LE BAPTÊME DU FEU
22 Novembre 2016 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Dans le blog du 4 octobre dernier « Ma stratégie face au jury », j'ai conté la manière dont je me suis organisé pour me préparer au Concours d’Agrégation en Sciences de Gestion.
Finalement, la date de la première épreuve du Concours vint. Je pense que je fus convoqué au mois de mars 1980 afin de présenter mes travaux, le passage de cette épreuve étant nécessaire pour être admis à concourir pour les deux épreuves suivantes qui portaient sur les théories des Sciences de Gestion et sur une étude de cas dans le domaine de spécialité choisi par le candidat.
Le jury était présidé par le Professeur Jean-Guy Mérigot de l’Université de Bordeaux I, à qui je dois largement d’avoir surmonté avec succès cette première épreuve. Le jury comprenait également quatre professeurs, François Bourricaud (Paris IV), Paul Didier (Paris IX), Pierre Lassègue (Paris I) et Bernard Pras (Paris IX). Il s’y ajoutait deux professionnels, Michel De Boissieu (Cour des Comptes) et Jean-Jacques Leven (sans doute un chef d’entreprise ou un cadre supérieur).
Je ne connaissais pas et je n’ai aucun souvenir des interventions des professeurs François Bourricaud et Paul Didier comme de celle des deux professionnels.
En revanche, je connaissais le Président Jean-Guy Mérigot et je l’aimais bien. C’était, et tous ceux qui l’ont connu le confirment, un gentilhomme bordelais d’autrefois, une sorte de Michel de Montaigne fourvoyé dans le monde impitoyable de la gestion universitaire. De plus, je craignais le Professeur Pierre Lassègue, qui, en tant que Président du CNU, s’était opposé à ce que je concoure à la qualification de Maitre de Conférence l’année précédente pour une affaire confuse de retard de ma date de soutenance. De plus, il avait été le Président du jury précédent en 1977 et il était le plus influent des membres du jury. Je connaissais aussi Bernard Pras, jeune agrégé du concours précédent et qui représentait la discipline que j’avais choisi pour l’épreuve sur cas, le marketing. Je jugeais qu’il serait plutôt indulgent et favorable à ma candidature. Je me trompais.
Le concours se déroulait Rue des Saints-Pères, dans les locaux de la Faculté de Médecine. Je me logeais la veille à l’hôtel Perreyve, rue Madame, à un quart d’heure de marche du lieu du concours. J’étais à pied d’œuvre le matin, confiant.
Devant un jury qui me semblait assez débonnaire, grâce au Professeur Mérigot, je présentais tranquillement mes travaux assez dispersés, sur la création d’entreprise, dix petits articles dans l’Encyclopedia Universalis, un article sur la fiscalité (sur un impôt, la Serisette, qui n’a jamais été mis en œuvre!), quatre articles sur le marketing, dont deux en anglais grâce au Professeur Kristian Palda, qui étaient plutôt des articles de théorie microéconomique, deux articles sur la théorie des organisations et ma thèse qui présentait une analyse des effets de la fiscalité sur la firme.
Un patchwork.
Puis j’attendis (assez) tranquillement les questions sur ces divers travaux. Elles vinrent sans doute des divers membres du jury, sans que j’en garde un souvenir précis. Je me rappelle par contre douloureusement des questions du jeune agrégé Bernard Pras. Il ne m’interrogea pas sur mes articles, mais voulut tester mes connaissances du vocabulaire marketing, de préférence anglo-saxons. J’étais débordé, d’autant plus que j’entendais certains des termes qu’il énonçait pour la première fois de ma vie! Je bredouillais des réponses, je paniquais. C’est sans doute grâce aux questions posées par Bernard Pras que j’ai écris plus tard le dictionnaire de gestion qui illustre ce blog. J’avais l’impression qu’il avait pris à revers toute ma stratégie de préparation au concours en mettant à nu la superficialité de mes connaissances en marketing.
C’est alors qu’intervint le Président du jury, le professeur Jean-Guy Mérigot, dans le rôle du sauveur. Il devait être agacé par la prétention du jeune agrégé à me faire la leçon, une manière indirecte de la faire aussi aux membres plus âgés du jury qui devaient ignorer encore plus que moi le sens des termes qu’il énonçait. Le Président l’admonesta ouvertement : «Laissez tranquille monsieur Boyer!». Cette injonction extraordinaire changea tout. Interloqué, Bernard Pras se tut et si je me souviens bien, les autres membres aussi.
L’audition était finie et je sortis de la salle rassuré. Je ne voyais pas très bien comment, après la sortie du Président du jury en défense, ma candidature serait rejetée.
Et en effet, j’appris rapidement que j’étais autorisé à poursuivre le concours.
À SUIVRE