LES COOPS FACE À L'OBSESSION DU PROFIT
4 Mars 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
Si le monde économique n’est pas favorable à la règle d'égalité entre coopérateur, qui se traduit par « un homme, une voix », il ne l’est pas plus à la règle d'équité qui fait que la rémunération des apports en argent est limitée.
Dans les coopératives, le partage des résultats repose sur deux règles. La première, la règle d'équité, fait que la rémunération des apports en argent est limitée. D ‘ailleurs la loi limite cette rémunération pour les coopérateurs au niveau du taux moyen de rendement des obligations émises par les sociétés privées.
La seconde, la règle de justice, implique que la répartition des bénéfices se fasse au prorata des activités de chaque membre. Ainsi, dans une coopérative de consommation, les coopérateurs percevront des ristournes proportionnelles à leurs achats ; dans une coopérative agricole, les bénéfices distribués le seront proportionnellement aux apports de récolte ; dans une coopérative de crédit, les dividendes seront proportionnels aux emprunts ; dans une coopérative de production, les résultats distribués seront proportionnels aux salaires.
Toutefois, l'apparition d'associés non coopérateurs qui ne participent pas à l'activité de l'entreprise mais se bornent à apporter des fonds en vue d'en obtenir une rémunération rompt cette unité puisque leur intérêt n'est pas le même que celui des coopérateurs. Ces derniers sont intéressés par l'activité elle-même, que ce soit l’achat de biens, la transformation de produits ou l’accès au crédit, tandis que les non coopérateurs sont intéressés par le rendement de leurs apports.
Comme, l'activité est le but alors que la rentabilité n’est qu’un moyen pour les coopérateurs, ces derniers n’acceptent l’irruption de la logique de rentabilité apportée par les non coopérateurs que lorsque les moyens financiers manquent.
C’est ce qui est arrivé aux coopératives de consommation. Pourtant, les coopératives de consommation sont à l'origine du mouvement coopératif avec les pionniers de Rochdale et ont longtemps constitué sa colonne vertébrale. Dans les années 1970, elles ont connu leur apogée avec l'enseigne commune, Coop, qui rassemblait 400 coopératives en France, regroupant 3,5 millions de ménages et qui possédait une douzaine d'usines agro-alimentaires, une banque, une centrale d'achat. À peine, vingt ans après, dans la majeure partie des pays, les coopératives de consommation avaient perdu beaucoup de leur importance.
Il existe des exceptions comme, en Suisse, les douze coopératives régionales Migros qui détiennent, selon les produits, de 20% à 70% de parts de marché du commerce alimentaire de détail, et possèdent des usines, une banque et des hôtels. L'éthique coopérative se reconnaît chez Migros au refus de vendre des boissons alcoolisées et du tabac, à l’introduction de la notion de « bilan écologique » pour mesurer l'incidence environnementale des produits et de leurs emballages ou au commerce équitable avec des coopératives artisanales du Tiers Monde. De même, Coop Suisse rassemble vingt-huit coopératives régionales, ses usines et sa société d'assurances, et occupe la deuxième place, derrière Migros, dans le commerce de détail helvétique.
En revanche, en Grande-Bretagne, en Allemagne, au Québec, en France, les coopératives de consommation n'ont pas été capables de s'adapter au tournant commercial des années 1970, qui a vu les grandes surfaces en libre-service se substituer au commerce de proximité.
Face à un petit commerce peu concentré, les coopératives n'avaient pas de mal à être compétitives grâce à un système centralisé d'approvisionnement. Mais, face à un réseau de grandes surfaces, la compétitivité dépendait de la capacité à réaliser des ventes de masse et de la pression que cela permettait d'exercer sur les producteurs.
Doubler les ventes au mètre carré permet de diviser par deux la marge commerciale, quand rémunérer faiblement le capital ne permet que de gagner un ou deux points : les grandes surfaces « capitalistes » ont fait baisser les prix de vente dans le commerce de détail beaucoup plus fortement que les coopératives, même les mieux gérées, n'y étaient jamais parvenues.
En somme, pour les coopératives alimentaires, c'est le nombre d'acheteurs qui fait désormais la performance et non la capacité à comprimer les profits. L’importance du management s’efface devant le pouvoir de marché…