2019 ET APRÉS
Pour l’essentiel, on sait ce qui va se passer : la France continuera, ce n’est pas un malaise social qui va l’abattre. Mais devant elle, une page blanche reste à écrire.
Une page blanche, ce n’est pas arrivé souvent dans l’histoire et, de ce point de vue, 1848 est une assez bonne référence : Louis-Philippe s’enfuit et chacun, peuple comme politiciens, reste interdit. Que va-t-on faire ? Une République socialiste à la Blanqui ou restaurer le Roi ? Finalement l’alchimie des émeutes et de la répression portera un Louis-Napoléon Bonaparte au pouvoir.
En ce mois de janvier 2019, Macron est toujours là, mais du point de vue politique, il a disparu. On ne l’écoute plus que distraitement, ce qui le rend incapable de faire avancer ses « réformes ». Quant aux revendications qui l’assaillent, soit il y cède et il précipite la France dans une spirale de déficits rapidement insoutenables, soit il s’obstine dans l’application de son programme et il enclenche une montée irrépressible de protestations qui submergeront l’État en peu de temps.
S’il le peut, il lui faut donc rester immobile sur le front socio-économique et au contraire agir sur le front politique. À qui passer la main ? Personne ne s’affirme, ni à droite, ni à gauche, tandis que les gilets jaunes constituent une force de protestation d’où émerge une multitude de revendications. Aussi, n’ayant aucun espoir de remonter la pente, Macron peut essayer de durer, encore que je doute que cela soit possible en raison du ressentiment patent qu’il suscite, voire de la haine.
Il me semble donc vraisemblable qui lui faudra remettre le pouvoir sous une forme qui reste à déterminer, la dissolution de l’Assemblée Nationale ou la démission pure et simple. Mais chacun pressent que l’écheveau politique ne sera pas démêlé pour autant. Le référendum d’initiative populaire, vers lequel penche l’opinion publique, fera sans doute monter les enchères, mais quoi d’autre ? Il reste qu’une fois l’épisode Macron achevé, ses pieds nickelés de conseillers partis et ses députés amateurs renvoyés à leur chère société civile, la page blanche sera toujours vierge.
Qui réduira le chômage ? Qui rétablira les équilibres financiers et surtout l’équilibre des échanges ? En ce début d’année 2019, franchement, aucune idée. Si je connais, comme tout le monde, le résultat à atteindre, je sais aussi que pour résoudre le problème, il faut tenir compte, contrairement à Macron et à ses conseillers, de deux données fondamentales.
Tout d’abord, la France ne peut pas être changée. Elle peut souffrir, elle peut même être torturée comme sous l’Occupation, mais elle ne sera pas changée. Les peuples ne changent pas de mentalités, même sur des durées de plusieurs siècles.
Ensuite, il faut intégrer la donnée fondamentale de l’organisation de la France et donc du fonctionnement économique, social et politique du pays. Alors que les Anglais venaient de poser, avec la Magna Carta, les bases de la société individualiste que leurs épigones étasuniens essaient lourdement d’imposer au monde d'aujourd’hui pour vendre leurs produits, Les Français amorçaient à la fin du XIIIe siècle avec Philippe le Bel la construction de leur société autour de l’État, un État chargé d’assurer une répartition équitable des pouvoirs et des richesses et d’assurer sa protection. L’État devenait le garant d’une société inclusive et non pas le spectateur d’une société exclusive à l’anglo-saxonne, les Français étant invités à rêver d’une aventure collective et non pas d’une addition d’aventures individuelles.
Si vous acceptez ces deux postulats, vous avez la clé de l’échec de Macron. Propulsé au pouvoir par un gang de milliardaires qui voulaient changer la France à leur profit en commençant par laminer l’État, il a révulsé les Français par des « réformes » appuyées sur des discours provocateurs, des Français qui ne veulent pas voir l’État s’effacer pour les laisser seuls face à la jungle mondialisée et ses fauves.
On le voit bien avec l’impact de l’annonce de la désindexation des retraites. Ce ne sont pas seulement les actuels retraités qui s’inquiètent de leur pouvoir d’achat immédiat, ce sont tous les actifs qui se demandent quelles seront leurs retraites futures. Il en résulte que toute la société française est négativement atteinte par une telle décision. Allez faire passer la « réforme » des retraites après cela.
Les Français veulent préserver leur société, avec le soutien séculaire de leur État. S’attaquant à ce fondement central de la société française, les apprentis sorciers se sont disqualifiés. Aussi, je suis convaincu que le mot d’ordre politique qui va vite s’imposer tournera autour de la protection assurée par l’État : protection de l’État lui-même, protection sociale, protection économique, protection de l’agriculture, protection écologique, protection de l’industrie avant de la reconstruire.
Une fois que la priorité de ce thème se sera imposée, je ne m’inquiète pas de la capacité de nos technocrates, aujourd’hui livrés au vertige de l’argent mondialisé, à trouver demain les moyens de l’assurer autour de la monnaie, de l’organisation du financement de l’État ou des protections douanières : l’intendance suivra les objectifs politiques.
L’action politique d’aujourd’hui a montré sa vacuité dans le cadre de la société française de 2018. L’année 2019 devrait permettre de lui en donner un et de ce point de vue, il me paraît évident que le thème de la protection s’imposera.