ENTRE LES MAINS D'ANGELA MERKEL
Pour la première fois, Angela Merkel va être contrainte de choisir entre l’Europe et l’adaptation de l’Allemagne aux nouveaux défis du monde. Et nous, Français, nous allons attendre passivement qu’elle décide de notre destin pendant que les Anglais prennent, comme toujours, la direction du grand large.
2017 s’annonce comme une année passionnante, ou agitée si vous êtes pessimiste. Ainsi, l’interview accordé par Donald Trump à Bild et au Times est, pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, un message de défiance adressé à l’Allemagne par le président des Etats-Unis, d’origine allemande de surcroit !
Le choc a été rude. Il a obligé les éditorialistes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung ou de Die Welt à conclure que l’Allemagne allait devoir se défendre contre la politique agressive des Etats-Unis : s'attaquer à l'Allemagne, menacer BMW, impensable ! Naturellement, le gouvernement allemand cherche à calmer le jeu par le truchement du ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui « part du principe que notre partenaire étasunien s'en tiendra encore aux obligations internationales de l'OMC ». Quant à Angela Merkel, elle attend de « voir quels types d'accords nous pourrons atteindre » et réaffirme sa volonté de dialoguer avec la Maison Blanche.
Il reste que la nouvelle doctrine européenne de Washington place l'Allemagne, troisième puissance exportatrice du monde, juste derrière les Etats-Unis, dans une situation inconfortable, car elle est désormais sommée, pour se défendre de prendre clairement la direction de l’Union Européenne. Trump l’a brutalement affirmé : quand vous regardez l’UE, vous voyez l’Allemagne.
Pour Trump, l'UE n’est qu’un instrument de puissance au service de l'Allemagne contre lequel il compte instrumenter le Royaume-Uni en lui offrant un accord prioritaire en contrepartie du Brexit. On se souviendra que dans une position stratégiquement alignée sur l’Allemagne, Obama avait menacé le 23 avril 2016 de placer le Royaume–Uni en queue de la liste des accords commerciaux américains s’il sortait du Brexit. C’est donc un renversement stratégique total que propose aujourd’hui Donald Trump.
Voilà donc l’Allemagne contrainte d’assumer ouvertement son rôle de leadership économique et commercial, elle qui adorait se cacher derrière les conseils européens ou le faux « couple » avec la France, car elle savait que, si elle se mettait ouvertement en avant, elle devrait en payer la note en termes financiers, militaires et politiques.
Cette fois, elle ne pourra plus y échapper, car son modèle économique et sa sécurité sont en jeu : l'Allemagne, prise sous le double feu des Etats-Unis et de la Russie, est contrainte de s’appuyer sur la solidarité de ses partenaires de l’UE pour y résister. Ses avantages compétitifs résident dans le contrôle de son arrière cour centre européenne qui lui fournit une sous-traitance à bas prix et dans le maintien de la zone euro qui lui permet de neutraliser ses concurrents les plus dangereux au sein de l’UE comme la France ou l’Italie, tout en bénéficiant d'une monnaie sous-évaluée par rapport à un éventuel « Euro Deutsche Mark ».
Jusqu’ici, elle disposait de tous ces avantages sans bourse délier, pas même en dépenses militaires, s’offrant le luxe de traiter de haut ses partenaires qu’elle jugeait indisciplinés et allant jusqu’à punir cruellement la Grèce qui avait cru pouvoir la défier.
C’est l'Allemagne qui a imposé à la zone euro une stratégie de convergence budgétaire forcée, sur lequel elle se fonde pour exiger de ses partenaires des réformes toujours plus douloureuses.
C’est l’Allemagne qui refuse de réduire son excédent courant et d’accroitre son inflation interne afin de permettre à ses partenaires de rééquilibrer la zone euro. Au contraire, elle cherche sans cesse à renforcer la concurrence interne au sein de l'UE.
Lorsqu’Angela Merkel répond hardiment à Donald Trump que « nous, Européens, avons notre destin en main », elle sait que cette affirmation signifie un changement total de la politique allemande vis à vis de l’UE. Fini le blocage de toute avancée vers la solidarité européenne, fini le refus du troisième pilier de l'union bancaire par la garantie commune des dépôts, fini le rejet de l'union budgétaire par la création d'Euro bonds, fini l’obstruction à tout plan de relance et fini la négation d'une stratégie de défense européenne.
L'Allemagne va devoir assumer les inconvénients de l’UE si elle veut la rendre économiquement et socialement viable.
Si elle le veut bien.
Car Trump la met en demeure d’effectuer un changement ontologique, en se pensant comme une puissance ayant des responsabilités et des devoirs envers l'Europe entière, et non envers elle seule.
Un changement radical.
Or la tropisme allemand de poursuivre dans la même voie qu’auparavant rend tout changement radical de la stratégie allemande improbable. Un éditorial de Die Welt appelle l'Allemagne à « devenir plus consciente de sa puissance et à poursuivre ses propres intérêts ». En privilégiant le lien transatlantique sur le lien européen, puisque, après tout, les Etats-Unis sont des clients plus importants que la France, l’Allemagne se replierait sur l’Europe de Wolfgang Schäuble, celle du cercle restreint des pays européens capables de survivre à la compétition mondiale dont les règles sont plus que jamais dictées par les Etats-Unis.
Le maintien de la stratégie allemande implique que l’Allemagne se lance dans une nouvelle phase de libéralisation, en répondant à la baisse des impôts et au protectionnisme des Etats-Unis par la baisse des impôts allemands et la dérégulation des marchés. Au sein de l'UE, un tel scénario déclencherait une nouvelle course à la compétitivité sur les coûts que la majorité des pays qui la compose seraient incapables de supporter.
C’est ainsi que l’UE risque fort d’éclater, non sous les coups des eurosceptiques, mais sous ceux d’une Allemagne qui se refuserait à en assumer la charge.
On perçoit cette tendance en Allemagne lorsque l’éditorialiste du Frankfurter Allgemeine Zeitung estime qu'il est ridicule de penser que la chancelière pourrait être la « dirigeante d'un front anti Trump » et que « l'Europe a besoin d'un partenariat étroit avec les Etats-Unis ».
Et la France dans tout cela? Alors que la prudence de Berlin laisse penser que les Allemands songent à abandonner l’Europe pour sauver leur peau, la France ne se demande même plus ce qu’elle devrait faire pour sauver la sienne, agitant vainement un drapeau européen en lambeau. D'ailleurs, la peau de la France n’intéresse plus personne, ni les Américains qui l’ignore, ni les Anglais qui la quitte, ni les Allemands qui se contentent de la sermonner tout en l'étranglant.
Quant, à nous, les citoyens, nous avons été assez inconscients pour laisser nos politiciens remettre les clés de notre avenir à Angela Merkel…
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