L'INCROYABLE VICTOIRE DE FORT CARILLON I
En cette année 1758, les Anglais se préparent à attaquer la Nouvelle France avec des forces considérables, bien supérieures en nombre et en moyens à celles dont dispose le marquis de Montcalm.
C’est le résultat de la stratégie logique de William Pitt, qui a décidé de se mettre en position défensive en Europe, où les troupes françaises sont fortes, pour passer à l’attaque contre la Nouvelle-France qui est faiblement protégée. Trois axes d’attaque sont planifiés en même temps, Fort Duquesne à l’ouest, Louisbourg à l’est et Fort Carillon au centre.
À l’est, nous avons vu dans mon dernier blog sur ce sujet (La victoire française et l’évacuation de Fort Duquesne en 1758) que les Français, quoique vainqueurs, vont être contraints fin novembre 1758 d’évacuer la place stratégique majeure de Fort Duquesne, compte tenu d’un rapport de force d’un contre douze.
Au centre, Fort Carillon constitue le verrou qui empêche les troupes britanniques de monter vers Montréal, deux cent kilomètres plein Nord. L’offensive a été confiée au General James Abercombrie, secondé par le brigadier général George Howe. Ils rassemblent une énorme force de seize mille hommes, dont six mille issus de troupes régulières et dix mille provenant de milices du Connecticut, du Massachusetts, de New York, de New Jersey et de Rhode Island.
Le 5 juillet 1758, ces troupes sont embarquées sur des navires qui naviguent de nuit pour les déposer au nord du lac George. Côté français, le commandant de Fort Carillon, le Colonel François-Charles de Bourlamaque, sait depuis le 23 juin qu’une offensive majeure est en cours contre lui et, par ses éclaireurs qui sont toujours bien informés, il connaît approximativement l’importance des troupes engagées.
Montcalm le rejoint le 30 juin et découvre une garnison de trois mille cinq cent hommes faiblement encadrés, avec des réserves de nourriture pour neuf jours de siége seulement. Compte tenu de l’effectif impressionnant des troupes ennemies et des capacités de résistance limitées du fort, il opte pour une stratégie défensive élastique.
Pour ce faire, il détache immédiatement Bourlamaque et trois bataillons pour défendre le passage au nord du lac George, à 10 kilomètres au sud de Fort Carillon. Montcalm lui-même installe un camp avancé dans une scierie, tout en faisant renforcer les défenses à l’extérieur du fort. Il demande aussi au Gouverneur Vaudreuil de lui envoyer en renfort les quatre cent hommes du Chevalier de Lévis qui devaient rejoindre les forts de l’ouest de la Nouvelle-France ; ils se mettent en route depuis Montréal vers Fort Carillon le 2 juillet. On le voit, Montcalm faisait feu de tout bois.
Le 5 juillet, Bourlamaque apprend l’arrivée de la flotte britannique et envoie le capitaine Trépezet avec trois cent cinquante hommes pour l’observer et dans la mesure du possible, l’empêcher de débarquer. Mais cette flotte est si importante qu’elle pourrait « couvrir tout le lac George », selon le rapport du capitaine Trépezet.
Il est donc impossible de s’y opposer frontalement et Montcalm ordonne aussitôt la retraite à Bourlamaque. Il doit même s’y reprendre à trois fois, car ce dernier croyait dur comme fer pouvoir résister à cette marée humaine avec quelques centaines d’hommes ! Mais Trépezet et ses trois cent cinquante hommes n’exécutent pas la retraite assez rapidement et se trouvent isolés, d’autant plus qu’ils sont abandonnés par les Indiens effrayés par l’immense flotte britannique.
Le 6 juillet les troupes françaises construisent des retranchements sur les routes qui conduisent au fort, un kilomètre au nord, tandis que les troupes britanniques débarquent sans opposition au nord du Lac George. Elles se mettent en marche aussitôt en passant par l’ouest du chenal qui relie le lac George et le lac Champlain, car elles ne peuvent pas emprunter sur le côté est le chemin de portage dont Montcalm a fait détruire les ponts.
Les troupes ont du mal à avancer en raison de l’épaisseur de la forêt. De plus, au lieu dit Bernetz Brook, elles se heurtent dans l’après-midi au détachement du capitaine Trépezet en pleine retraite. Le général Howe est immédiatement tué par une balle de mousquet, tandis que des miliciens du Massachussetts coupent la retraite des Français. Cent cinquante d’entre eux sont tués, cent cinquante capturés et cinquante s’échappent à la nage, dont Trépezet qui meurt le lendemain des blessures qu’il a reçues pendant la bataille.
C’était bien la peine de faire venir quatre cent hommes à marche forcée de Montréal pour en sacrifier trois cent cinquante dans l’affolement du repli !
De leur côté, les Anglais étaient démoralisés par la mort de leur commandant en second, le général Howe, qui était beaucoup plus capable qu’Abercombrie. De plus, ils étaient épuisés par la marche à travers les bois épais, d’autant plus qu’ils ne s’étaient guère reposés après avoir leur navigation de nuit. Ils décidèrent de dormir dans la forêt et de retourner le lendemain 7 juillet à leur point de débarquement.
À SUIVRE