PAIN AU CHOCOLAT
3 Avril 2016 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
La veille du 1er avril, sortant de la Faculté de Droit, la conscience tranquille et le ventre vide, je décidais d’acheter un pain au chocolat sur mon chemin, en l’occurrence l’avenue de la Californie.
Je me présentais à une première boulangerie proche du carrefour Magnan. À cette heure tardive, 18 heures, elle ne disposait plus de pains au chocolat. Normal.
J’en sortis pour me diriger vers une deuxième boulangerie sur le même trottoir, deux cent mètres plus loin, espérant y trouver mon bonheur. Las, depuis mon dernier passage elle s’était transformée en boulangerie orientale. Si elle débordait de gâteaux mielleux, pas de pains au chocolat en vue.
Gardant la foi, je n’hésitais pas à entrer dans l’hôpital Lenval où je savais que l’on trouvait une boutique offrant entre autres des viennoiseries. Mais voilà, malgré l’horaire affiché qui indiquait son heure d’ouverture jusqu’à 19 heures, elle était fermée à 18 heures 05.
Sans me démonter, je traversais l’avenue de la Californie, à mes risques et périls compte tenu de l’intensité des chantiers en vue du futur tramway, pour atteindre un coffee shop où je voyais de mes yeux trois pains au chocolat en vitrine. La coffee shop girl jouait avec un chien devant la boutique, un chien dont elle me vanta les mérites. Mais lorsque je lui demandais un des,pains au chocolat qu’elle exposait dans sa vitrine, ne daignant pas lâcher le chien pour un aussi faible revenu, elle m’indiqua sèchement que le coffee shop que je voyais ouvert devant mes yeux, était…fermé.
J’avoue que ma foi vacilla un instant. Mais je me repris. Je partis vaillamment à l’assaut de la dernière boulangerie placée sur ma route, au coin de la Californie et de Fabron. J’y entrais avant de faire la queue, comme toujours. C’est que le système de paiement sophistiqué qui consiste à insérer des pièces ou des billets dans une machine prend du temps. Il s’agit apparemment d’empêcher que les employés empochent le montant des ventes, ce qui témoigne brillamment de la confiance limitée des artisans qui l’utilisent dans leur capacité à recruter des employés honnêtes. Le revers de la médaille est qu’il faut quatre fois plus de temps pour encaisser que pour servir un pain.
J’arrive enfin face à la vendeuse à qui je demande l’un de pains au chocolat que je vois dans la vitrine à ma droite. Elle opine tout en me demandant de payer d’abord. C’est bien naturel pour un produit aussi précieux. J’insère une pièce dans la machine qui daigne, après un temps d’hésitation, me rendre la monnaie assez bas pour me permettre un bon petit exercice de flexion. Elle se dirige alors vers une étagère à gauche et me livre effectivement, malgré ma surprise, un authentique pain au chocolat.
Merci la machine, merci la vendeuse, je sors prestement de la boulangerie, tourne à gauche vers ma demeure, enfourne le pain au chocolat dans ma bouche et ressens aussitôt une résistance spongieuse qui révèle un pain au chocolat conçu au plus tard le 30 mars. J’hésite un instant. Vais je nonobstant me résigner à l’engloutir ? Mais non, je suis d’humeur combative ce soir là, je rumine ma devise « Never surrender » et je retourne derechef à la boulangerie décidé à m’en payer un autre, s’il le faut.
Je refais la queue qui s’est allongée depuis mon premier passage, avant de signaler à la vendeuse que son pain au chocolat possède des qualités désormais plus historiques que gustatives. Elle proteste faiblement, mais me donne LE pain au chocolat que je lui désigne à droite de la vitrine et pas à gauche sur ses étagères perfides. Je lui tends le produit usager qu’elle jette sans un regard. Dans un geste chevaleresque, elle refuse même le paiement du produit neuf.
Je ressors de la boulangerie, je tourne à gauche vers ma demeure, enfourne le pain au chocolat dans ma bouche et…
…Je le mange,
L’estomac enfin repu,
Toujours la conscience tranquille,
Mais l’esprit au repos.