MON JOUR DE VICTOIRE
Quand je sortis du bâtiment de la Rue des Saints-Pères, un peu étourdi, je savais dans mon for intérieur que je serai reçu au concours.
Mon stratagème fit deux victimes, mes deux camarades qui me succédèrent dans la présentation du cas Braniff qui avaient sagement préparé le cas, sans pièges ni subtilités particulières. Les réponses que j’avais fournies avant leur propre présentation leur revinrent en boomerang et ils eurent bien du mal à y répondre. Heureusement pour eux, ils faisaient parti des favoris et ils s’en sortirent en rétrogradant dans le classement final.
Puis vint le jour de l’annonce du résultat, fin avril 1980.
Évidemment, je n’étais pas certain, malgré ma confiance intime, que mon succès dans la dernière épreuve impliquait que je sois classé dans les seize premiers du concours.
Il me semble que j’appris le résultat en fin d’après-midi. J’étais classé 13e sur 16 reçus, ce qui était inespéré, quand l’on se souvient que j’étais encore assistant non titulaire trois mois plus tôt ! J’appris aussi, à ma grande peine, que mon ami Pierre Baranger, qui m’avait tellement aidé pour préparer le concours, n’était pas reçu ! Pire que cela, la rumeur disait qu’il était le premier recalé, ce qui me donnait le sentiment que j’étais le responsable de son échec. Heureusement, comme je l’ai écris précédemment (Pierre Baranger, l’ami, 30 juin 2016), cela n’entama pas notre amitié, au contraire cette épreuve la renforça et Pierre Baranger fut brillamment reçu six mois plus tard au Concours réservé aux Maitres de Conférence confirmés. Le sort injuste qu’il avait subi fut donc promptement réparé.
Cette déception pour Pierre Baranger n'était tout de même pas de nature à altérer ma joie: j’avais parfaitement conscience que la réussite au Concours d’Agrégation en Sciences de gestion allait bouleverser ma vie en bien. Mon statut professionnel s’en trouvait considérablement rehaussé, ma sécurité matérielle définitivement assurée (encore qu’elle l’était déjà en raison de ma réussite au Concours de Maitre-Assistant) et mon salaire allait devenir plus confortable.
Bref, tout ce que j’avais entrepris depuis août 2012 en démissionnant de la Mobil Oil s’en trouvait justifié. Ma tendance à la dispersion s’en trouvait excusée, mes erreurs s’en trouvaient pardonnées, mes choix hasardeux devenaient d’excellentes intuitions. Désormais j’étais Professeur jusqu’à la fin de ma vie (enfin presque, puisqu’au moment où j’écris ces lignes, je ne suis plus que Professeur Èmérite, un titre intermédiaire qui permet de s’effacer en douceur) et ce titre me permettait d’être définitivement reconnu par mes pairs, ce dont chacun a besoin à un moment ou un autre de son existence.
Cette réussite au Concours, c’était donc mon moment et j’en jouissais tout à fait.
Il restait encore à choisir un poste. La procédure pour l'attribuer était archi-classique dans l’administration française depuis des siècles. Pour les seize postes publiés, les candidats réunis dans une salle de la Rue des Saints-Pères quelques jours après la publication des résultats devaient, en une heure ou deux, choisir selon l’ordre de leur classement dans quelle université ils allaient s’installer, souvent pour la vie. Ensuite, ce choix effectué, tous les impétrants seraient réunis pour être présentés au Directeur de l’Enseignement Supérieur qui leur liraient leur affectation et les féliciteraient d’avoir réussi au Concours.
Les douze premiers choisirent selon leur convenance les postes dans l'ordre de leur classement. Vint mon tour. J’avais le choix entre quatre postes, deux en France, Grenoble et Rennes et deux en Afrique de l’Ouest, Dakar et Ouagadougou. J’aurais dû choisir logiquement Grenoble, une université de bonne qualité située pas trop loin de chez moi. C’était logique et c’était aussi la crainte de mon collègue grenoblois Alain Jolibert, classé quatorzième donc après moi dans l’ordre des choix.
C’était logique, mais je n’avais pas envie de commencer ma carrière par une vacherie. J’excluais donc Grenoble, ce qui éliminait aussi Rennes, car pourquoi partir en Bretagne alors que Grenoble m’ouvrait les bras ? Ouagadougou, non, Dakar était plus proche, son université mieux établie dans le monde francophone. Dakar s’imposait d’autant plus que l’un de mes collègues niçois venait de s’y installer, Alain Massiera. Un autre, Robert Teller, agrégé du précédent concours, venait d’en revenir après deux années qu’il n’avait, d’après ses dires, pas mal vécu. Une sorte de familiarité s’était de la sorte installée entre Dakar et l’IAE de Nice. Inutile de préciser que trois jours auparavant, j’ignorais tout à fait que le poste de Dakar serait mis au concours…
Va pour Dakar ! En quelques minutes, je venais de décider de mon sort futur et de celui d’Alain Jolibert qui rayonnait de soulagement en apprenant mon choix. Le poste d’Ouagadougou échut, malgré lui, à Henri Savall, qui réussit à ne jamais y aller en invoquant des impossibilités familiales.
En ce mois d’avril 1980, je venais de donner en quelques jours deux directions tout à fait nouvelles à ma vie. Professeur en Sciences de Gestion et Professeur coopérant à Dakar.
Deux bouleversements complets en même temps !