L'ODYSSÉE DE L'AX
Avec ce blog, j’introduis un interlude entre les articles assez sérieux qui se sont succédé dans mon blog.
Il y a longtemps que j’avais pensé acquérir une petite voiture pour rouler à Nice. J’ai failli à plusieurs reprises vendre ma berline familiale contre une petite auto. Mais finalement je n’ai pu m’y résoudre. J’ai donc trouvé à acheter dans l’Ariège une AX de 12 ans avec, miraculeusement, peu de kilomètres. J’ai traité avec un garagiste d’autrefois qui ne voulait ni avance, ni chèque de banque. Dans l’Ariège, m’a t-il déclaré au téléphone sans me connaître, on fait confiance. En l’occurrence, il avait raison.
Pour aller chercher l’AX, j’ai pensé qu’il serait approprié de prendre le bon vieux train d’autrefois, mais comme le prix du billet de train dépassait celui de l’avion, je me suis résigné à prendre ce dernier, un avion…Corse pour rejoindre Toulouse. Les hôtesses nous ont fait bénéficier d’un petit morceau de l’émouvante hospitalité corse jusqu’à l’atterrissage à l’aéroport de Toulouse-Blagnac.
Ma sœur et mon beau-frère m’attendaient carrément dans la salle de récupération des bagages, une convivialité aéroportuaire comme on n’en connaît plus depuis que la phobie du terrorisme a transformé les aéroports en camp de transit pour on ne sait quelle déportation. Bref, ils étaient là avec leur propre AX, ce qui m’a permis de m’habituer à l’engin.
Le lendemain, après un petit-déjeuner roboratif et partagé en famille, nous nous sommes rendu au garage de notre vendeur. La brume entourait d’un halo mystérieux la route nationale menant vers Pamiers, tandis que les majestueuses Pyrénées se révélaient lentement à l’horizon. Le garagiste était à son poste et l’AX aussi. Le véhicule, première main, appartenait à une gente dame de Foix qui s’en était fort peu servie, sa bucolique couleur verte rutilant comme si elle avait passé douze ans au garage. Formalités accomplies, nous nous sommes dirigés vers un magasin d’autoradios. Le vendeur nous a proposé d’office le premier prix, jugeant déplacé de me faire dépenser plus.
Il ne restait plus qu’à m’élancer sur l’autoroute. M’élancer ? Ce n’était pas le mot exact. Je proposais à l’AX de s’habituer à moi et à l’idée de parcourir d’un coup six cent kilomètres d’asphalte en commençant par les petites routes agrestes qui traversent l’Aude avant d’atteindre la redoutable autoroute Toulouse Narbonne.
L’AX et moi, nous nous sommes résolument insérés au milieu de ces limousines et de ses camions qui n’hésitaient pas à se ruer à des vitesses proches de 130 kilomètres/heure ! L’AX, que j’avais prudemment placée sur la file de droite, presque d’extrême droite, a dû se résoudre à monter en puissance. 80, 90, 100, 110 kilomètres ont été atteints sans rechigner. Aller plus vite semblait un peu téméraire. Et puis, il allait falloir tenir six heures à ce rythme infernal sans désemparer. Rude épreuve pour une mécanique habituée à se reposer sur de douillets parkings ariégeois tous les trente kilomètres. J’avais l’impression de la trahir…
Par ailleurs, l’AX et moi sentions par de petits signes des autres conducteurs que nous gênions. Quelques queues-de-poisson, des véhicules qui s’installaient à quelques centimètres du délicat pare-choc arrière de l’AX, parfois des appels de phares ou d’avertisseur nous signifiaient que nous étions à peine tolérés sur ce trajet destiné aux gens sérieux.
Accélérer ? Mais jusqu’à quelle vitesse ? Alors, l’AX et moi, nous avons improvisé, négocié, accélérant parfois à la limite du supportable pour elle, ralentissant dès que possible, nous laissant aspirer par de gros camions. Les techniques que j’utilisai autrefois avec mes 2CV me revenaient au bout du pied droit, se faire aspirer, déboîter brusquement en surveillant le rétroviseur, doubler audacieusement puis se rabattre prudemment. En revanche, je me riais des vitesses limitées traîtreusement à 110 ou à 90, car l’AX s’y pliait avec délectation. Ce n’était pas elle qui m’aurait fait perdre les quelques points qu’avait bien voulu laisser sur mon permis le féroce Ministère de l’Intérieur!
Il fallut tout de même s’arrêter de temps en temps pour laisser souffler le puissant moteur d’un litre et me permettre d’oublier le ronflement des pistons en folie. Carcassonne, Narbonne, Béziers, Sète, Montpellier, Nîmes, Arles, le soleil descendait à l’horizon, la musique de l’autoradio perçait au travers des bruits divers qui jaillissaient de toutes parts, moteur, filets d’air rageurs, roulement des pneus neufs, grondement des massifs véhicules qui couraient le long de la frêle AX comme des chiens dépassant le gibier sur leur lancée.
Au cours du trajet, je revoyais en pensée les dizaines de milliers de kilomètres que j’avais parcourus dans des conditions semblables au volant de mes trois 2CV et de mes quatre Dyane. Il n’aurait pas fallu grand chose pour que je me croie encore en train de parcourir les interminables autoroutes menant vers la Scandinavie ou les mélancoliques routes vers Dijon, ou même les nostalgiques retours vers Lyon. Le même bruit, la même lenteur, la même solitude, le même espace intemporel et la même marque d’automobile.
Mais Aix-en-Provence dépassée, la Côte d’Azur approchait. La nuit était tombée, les phares fonctionnaient comme dans une voiture moderne, les véhicules concurrents allaient encore plus vite, la circulation s’intensifiait, les péages devenaient de plus en plus fréquents, Mandelieu, Cannes, Antibes, la route demandait une extrême concentration au moment où la fatigue se serait fait sentir si la proximité de l’écurie n’avait pas revivifié le sang dans le cerveau engourdi et les pistons dans le moteur surchauffé.
Je faisais découvrir à l’AX le virage pour quitter l’autoroute et rejoindre la Promenade. Elle ne le savait pas, mais ce serait désormais son terrain de manœuvre. Elle l’aborda sans anicroche, quitta la Promenade des Anglais, gravit la côte et se mit en place pour entrer en marche arrière dans le jardin. Pas question de la laisser dehors à la merci d’un quelconque rufian amateur d’AX vertes…
Sous l’auvent, la berline dormait. Elle ne vit pas la petite AX se glisser devant elle avec effronterie, elle ne sut pas qu’elle n’aurait plus désormais à frotter sa carrosserie dans la jungle urbaine, que la petite nouvelle le ferait à sa place. L’interlude s’achevait, c’était presque dommage…
Depuis cette odyssée, l’AX verte a parcouru les tranquilles voies plus ou moins rapides de Nice, avant de repartir vers de nouvelles aventures : elle fait désormais le bonheur quotidien d’une amie…