L'INCROYABLE VICTOIRE DE FORT CARILLON II
Le 7 juillet 1758, Abercombrie envoya un détachement commandé par le Lieutenant Colonel John Bradstreet le long du chemin de portage pour reconstruire le pont détruit. Le reste de l’armée suivit et s’installa prés de la scierie. Les éclaireurs et les prisonniers lui rapportèrent que Montcalm avait six mille hommes avec lui, alors qu’il n’en avait que la moitié. Ils ajoutèrent aussi que Montcalm attendait un renfort de trois mille hommes alors qu’il en attendait quatre cents qui pouvaient arriver à tout moment.
Abercombrie envoya son ingénieur, le Lieutenant Mathew Clerk, reconnaître les défenses françaises qui lui rapporta que ces dernières étaient faibles et qu’elles pouvaient être prises même sans artillerie. Il ne s’était pas rendu compte que les fortifications étaient camouflées par des branchages, car le jour même Montcalm avait fait installer des rangées d’abattis d'arbres dont les extrémités avaient été durcies au feu devant les retranchements du Fort Carillon.
Ce dernier, situé sur une pointe au sud du lac Champlain, était entouré d'eau sur trois de ses côtés tandis que, sur son quatrième côté, il était en partie protégé par un marécage et en partie fortifié, appuyé qu’il était par trois batteries de canon.
La faiblesse supposée du fort et l’arrivée imminente des supposés trois mille hommes de Lévis convainquirent Abercombrie d’attaquer dés le lendemain, tandis que Lévis ralliait le soir même le fort, avec quatre cent hommes seulement, mais qui constituaient cependant un renfort bienvenu.
Le matin du 8 juillet, deux précautions valant mieux qu’une, Clerk entreprit d’observer à nouveau les défenses françaises et parvint à la même conclusion que la veille : la place pouvait être prise d’assaut.
Abercombrie avait décidé d’attaquer selon trois colonnes. L'infanterie légère du colonel Thomas et les Rogers’s Rangers commencèrent par repousser les éclaireurs français dans le Fort. Suivit l’avant garde constituée par les miliciens recrutés dans les États de New-York et du Massachusetts puis trois colonnes de troupes régulières, celle de droite commandée par le colonel William Haviland, celle du centre par le lieutenant-colonel John Donaldson et celle de gauche par le lieutenant-colonel Francis Grant à la gauche. En réserve, les milices du Connecticut et du New Jersey attendaient.
De son côté, Montcalm avait aussi organisé ses forces en trois brigades et une réserve. Il s’était réservé le centre du dispositif où il commandait le Régiment Royal-Roussillon et le Régiment de Berry ; à sa droite, Lévis commandait les Régiments de Béarn, de Guyenne et de la Reine et à sa gauche Bourlamaque commandait les Régiments de La Sarre et de Languedoc. De plus, les canons des redoutes protégeaient les flancs, même si la redoute de droite n’était pas achevée. Enfin, l’espace découvert entre le flanc gauche de Bourlamaque et la rivière La Chute était fermé par une milice de La Nouvelle-France et par les troupes de marine.
Abercrombie avait programmé le début des combats à 13 heures, mais les milices de New-York engagèrent le combat une demi-heure plus tôt. Cette précipitation poussa Haviland à attaquer aussitôt alors que ses troupes n’étaient pas encore en position, ce qui engendra désordre et absence de coordination.
La colonne de droite attaqua donc la première, suivie des colonnes du centre et de gauche et même d’une partie de la réserve, qui brulait d’engager le combat. L’abattis devint rapidement un cimetière et la première vague d’attaque se révéla un échec. Mais Abercrombie persista à lancer de nouvelles attaques, en partant du postulat que les défenses françaises pouvaient facilement être prises d’assaut.
À 14 heures, il fit envoyer des barges britanniques avec de l'artillerie lourde qui descendirent, contrairement au plan initial, le canal entre une île et la rive, ce qui les amena à portée des canons du fort qui coulèrent deux barges, ce qui fit battre les autres en retraite. En même temps, il ordonna aux réserves du Connecticut et du New Jersey d'entrer dans la bataille avant de les rappeler lorsqu’il devint clair que l’attaque avait échoué, mais une partie d’entre elles continua à attaquer.
À 17 heures, une offensive désespérée réussit finalement à atteindre le mur du fort où les soldats britanniques furent tués à la baïonnette. La tuerie continua jusqu'au coucher du soleil.
Au coucher du soleil, prenant acte du désastre, Abercrombie ordonna à ses troupes de se replier jusqu’à un espace dégagé sur le lac George. La retraite au travers de la forêt s’effectua dans la panique, car la rumeur courrait d’une attaque des Français.
De son côté, Montcalm, inquiet d’une contre-attaque anglaise et conscient de la fatigue de ses troupes après une longue journée de bataille, leur fit livrer des barils de bière et de vin. Ses troupes passèrent la nuit à se reposer et à préparer les défenses pour faire face à une éventuelle contre-attaque, qui ne vint jamais.
Le 9 juillet, l'armée anglaise remonta le lac George pour regagner sa base au coucher du soleil. Elle avait perdu environ mille hommes dans la bataille principale auxquels s’ajoutaient mille cinq cents blessés, sans compter la centaine de tués et de blessés de l’accrochage de Bernetz Brook contre les troupes du capitaine Trépezet. De leur côté, les Français avaient perdu cent quatre morts et deux cent soixante treize blessés dans la bataille principale auquel s’ajoutait la quasi perte du détachement Trépezet.
Cette victoire inespérée à un contre quatre que remporta Montcalm retarda d’une année l’invasion de la Nouvelle-France. Mais il fallut, le 27 juillet 1759, évacuer le fort et le détruire pour défendre Québec menacé. Le fort fut occupé sans effort par Jeffery Amherst qui le reconstruisit et le nomma fort Ticonderoga, en iroquois « la place entre deux grandes eaux».