit défiler d’un seul coup, d’un seul, tous les « principes » actuels : compréhension, ouverture d’esprit, respect des différences et liberté individuelle bien sûr.
Elle avait bien le « droit », l’actrice porno, de faire ce qu’elle voulait, si c’était son « choix ». Elle avait notamment le « droit de contrôler son corps » et d’en faire par conséquent « ce qu’elle désire », y compris l’offrir en pâture à vingt-cinq inconnus sous l’œil impavide d’une caméra.
Cela vaut la peine, à mon avis, de réfléchir à ce que ces réactions veulent dire.
La liberté individuelle, conçue sous l’angle du désir ou de l’impulsion du moment (l’achat spontané), y est définie comme l’ultima ratio du comportement humain. L’une des lectrices écrit que « cette fille a fait son choix », une autre que « c’est son trip » et c’est très bien comme cela.
Il s’y ajoute un refus viscéral de tout jugement, avec, derrière des proclamations hautaines de tolérance (« je ne me permettrai pas de juger cette fille ») on trouve la démission de celle (ou de celui) qui se refuse à prendre « son propre jugement comme guide », rendant l’individu incapable de distinguer le bien du mal. C’est ce qu’Hannah Arendt (l’une de mes idoles) voyait comme étant à la racine de ce qu’elle appelle la banalité du mal. Cette apparente tolérance cache le fond d’indifférence à l’égard d’autrui qu’elle signifie. C’est ce qu’exprime bien une autre lectrice, avouant que « de toute manière, on s’en tape de ce qu’elle fait » !
On voit enfin émerger le refus de toute morale, cette dernière n’étant que l’expression d’un autoritarisme à jeter aux orties. C’est que la morale, dans l’esprit de ces lectrices, n’est qu’une entrave à la liberté d’avoir les désirs que l’on veut, des désirs qu’il ne s’agit ni d’évaluer, ni de jauger, encore moins de juger.
La morale se dissout alors dans ce que les moralistes, justement, appellent la barbarie ou l’abjection.
Lectrices de Châtelaine, continuez à écrire s’il vous plait, car vous nous révélez ainsi naïvement les dessous immondes de ce que vous croyez être la liberté, une liberté qui n’est qu’une licence qui vous emprisonne, avant de vous égorger.
(Écrit à partir d’un excellent article de mon collègue Patrick Moreau, professeur et rédacteur en chef de la revue Argument, dans le Devoir du 11 novembre 2014)