LE GRAND DÉRANGEMENT, PRÉLUDE À LA GUERRE TOTALE
L'IGNOBLE COMPORTEMENT DES AUTORITÉS BRITANNIQUES ENVERS LES ACADIENS
Il s’en faut encore de deux ans pour que la guerre soit officiellement déclarée entre le Royaume de France et celui de Grande-Bretagne, mais un état de conflit s’était de fait installé en Amérique du Nord.
Le défi est considérable pour la Grande-Bretagne qui possède un empire colonial très peuplé en Amérique du Nord, quoique peu étendu. Si la Grande-Bretagne ne possède pas d’armée puissante, elle détient l’atout maitre de la Royal Navy qui lui permet de maîtriser le commerce maritime, de conquérir des colonies et de porter le conflit sur les côtes de ses adversaires.
Elle va utiliser à plein cet avantage décisif pour conquérir toute l’Amérique du Nord aux dépens de la Nouvelle-France qui représente un adversaire redoutable avec ses milices et ses alliés amérindiens. Ces milices de la Nouvelle France rassemblaient tous les hommes valides âgés de 16 et 60 ans, habiles à la guerre d'embuscade, dotés de leur propres équipements, fusils, plomb, poudre et mèches, complétés le cas échéant par les fournitures de l’intendance militaire des trois gouvernements régionaux de Québec, Trois-Rivières et Montréal.
En outre, armées de couteaux, de haches et de fusils, presque toutes les nations amérindiennes combattaient avec les Français, ce qui montre par contraste l’impopularité des colons britanniques auprès des Indiens. Naturellement, les Indiens excellaient dans les embuscades et les attaques surprises.
Après « l’exploit » de Washington et ses suites, les troupes françaises avaient la main sur l’Ohio en ce mois de juillet 1754. Pour y répondre, les Britanniques firent l’effort d’envoyer deux régiments en renfort puisés sur leur maigre armée et de fournir 2 000 mousquets et 10 000 £, afin de lever des troupes coloniales, les Rangers, utilisés pour monter des embuscades et les Colonial Pioneers, destinés à construire et maintenir les fortifications, batteries et campements britanniques.
Une réponse politique à l’ouverture des hostilités fut également donnée par le congrès d’Albany en juin-juillet 1754. Son but était d’organiser les relations avec les Indiens, qui paraissaient stratégiques dans le conflit à venir. Si le plan qui fut retenu ne fut jamais appliqué, ses principes annonçaient ceux de la Confédération pendant la guerre d’Indépendance.
Aussi l’année 1755 voit les escarmouches se multiplier entre les Français et les Britanniques. Dans l’Ohio, les Britanniques attaquent sans succès Fort Niagara et se confrontent aux troupes franco-indiennes autour de Fort Duquesne. Les soldats britanniques sont deux fois plus nombreux que les Français et les Indiens, 2000 contre 900, mais ils sont tout de même vaincus par les tactiques de guérilla de leurs adversaires. Dans la région du Lac Champlain, le commandant des troupes françaises en Nouvelle-France tente de s’emparer du Fort Edward, échoue et est fait prisonnier par les Britanniques.
Puis l’amiral Edward Boscawen établit un blocus à l'entrée du Golfe du Saint-Laurent avec 11 vaisseaux de guerre afin de tendre une embuscade au vice-amiral Dubois de La Motte partit de Brest le 3 mai 1755 avec une escadre de 22 vaisseaux et des troupes régulières en renfort pour la Nouvelle-France, qui n’est donc nullement abandonnée à son sort. Quelques navires français sont capturés. La tension s’accroit entre les deux royaumes qui va conduire à la déclaration de guerre officielle du printemps 1756.
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Mais le drame éclate ailleurs, en Acadie. La France a cédé le territoire aux Britanniques depuis le traité d’Utrecht en 1713, qui se nomme désormais la Nouvelle-Écosse. En 1754, les victoires françaises dans la vallée de l'Ohio inquiètent fortement les colonies britanniques. Le gouverneur Charles Lawrence discute avec William Shirley, gouverneur du Massachusetts, de la possibilité de remplacer les Acadiens par des colons anglo-américains.
Il rencontre des délégués acadiens afin d’exiger d'eux un serment d'allégeance inconditionnel envers le roi d'Angleterre qui les contraindraient à servir dans l’armée britannique contre l’armée française. Les délégués des Acadiens refusent, ce qui est tout à leur honneur.
En conséquence, Charles Lawrence, honte à lui, ordonne en juin 1755 à ses subordonnés britanniques dans chaque district d'attirer les hommes français dans les ports, de les y arrêter et de les y détenir. Des navires viennent les chercher pendant que d'autres troupes, les hommes partis, s’en vont lâchement arrêter les femmes et les enfants chez eux. Les déportés sont divisés par groupes, puis embarqués sur les navires à destination des différentes colonies britanniques.
Ce fut ce que les Acadiens appellent le Grand Dérangement, qui s’achèvera par l’installation, cette fois-ci volontaire, d’une partie des descendants des Acadiens en Louisiane, les Cadiens. En tout, ce furent dix à quinze mille Acadiens qui furent déportés, tandis que deux à trois mille parvenaient à s’échapper au Québec.
Cette expropriation et déportation massive des Acadiens constitue ce que l’on peut appeler aujourd’hui une opération de nettoyage ethnique de grande envergure, compte tenu de la démographie de l'époque. Elle montre, au delà de leur fourberie, l’intensité de la détermination britannique à chasser à tout prix le pouvoir français d’Amérique du Nord.
Désormais, dès le printemps 1755, un an avant la déclaration de guerre officielle entre les Royaumes de France et de Grande-Bretagne, les deux protagonistes s’approchent rapidement de l’affrontement total, avec le blocus sans déclaration de guerre pratiqué par la Royal Navy envers une marine française qui veut maintenir l’accès à la Nouvelle-France pour soutenir ses colons.
À SUIVRE