LA DYNAMIQUE SALAFISTE
Le financement saoudien et l’influence du wahhabisme ont joué un rôle dans la constitution des réseaux de mujāhidīn qui ont combattu l’U.R.S.S. en Afghanistan (1979-1989), précédant le développement de groupes terroristes dans les années 1990, et notamment d’Al-Qaida.
Cependant, la prise de pouvoir des talibans (1996-2001) a fait de l’Afghanistan un sanctuaire idéal pour Al-Qaida. Cette organisation a été la première à développer un programme de formation des combattants et des futurs cadres du salafisme révolutionnaire international. Auparavant, la guerre civile en Algérie (1991-1999) et les autres conflits des années quatre-vingt-dix, en Tchétchénie, en Bosnie et en Somalie, ont vu l’éclosion de nouveaux groupuscules terroristes. Ces derniers ont commencé à former une nébuleuse islamiste radicale et internationalisée qui s’est placée en rupture de ban vis-à-vis de la monarchie saoudienne, déjà excommuniée par Al-Qaida à partir de 1998.
Puis les attentats du 11 septembre 2001 ont constitué un tournant géopolitique majeur, puisqu’ils ont amené les Etats-Unis à déclarer que la lutte contre le terrorisme international était leur priorité, suivis sur cet objectif avec plus ou moins d’enthousiasme par des États européens largement désarmés.
Même si Al-Qaida était affaibli par l’intervention américaine en Afghanistan, par les frappes menées au Pakistan et par la liquidation d’Oussama ben Laden, cela n’empêchait ni des attaques-suicides spectaculaires comme à Casablanca, Madrid et Londres entre 2003 et 2005, ni la réorganisation d’Al-Qaida sous forme d’entités régionales au Maghreb, au Yémen et en Irak.
La déstabilisation de l’Irak après 2003, l’éclatement de la Syrie, du Yémen et de la Libye à la suite des printemps arabes de 2011 ainsi que l’instabilité grandissante de plusieurs pays à forte population musulmane, comme le Mali, le Nigeria, la Somalie, l’Afghanistan ou le Pakistan, ont permis le développement de groupes armés puissants se réclamant du salafisme.
Ces groupes ambitionnent, après Al-Qaida en Afghanistan, de contrôler des territoires conséquents comme le tente l’État islamique en Irak et en Syrie, afin de proclamer le rétablissement d’un califat, territoire reconnaissant l'autorité d'un calife successeur de Mahomet dans l'exercice politique du pouvoir. En même temps des attentats ponctuels frappent les pays occidentaux, en Grande-Bretagne, au Canada, en France ou au Danemark, mais aussi en Inde ou en Russie, qui émeuvent les opinions publiques.
Le fait est que les doctrines salafistes trouvent un écho persistant et croissant, avec une base stable dans la péninsule arabe, des développements militaires organisés au Moyen-Orient et en Afrique Sahélienne et des attentats à la périphérie de cette zone.
En particulier dans une Europe où le nombre de musulmans va rapidement croissant, l’influence du salafisme se veut visible, notamment au travers du développement des vêtements destinés à cacher le corps féminin.
Dans ces conditions, quelles sont donc les perspectives du salafisme ?
S’il rejoint dans sa critique de la société occidentale la plupart des religions quant aux effets de l’individualisme et du matérialisme sur les comportements humains, son originalité est de ne s’adresser qu’à ceux qui acceptent de se convertir à sa pratique spécifique de la religion musulmane. Pour ses adeptes, il offre alors une pensée globalisante qui permet d’échapper aux postulats de la société occidentale pour vivre littéralement dans un autre monde.
La stratégie du salafisme consiste à utiliser une violence extrême pour paralyser ses adversaires, neutraliser ses adversaires internes au sunnisme et compromettre ses adeptes. Les adeptes de la Terreur avaient fait de même lors de la Révolution Française.
Ce faisant, le salafisme divise radicalement le monde musulman. Il ravive violemment le conflit entre Chiites et Sunnites. Au sein des Sunnites dont il se réclame, toutes les composantes traditionnelles, modérées ou régionalement adaptées reprochent au salafisme une compréhension trop étroite du Coran et de la Sunna et la remise en cause de tous les pouvoirs en place, y compris le pouvoir wahhabite qui est pourtant lui-même salafiste.
Au total, l’avenir du salafisme s’inscrit dans trois dialectiques qui le lient intrinsèquement aux sociétés occidentales en général et européennes en particulier :
- Le salafisme est né, comme nombre de mouvements arabes, de la colonisation occidentale naturellement perçue comme injuste. Il s’appuie sur le retour aux origines de l’Islam afin de se venger des occidentaux.
- Il se nourrit aujourd’hui d’une critique de la société mondialisée qui voue les plus fragiles à une solitude glaciale. En retour, il offre un prêt à vivre global et collectif, qui conduit ses adeptes à aller jusqu’au terrorisme suicidaire pour démontrer à la face du monde le sérieux de leur révolte contre le système occidental.
- Il pose un problème global aux sociétés occidentales contraintes de répondre à un double défi, moral et terroriste. Il s’impose en particulier comme le mouvement capable d'obliger les sociétés européennes, de plus en plus démographiquement pénétrées par des populations musulmanes, à une prise en compte de droits et de styles de vie des salafistes.
Ce faisant, il constitue un outil politique qui contribue à désarticuler une Europe déjà fortement déstabilisée par les pressions démographiques, économiques et stratégiques qu’elle subit, au profit des puissances non européennes, asiatiques et américaines.