EN HOMMAGE À HÉLIE DENOIX DE SAINT MARC, CE HÉROS
Hélie Denoix de Saint Marc est né le 11 février 1922 à Bordeaux et décédé le 26 août 2013 à la La Garde-Adhémar.
Il entre de manière active dans un réseau de la Résistance dés février 1941, à l'âge de 19 ans (deux ans après, François Mitterrand en était encore à recevoir la Francisque du Maréchal Pétain). Dénoncé, il est déporté au camp de Langeinstein-Zwieberge où il bénéficie de la protection d'un mineur letton qui lui sauve la vie en partageant avec lui la nourriture et en assumant l'essentiel du travail à sa place. Lorsque le camp est libéré, Hélie de Saint Marc fait encore partie des trois pour cent de survivants, mais il gît inconscient dans la baraque des mourants et il a perdu la mémoire.
Il a vingt-trois ans, il prépare l'École spéciale militaire de Saint-Cyr et part en Indochine en 1948 avec la Légion Étrangère. Affecté au poste de Talung, à la frontière de la Chine, au milieu du peuple Tho, qui fait partie du groupe ethnique des Viets-Muongs. Les Tho sont aujourd’hui 68 000, soit un pour mille de la population du Viet-Nam.
Les troupes chinoises de Mao Tsé-toung exercent une pression de plus en plus forte à la frontière, ce qui contraint l’armée française à évacuer le poste et à abandonner le peuple Tho à son sort. Il lui faut donner des coups de crosse sur les doigts des villageois et des partisans qui veulent monter dans les camions, une scène qui se reproduira massivement en Algérie en 1962 aux dépens des harkis. Les survivants qui parviennent à rejoindre les troupes françaises repliées lui raconteront le massacre de ceux qui avaient coopéré les Français. Hélie de Saint-Marc n’a jamais oublié cet abandon qu’il appelle sa blessure jaune.
Lorsqu’il retourne en Indochine au sein du 2e BEP (Bataillon Etranger de Parachutiste) en 1951, c’est pour assister au désastre du repli des troupes françaises de la RC4 qui voit l'anéantissement du régiment frère, le 1er BEP. Il commande alors la 2e CIPLE (Compagnie indochinoise parachutiste de la Légion étrangère) constituée principalement de vietnamiens. C’est à cette époque qu’il fait la rencontre de trois hommes remarquables, qui disparaîtront tous avant la fin de la Guerre d’Indochine :
- Le général de Lattre de Tassigny, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient de 1950 à sa mort. Épuisé par le surmenage, il ne survit pas longtemps au décès de son fils Bernard, tué au cours de la campagne d'Indochine. Mort à Paris le 11 janvier 1952, il est élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume.
- Le chef d’escadron Rémy Raffalli, un niçois, commandant du 2e BEP, dont un camp militaire en Corse porte le nom. Mort en héros. Après avoir passé ses ordres au commandant Bloch, il commande une dernière fois son bataillon et se porte en première ligne où une balle sectionne sa moelle épinière. Transporté à Saigon, le message radio du 10 septembre 1952 est célèbre. Alors que le 2e B.E.P. est en pleine opération les postes-radio de ses commandants de compagnie grésillent: « Tous de Soleil, tous de Soleil, répondez. ». Lorsqu’ils répondent les uns après les autres, ils entendent le message suivant : « Le commandant est mort... la nuit dernière... à Saigon... »
- L'adjudant Bonnin dont il écrit ceci : « nom légion : Bonnin, adjudant à 27 ans (très rare) passé obscur, la plus belle figure militaire que j'ai connue. Saute sur une mine le 10 février 1952, avant de mourir dit au cdt de St Marc : « Il vaut mieux que ce soit moi qu'un de mes hommes », 3 séjours en Indo et 16 citations. » C’est à lui qu’Hélie de Saint-Marc a dédié son ouvrage « Les sentinelles du soir ».
À la guerre d’Indochine, perdue, succède pour Hélie de Saint-Marc la période de la Guerre d’Algérie.
Hélie Denoix de Saint-Marc en Algérie
Hélie Denoix de Saint-Marc quitte l’Indochine en 1954. Il rejoint Alger en 1957 avec le 1er REP, qu’il quitte pour devenir chef de cabinet du Général Massu.
Voici sa vision de l’Algérie et de sa mission:
"Nous avons été envoyés à Alger à la fin du mois de janvier 1957. La tension était palpable au moindre coin de rue. Chaque jour, les morts se comptaient par dizaines, les blessés par centaines…Le moindre retard d’un enfant suscitait des mouvements de panique. Les manchettes des journaux rivalisaient de titres sur cinq colonnes. La Casbah pouvait être grouillante de monde puis, dans la minute, devenir secrète. Personne ne s’y risquait plus seul.
Personne ne savait vraiment au nom de quoi au nom de qui nous combattions. L’assistance apportée aux musulmans ne pouvait suffire. Le contingent était présent en Algérie. Mais une armée de quatre cent mille hommes pouvait-elle rester indéfiniment ? Comment bâtir la paix ? Egalité des droits, fédération, association… De jour comme de nuit, ces débats nous accompagnaient. Nous pressentions tous qu'un orage était dans l’air, sans savoir ni où, ni quand, ni comment il allait éclater".
En avril 1961, il rejoint putsch des généraux à la tête du 1er régiment étranger de parachutistes qu'il commande par intérim. Il se refuse à abandonner les pieds-noirs et les harkis, comme il avait été obligé d’abandonner le peuple Tho:
"Lorsque j'ai répondu oui au général Challe, acceptant d'entrer dans la rébellion, je n'avais pas prémédité cette décision. Mais c'était la dernière pièce d'une sorte de puzzle fait d'engagements. Aussi contestable qu'elle puisse paraître aux yeux de certains, elle correspond à une suite logique dans ma propre vie, que je n'ai pas à regretter. Un homme doit toujours garder en lui la capacité de s'opposer et de résister. Trop d'hommes agissent selon la direction du vent. Leurs actes disjoints, morcelés, n'ont plus aucun sens. C'est là notre seule liberté. "
On sait que le coup d’État réussi dans un premier temps avant de s’effondrer au bout de trois jours. Hélie de Saint Marc refuse de s’enfuir:
"Je n'ai pas voulu me dérober. Les responsabilités que j'avais prises étaient trop lourdes. J'ai voulu couvrir entièrement mes subordonnés. Ils avaient agi sur mes ordres. Je ne pouvais pas les laisser seuls face à la justice."
Effectivement, il assume ses responsabilités en se constituant prisonnier :
"Je me souviens de la dernière nuit africaine, ma dernière nuit d'homme libre. Je revenais inlassablement sur l'enchaînement des évènements, qui m'avaient échappé. Après quatre nuits de fièvre, j'étais devenu "un félon", "un putschiste", "un amateur de pronunciamiento". Cette nuit de Zéralda était fraîche et pure. J'ai pensé à Don Quichotte, à cette foi qui va au-delà de la raison, à sa certitude que l'homme se mesure à ses rêves intérieurs. "
Hélie Denoix de Saint-Marc, debout devant ses juges…
Hélie Denoix de Saint-Marc, aujourd’hui Grand Croix de la Légion d’Honneur, passe sa mélancolique dernière nuit algérienne à Zeralda, dans l’attente des gendarmes qui viendront l’arrêter le lendemain.
Il se présente le 5 juin 1961 devant ses juges en leur faisant la déclaration suivante :
« Ce que j’ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, et puis encore la guerre d’Algérie...
En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l’adversaire, maintenir l’intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l’égalité politique.
On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire.
Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme.
Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes.
Nous y avons gagné l’indifférence, l’incompréhension de beaucoup, les injures de certains.
Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission.
Des dizaines de milliers de musulmans se sont joints à nous comme camarades de combat, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.
Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît.
Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu’il fallait apprendre à envisager l’abandon possible de l’Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d’un cœur léger.
Alors nous avons pleuré. L’angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.
Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d’abus de confiance et de reniement.
Nous nous souvenions de l’évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route.
Nous nous souvenions de Diên Biên Phû, de l’entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin.
Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés.
Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.
Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d’Afrique.
Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse.
Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et mechtas d’Algérie : « L’Armée nous protégera, l’armée restera. »
Nous pensions à notre honneur perdu…
Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l’espoir et la victoire.
Le général Challe m’a vu.
Il m’a rappelé la situation militaire.
Il m’a dit qu’il fallait terminer une victoire presque entièrement acquise et qu’il était venu pour cela.
Il m’a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s’étaient engagées à nos côtés.
Que nous devions sauver notre honneur.
Alors j’ai suivi le général Challe.
Et aujourd’hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er REP, car ils ont agi sur mes ordres. Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier.
On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer.
Oh ! je sais, Monsieur le président, il y a l’obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d’officiers qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l’avons connu, à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l’Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous sommes attachés aussi passionnément que nos provinces natales.
Monsieur le président, j’ai sacrifié vingt années de ma vie à la France.
Depuis quinze ans, je suis officier de Légion.
Depuis quinze ans, je me bats.
Depuis quinze ans, j’ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé.
C’est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d’honneur, que le 21 avril, à treize heure trente, devant le général Challe, j’ai fait mon libre choix.
Terminé, Monsieur le président. »
Mon commentaire sera encore plus simple et plus court. Pour un homme, ou une femme politique, les concepts d’honneur, de respect de la parole donnée sont vide de sens. Ils ne leur servent qu’à manipuler les imbéciles, les naïfs, les purs qui les écoutent pour leur malheur. Sur ce plan, Hélie de Saint-Marc a fait la même expérience que Jeanne d’Arc.
Dans le dernier blog que je lui ai consacré, le 19 janvier dernier, nous avons vu En réponse à la plaidoirie d'Hélie Denoix de Saint-Marc, ses juges aux ordres du pouvoir, comme les journalistes et comme toujours, lui infligent dix ans de réclusion criminelle.
Il se retrouve dans la prison de Tulle. Lisons le, ses mots exhalent la sincérité :
« Une heure, un jour, j’ai tout perdu. Je me suis retrouvé seul dans une cellule. J’ai compris alors la vanité de bien des choses et l’hypocrisie de bien des hommes. J’ai vécu les premiers mois de détention en référence constante aux camps de concentration. Ce souvenir me donnait de la force. Vingt ans plus tôt, j’avais tenu le coup. Pourquoi lâcher prise ? Le désarroi m’envahissait en pensant à ma femme, si jeune encore. Tout juste vingt-cinq ans et deux petites filles qui parlaient à peine. Dans la tempête, il est plus facile d’être seul. Quand on y entraîne les siens, les choses deviennent obscures.
Aujourd’hui encore, des souvenirs de coursive, de fenêtres ouvertes sur le béton, de nuits d’angoisse, d’ennui à couper au couteau, remontent parfois à la surface. Ce ne sont pas des images anodines. Le corps se met en berne, lourd et fatigué. Le ciel devient blafard. Je me suis senti soudain comme un prisonnier en cavale, dont l’esprit échafaude mille solutions pour ne pas être renvoyé en cellule. Aucune solidarité humaine ne pourra jamais empêcher l’enfermement d’attaquer les prisonniers dans ce qu’ils ont de meilleur. Comme la rouille érode le fer, la prison détruit. C’est un pourrissoir moral. L’uniformité des jours m’écrasait. J’étais nourri, chauffé, logé. Je n’avais plus aucune initiative, aucune responsabilité. Chaque heure, chaque minute, il fallait résister à la destruction de soi. Au fil des mois, l’angoisse devint mon ennemie familière : l’impuissance, l’accablement des aubes sans oubli, l’ennui monstrueux que rien ne pouvait combler. L’angoisse montait à intervalles réguliers, comme une marée puissante, bousculant les résolutions, la volonté, le courage. C’était une lutte exténuante qui se déroulait dans un cadre morne, toujours semblable, dont la règle était la régularité oppressante des horaires… »
Il est gracié au bout de cinq ans et quitte la prison de Tulle le jour de Noël, le 25 décembre1966:
« … À ma sortie, en dehors de l’oasis familiale, j’ai connu une sorte de trou noir. Je ne reconnaissais plus ni les lieux, ni les gens, ni les enseignes, ni les voitures. Je me sentais étranger dans un monde étranger. Je n’avais plus de papiers d’identité, plus de carnet de chèques, plus de maison, plus de métier. Pour de longs mois encore, j’étais un citoyen de second rang. On m’invita à Paris quelques jours, et ce fut pire encore. J’avais une sensibilité exacerbée, presque obsessionnelle, vis-à-vis de la vanité, de l’hypocrisie, des tiroirs à double-fond de la comédie humaine. On me posait des questions imbéciles sur ma détention. La moindre manifestation maladroite, qu’elle fût de mépris ou de flatterie, réveillait ma colère. Il s’en est fallu d’un rien pour que je bascule dans une délectation tragique et un puits d’amertume. »
Il s’installe alors à Lyon avec l'aide d’André Laroche, le président de la Fédération des déportés et il commence une carrière de cadre dans l'industrie, en tant que directeur du personnel dans une entreprise de métallurgie qu’il achève en 1988. Dix ans auparavant, il avait été rétabli dans ses droits civils et militaires.
Il avait toujours été reconnu par ses pairs, mais c’est désormais le temps de la célébrité et des célébrations. En 1995 sont publiés, grâce à Laurent Beccaria, Les champs de braises. Mémoires, un ouvrage couronné par le Prix Femina, catégorie essai. Puis Les Sentinelles du soir, en 1999 et Notre histoire (1922-1945), coécrit avec August von Kageneck en 2002.
Finalement, il est fait Grand'Croix de la Légion d'honneur, le 28 novembre 2011 par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, à 89 ans. C’est cet homme que vient de vilipender notre Premier Ministre, Manuel Valls…
Les textes entre guillemets sont extraits de son ouvrage autobiographique intitulé « Toute une vie » Éditions les Arènes, 2004.
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Je dédie à nouveau ce blog exceptionnel consacré à Hélie de Saint-Marc à mon ami Jean-Louis Hautier, trop tôt disparu, qui admirait à juste titre l’homme Hélie de Saint-Marc.