LE NOEUD GORDIEN
Le referendum grec s’est déroulé hier, le sujet portant sur l’acceptation ou le refus des propositions aujourd’hui caduques de la « troïka ».
Tout le monde s’accorde sur la clarté du résultat, avec 61,31% de refus des propositions précédentes. Il y a eu 62,50% de votants, autant que lors des dernières élections législatives. Les votants ont donc nettement approuvé la politique européenne conduite par le Premier Ministre Grec, Alexis Tsipras.
On peut toujours gloser sur la responsabilité des uns et des autres, mais la seule question qui vaille est de mesurer l’enjeu des négociations à venir et d’essayer d’en tirer les conséquences pour l’Europe.
Dans cette perspective, je vous rappelle la conclusion de mon dernier blog:
On peut espérer plutôt qu’attendre que Mesdames Lagarde, Merkel et les autres dirigeants européens se comportent en politiques adultes et renoncent à punir la Grèce comme en 1914 l’Autriche et l’Allemagne se convainquirent de punir l’insolente Serbie. Ils pensaient alors conjurer le risque d’une guerre européenne, comme aujourd’hui Madame Merkel croit pouvoir châtier la Grèce sans faire éclater l’Europe. Elle ferait mieux, selon mon point de vue, de contribuer à un plan européen crédible en vue de son redressement économique et social.
Je maintiens ce que j’ai écrit, car je crains que Madame Merkel, contrainte par son opinion publique violemment hostile à la Grèce, ne la précipite dans une banqueroute, avec en prime une sortie de l’Euro, qui certes, montrera aux Grecs ce qu’il en coûte de s’opposer à l’Allemagne, mais mettra toute l’Europe dans des difficultés bien plus onéreuses que le report de la dette grecque.
Mais l’opinion allemande est d’humeur punitive.
Mais les statuts de la BCE ne « permettent » pas de reporter les échéances de la dette.
Mais les pays du Sud, Espagne en tête, ne « peuvent » pas être encouragés à renégocier la dette.
Face à toutes ces « impossibilités », je crains que François Hollande ne soit pas en mesure de mettre en échec la furia allemande.
Et c’est ainsi, que renversant les prémisses du calcul de Jean Monnet, la politique financière conduite par l’UE est en train de détruire le consensus européen.
Il est en effet utile de se rappeler comment la construction européenne a été conçue. Fondée sur la convergence économique, elle devait progressivement contraindre les peuples européens à devenir de fait solidaires et à construire une union européenne de plus en plus étroite, qui deviendrait finalement un État fédéral. D’ailleurs à toutes les objections sur le mauvais fonctionnement de l’Union Européenne, les europhiles répondent invariablement que la solution est « Plus d’Europe ».
Or c’est l’inverse qui est en train de se dérouler. Plus l’Europe financière avance, et plus les antagonismes s’intensifient. Plus d’Europe ? Plus de chômage ? Plus d’endettement ? Plus de conflits ? Car les faits montrent que l’Europe du Nord continue à se développer de manière équilibrée avec l’aide provisoire de l’Europe de l’Est, tandis que l’Europe du Sud diverge vers le bas. Il faudrait donc un lourd transfert de fonds du Nord vers le Sud, en faisant l’hypothèse audacieuse que les Grecs, les Espagnols ou même les Français finissent par ressembler suffisamment aux Allemands, aux Hollandais ou aux Finlandais pour que ce transfert soit un jour inutile.
Les cris d’orfraie poussés par les opinions publiques du Nord quant à l’éventualité d’un soutien à long terme de la société grecque augurent mal de tels transferts. On invoque à ce propos tous les péchés du gouvernement grec, son incurie, sa gabegie ou l’horrible habitude des Grecs de fuir l’impôt et on les invite à se « réformer ».
Se réformer ? Changer en peu de temps, dans l’état présent de faillite de l’économie grecque, tout le système étatique et la société grecque ? C’est une perspective qui relève d’un cauchemar technocratique. Car on relève que depuis dix ans les gouvernements grecs successifs n’ont « rien » changé, sauf pour appauvrir le pays, mais on ne se demande pas pourquoi. On accuse même Alexis Tsipras de ne pas avoir tout changé en six mois ! Et Chirac, Sarkozy, Hollande, qu’ont-ils changé en vingt ans ? Car, dans une société grecque tendue à l’extrême où les antagonismes deviennent de plus en plus forts, c’est la guerre civile et la dictature qui seraient le résultat d’une telle tentative d’accouchement au forceps d’une nouvelle société.
Si les Allemands le veulent, laissons donc Madame Merkel abandonner la Grèce à son triste sort. L’opinion du Nord croira s’être débarrassé d’un problème marginal, mais c’est toute la construction Européenne qui explosera, le syndrome grec venant empoisonner les relations politiques entre le Nord et le Sud.
Au total, c’est la discorde qui nous guette.
Dans mon dernier blog, je comparais le processus actuel à celui qui se déroula en 1914, chacun se lavant les mains de la responsabilité de la guerre qui détruisit l’Europe.
Je maintiens : en ce mois de juillet 2015, nous prenons hélas la même route, la mobilisation générale en moins…