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Le blog d'André Boyer

DE L'UTILITÉ DE L'ABREUVOIR

6 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

DE L'UTILITÉ DE L'ABREUVOIR

Pour des raison techniques, ce billet parait avec deux jours d'avance...

 

Une institution remarquable, à laquelle je participais chaque samedi lorsque j’étais à Dakar, se nommait l’Abreuvoir.

La légende de l’Abreuvoir racontait que ce club avait été créé dans les années 20 par des aventuriers qui parcouraient la ligne de chemin de fer Dakar Bamako à un moment où le risque de fièvre jaune était considérable. Ces aventuriers se soulaient ensemble le samedi pour oublier la redoutable maladie qui les menaçait tous.

La réalité vérifiée était plus prosaïque. Cette institution avait été créée par Maitre Paul Bonifay, qui s’installa au Sénégal dans les années 1930. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il se lança dans la politique locale. Elu maire adjoint de Dakar dans le sillage de Lamine Gueye, il  en devint de facto le premier magistrat. Il eut alors l’idée de convier à l’apéritif chaque samedi en fin de matinée, dans sa  petite villa de Dakar entourée de bougainvilliers, tous ceux qui jouaient un rôle de premier plan à Dakar.

En 1979, il rentra en France et son successeur, le docteur Jean-Claude Bernou, étendit alors le strict whisky pastis à un déjeuner offert à tour de rôle par les cent personnes qui composaient l’Abreuvoir.

En 1981, grâce à l’amical parrainage du Professeur Bernard Durand, je fus accepté parmi les happy few. Le déjeuner rassemblait effectivement des hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires résident à Dakar, mais aucun Sénégalais, ce qui donnait à ces déjeuners un caractère un peu étrange.

Nombre de ses membres attendaient le repas du samedi pour régler directement leurs affaires et j’en fus, on va le voir, l’un des bénéficiaires. Très souvent ces repas avaient lieu dans des clubs de Provinces Françaises, avec une prédilection marquée pour le Club Corse, le plus assidument fréquenté, on se demande pourquoi.

Je dois reconnaitre que pendant les deux ans pendant lesquels je fus membre du club, je n’eus jamais le courage de lancer une invitation, en raison de mes nombreux déplacements. 

Les déplacements, parlons en justement. D’une part mon activité d’enseignement était limitée à Dakar. Il n’était pas question de faire des heures supplémentaires, d’une part parce que les enseignants sénégalais en avaient fort besoin et d’autre part parce qu’il n’existait que très peu de crédits à cet effet au Ministère de la Coopération.

J’avais aussi essayé d’organiser un séminaire de recherche qui n’avait pas eu le succès escompté. Enfin, mon épouse était retournée en France pour préparer  le concours d’agrégation, ce qui m’incitait à revenir en France pendant les vacances et j’avais plusieurs offres de missions dans des pays africains.

Mais voilà, l’ambassade de France à Dakar avait pour mission d'interdire aux coopérants de quitter le Sénégal. C’était logique, bien sûr, nous effectuions  notre coopération au Sénégal et pas ailleurs. Cependant ce n’était pas très réaliste de vouloir empêcher un universitaire de développer une activité tous azimuts, s’il en avait la volonté.  C’était même mission impossible, en raison de la nature même du métier d’universitaire qui ne rentrait jamais dans le cadre des règlements administratifs.  

Bref, j’étais en conflit ouvert avec le Directeur des services de la coopération à Dakar qui me soupçonnait, sans avoir totalement tort, je l’avoue, de saisir le moindre prétexte pour quitter le Sénégal. Ce Directeur prétendait supprimer mon indemnité de coopérant pour chaque jour passé ailleurs qu’au Sénégal, et pour cela, il avait demandé au Commissaire de Police français en poste à l’aéroport de Dakar d’y relever les dates de mes départs et arrivées.

Rien de plus facile, théoriquement. Mais le Commissaire de Police sollicité faisait partie de l’Abreuvoir. Il me prévint de l’intention maligne du Directeur à mon égard, m’incita à la modération et s’abstint de toute transmission d’information superfétatoire aux services de la coopération.

Ainsi fonctionnaient les réseaux dans ce petit monde qui se côtoyait et se heurtait sans cesse, jusqu’au jour où l’un de ses membres, au bout de deux à six ans généralement, changeait de pays ou revenait en France. Il organisait alors une belle réception, avant de disparaître tout à coup de notre vie  et de nos préoccupations.

 

Ces départs donnaient lieu à des pots qui réunissaient toutes les relations que l’on avait assidument fréquentées pendant ces quelques années. D’éloquents discours étaient prononcés, qui étaient parfois édités. Des cadeaux, quelquefois somptueux, étaient remis à ceux qui nous quittaient. Heureusement des liens indissolubles se créaient aussi, ce qui fut le cas pour notre part avec au moins  trois couples d’amis.

 

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