ENSEIGNER À DAKAR
1 Mars 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Après ces prémisses, vinrent le début des cours et ma raison d’être à Dakar s’en trouva justifiée, ou presque.
Vers le début de novembre 1980, les cours commencèrent. Pour le premier semestre, on m’avait attribué deux cours de trente heures chacun, ce qui correspondait à deux heures de cours par jour du lundi au mercredi, qui avaient lieu soit de huit heures à dix heures, soit de dix heures à midi. Ce n’était pas écrasant et je me suis souvent retrouvé le mercredi à dix heures du matin me demandant ce que je pourrais bien faire d’utile jusqu’au lundi suivant.
Les réponses vinrent progressivement, comme je l’ai observé précédemment…
Mes deux premiers cours concernaient la comptabilité analytique en 2eme année de Maitrise de Sciences Économique et de Gestion et l’économétrie en 4emeannée. Le semestre d’aprés, j’aurai à traiter du marketing et des techniques quantitatives de gestion. Ces deux premiers cours furent des découvertes à des titres divers. En effet, les deux cours se situaient aux frontières de mes compétences et j’avais d’ailleurs expressément demandé de ne pas être chargé d’enseigner le cours de comptabilité analytique. Mais enfin j’étais officiellement professeur en Sciences de Gestion, de toutes les sciences de gestion, et je m’attelais à la tâche.
Le grand amphi rassemblait jusqu’à mille deux cent étudiants qui venaient pour la plupart au cours de comptabilité analytique. Ils étaient calmes et respectueux, j’avais un micro puissant, tout allait bien, officiellement.
Cependant, je me souviens d’un jour de grève générale où ils n’étaient plus que quatre, au lieu d’un millier, dans le grand amphi. Trois devant moi, une étudiante loin au fond. Je pensais qu’elle était venue pour la climatisation, ou pour toute autre raison. Je coupais le micro. L’étudiante protesta. Je lui rappelai qu’elle pouvait se rapprocher. Elle ne réagit pas avant dix bonnes minutes avant de finalement obtempérer en me donnant raison, avec un grand sourire. Ce délai m’étonna.
Mais je ne tardai pas à comprendre le message: il subsistait des difficultés de communication entre les étudiants et moi. Cela se traduisit par 40% de notes éliminatoires à la fin du semestre. La réaction de l’administration universitaire fut parfaite : elle supprima le principe des notes éliminatoires et elle me déchargea de ce cours. Tout le monde était content.
L’examen relatif au cours d’économétrie acheva de m’instruire sur la nécessité de m’adapter au contexte, et non l’inverse. Un de mes excellents collègues, Philippe Engelhard, enseignant expérimenté à Dakar, longtemps détaché à l’Enda, une ONG basée au Sénégal, auteur d’un ouvrage prémonitoire, L’Homme Mondial, donc un expert des rapports entre étudiants sénégalais et enseignants français, me conseilla d’afficher dés la fin de l’épreuve sur le tableau placé devant la salle des professeurs le corrigé de l’examen. D’après lui, cela plairait aux étudiants. J’écrivis donc soigneusement ce corrigé et en placarda les feuillets, fier de moi.
Quelle ne fut ma surprise de voir ces feuillets arrachés et moi-même pris à partie par des étudiants survoltés, qui, après m’avoir bousculé, se détournèrent heureusement de ma personne pour courir en foule réclamer justice auprès du Doyen Ibou Diaité, un collègue sénégalais heureusement fort expérimenté.
Ce dernier les invita calmement à rédiger une réclamation, ce qu’ils firent. Dans la lettre adressée aux autorités, ils contestaient à la fois la forme et le fond de mon corrigé, car d’une part ils prétendaient que cet affichage rapide était destiné à les démoraliser pour la suite des examens et que d’autre part le contenu du corrigé était manifestement erroné.
La réclamation suivit son cours. Elle fut transmise du Doyen au Recteur, qui l'adressa au Ministre de l’Enseignement Supérieur, qui la porta à la Primature (fonction de Premier Ministre) qui à son tour la fit monter jusqu’au Cabinet du Président de la République, Abdou Diouf. Ce cabinet, refuge d’énarques ne sachant que faire de ce brûlot, entreprit de faire redescendre la note selon la même voie afin que le principal intéressé, moi-même, présente sa défense.
Le bienveillant Doyen Diaité me convoqua, nota précisément ma réponse orale (« Que des conne..., tout ça ! »), renvoya la réclamation enrichie de mon commentaire le long du circuit hiérarchique et on en n’entendit plus jamais parler.
Il est vrai qu’il y avait alors belle lurette que tout le monde, à commencer par les étudiants, avait oublié l’incident, mais j’avais appris au passage que ces derniers, généralement forts respectueux, n’étaient ni dans les conditions ni dans l’état d’esprit de mes étudiants français.
Je ne serai utile dans mes fonctions que si je parvenais à m’adapter au contexte sans capituler sur le fond, à savoir remplir la fonction dont j’étais chargé, transmettre mes connaissances. Mais lesquelles et en quoi leur seraient-elles utiles ?
À SUIVRE