RENCONTRES À NOUAKCHOTT
Ce séjour à Nouakchott, nimbé dans un nuage de sable, m’a permis de faire diverses rencontres.
Réduit à l’inaction, dans l’attente de la conférence à donner, je noyais mon spleen le soir dans un des rares bars à européens disponibles et je tombais inévitablement sur des personnages singuliers, que l’on ne pouvait que difficilement rencontrer ailleurs que dans un bar en Afrique, à cette époque.
C’était un jeune Danois, typique, la face bien rouge, les cheveux blonds. Il buvait beaucoup et ne tarda guère à me raconter son histoire. Il était de passage à Nouakchott pour y vendre des armes !
À l’armée mauritanienne, bien sûr, et seulement des armes légères, des mitraillettes, des fusils d’assaut, des armes de poing. Il était un peu gêné par la nature de son activité professionnelle, mais il m’expliqua qu’il n’avait pas eu le choix : il s’était marié avec une Danoise dont le père était négociant et fabricant d’armes. Son beau-père lui avait proposé ce job, qui consistait à sillonner l’Afrique pour proposer ses services aux cinquante quatre armées du continent et il le faisait, voilà tout. Qu’est ce que j’aurais fait à sa place ? J’ai bredouillé quelque chose d’indistinct pour le laisser à ses justifications et j’ai imaginé, rêveur, la nature de sa vie professionnelle…
Je ne me suis pas contenté des bars: pendant mes deux semaines de séjour, j’ai eu l'opportunité de me rendre à l’Ambassade de France pour participer à une réception donnée en l’honneur de la visite du Ministre délégué auprès du Ministre des Relations extérieures, chargé de la Coopération et du Développement, Jean-Pierre Cot.
Le pauvre Ministre s’opposait à la « Françafrique » dont se délectait Mitterrand. Aussi ne resta t-il Ministre que peu de temps, entre le 22 mai 1981 et le 8 décembre 1982. Lui succéda le sulfureux Christian Nucci, qui, lui, savait naviguer dans toutes les eaux.
La visite du Ministre offrait l’opportunité de lui présenter directement les doléances des différentes catégories de coopérants. Ceux de Nouadhibou soulignaient qu’ils étaient confinés dans la ville, dont les accès avaient été minés par l’Armée mauritanienne, un moment en guerre contre le Polisario et l'Armée ne savait plus où elle avait posé ces maudites mines.
Les coopérants de Nouadhibou demandaient officiellement une prime supplémentaire de confinement, mais en douce ils étaient très contents : l’un d’entre eux me confia qu’il avait acheté un appartement en France chaque année depuis qu’il résidait à Nouadhibou, ville qu’il allait devoir bientôt quitter à son grand regret, atteint par la limite de séjour de six ans. Sur la durée, le séjour à Nouadhibou lui avait permis d’acquérir un petit immeuble…
Il y avait aussi un délégué syndical pour assister un coopérant qui avait parcouru cinq cent kilomètres de pistes depuis Atar, une bourgade située au centre de la Mauritanie, peuplée vers 1980 de dix mille habitants. Il avait fait tout ce chemin pour se plaindre des mauvaises manières faites aux coopérants civils par les coopérants militaires
Atar était doté d’un collège ou étaient affectés trois coopérants qui recevaient toutes les primes imaginables. Sur ce point, il n’avait rien à réclamer. Mais Atar avait aussi une base militaire mauritanienne où étaient stationnés cinq légionnaires français qui faisaient un travail d’instruction pour l'Armée Mauritanienne. En outre, on trouvait dans les montagnes proches d’Atar un religieux belge, plus ou moins ermite, qui avait le mérite de rassembler tous les dimanches, Dieu soit loué, ses huit ouailles dans la grotte où il officiait.
Mais, jusqu’ici, le religieux n’était pas parvenu à faire coopérer militaires et civils. Les premiers recevaient tous les mois, à l’aide d’un antique Nord Atlas, leur ravitaillement depuis Dakar, ravitaillement qu’ils refusaient de partager avec les trois coopérants civils, qui eux devaient se contacter des ressources locales et des rares transports terrestres depuis Nouakchott.
C’était un typique conflit franco-français, au fin fond du désert.
Le Ministre écouta gravement. Il fit noter la requête et promis d’intervenir auprès de son collègue des Armées. S’il le fit, je doute toutefois qu’il obtint satisfaction, les règlements et les procédures administratives s’élevant haut, bien plus haut que ces basses contingences matérielles.
Je notais aussi que le Ministre prit soin de regagner Paris avant le début du week-end, qui avait pourtant son charme à Nouakchott. Tous les expatriés guettaient, sous le brouillard de sable qui recouvrait la ville, le bruit des réacteurs de l’Airbus du samedi en provenance de Paris. Allait-il pouvoir atterrir, malgré le sable ? Ce samedi là, l’avion tourna autour de la piste avant de s’éloigner vers Dakar. Adieu les fruits, les légumes, les yaourts, le vin. Toutes ces marchandises mettraient quelques jours de plus à revenir de Dakar en camion, si elles en revenaient…
Enfin, ma rencontre du dimanche matin ne fut pas la moins surprenante de toutes. Me rendant à un magasin pour expatriés, je vis s’arréter devant moi un flamboyant 4x4 Toyota rouge couvert de sable.
En sortit un couple élégant d’une quarantaine d’années, soignant sa tenue comme son bronzage, que je connaissais bien : Joëlle Parfentieff et son mari Franck avaient été nos voisins à Casablanca durant les deux années passées au Maroc, en 1969-1971. Franck exerçait à Nouakchott le métier qu’il pratiquait à Casablanca, import-export. Je fus invité à prendre le thé chez eux, dans un intérieur totalement décalé, plus nordique que mauritanien, y reprenant la suite de conversations interrompues douze ans auparavant. Puis nous nous quittâmes, jusqu’à la prochaine rencontre, qui reste encore à venir.
L’Afrique est petite pour les expatriés...
À SUIVRE