EXPLIQUER LA VIOLENCE HUMAINE
Avec ce billet, ne croyez pas que je mette fin à la série que je viens de consacrer à la liquidation de l’industrie française, mais pour ne pas limiter le contenu de mon blog à ce seul sujet, aussi important soit-il, je vais la poursuivre à des intervalles de publication plus espacés.
Revenons donc à l’explication de la violence, après le premier billet que j'ai consacré au phénomène de la violence, le 6 février dernier.
L'Homo erectus, il y a deux millions d'années, était surtout carnivore. C'était donc un prédateur qui chassait aussi bien les animaux que ses semblables et c’est pourquoi la chasse, en influençant son comportement psychologique, social et territorial, revêt une grande importance dans l'emploi de la violence par l'espèce humaine.
En effet, au lieu d'une attitude de retrait et de fuite, les hommes ont très tôt adopté un comportement de prédation et d'attaque. Mais cette agressivité n’a pris un caractère destructeur qu’avec la révolution du Néolithique, dans une période qui se situe entre dix mille et six mille ans avant J.-C., car c’est à cette époque que les hommes sont passés de la cueillette et de la chasse à l'exploitation de la nature, s’organisant hiérarchiquement avec les plus agressifs, les guerriers, en haut et les plus pacifiques, les agriculteurs, en bas.
Au niveau collectif, la violence serait née de l’exploitation des richesses issues de l’agriculture, mais cela n’empêche pas de lui chercher une explication psychologique au niveau individuel. L’apprentissage de la violence trouverait son origine au sein de l’histoire familiale, en particulier lorsqu’elle contient des facteurs traumatiques, tels que des crises et des ruptures, qui sont à la fois violences et sources de violences à venir. Ces violences qui font les choux gras des sociologues qui expliquent, le cœur sur la main, que la violence a son utilité dans la mesure où elle joue un rôle d'initiation, d'intégration et d'expression dans les groupes de jeunes délinquants, les bandes de supporters ou les marginaux.
En somme, chacun s’accorde à reconnaître que la violence est la compagne fidèle de l’homme, à commencer par les philosophes. Déjà, Héraclite, au Vesiècle avant JC, l’avait justifiée par la nature antagonique de l'Etre, un pauvre Etre sans cesse traversé par le conflit. Et, vingt-quatre siècles plus tard, Hegel s’est inscrit dans cette tradition. Pour lui, l'Etre se réalise dans un mouvement dialectique de conflit et de violences entre individus et sociétés et Marx lui a emboité le pas en faisant de la lutte des classes le moteur d’un processus historique d'évolution de la lutte société, une lutte des classes qui est supposée prendre fin avec l’équilibre retrouvé des rapports sociaux de production dans une société communiste idéale.
La violence était donc justifiée par la nature humaine comme par l'évolution des sociétés, mais elle a fini par s'inviter au cœur du principe de l'évolution qui oblige chaque être à lutter pour sa vie et qui conduit à la sélection des mieux armés, selon la théorie de Darwin que Spencer s’est empressé d’appliquer à la société humaine, pour justifier intellectuellement l’écrasement du faible par le fort.
Mais c’est l’inverse de ce que pensait plus subtilement Nietzsche. Il a bien reconnu que la vie véhiculait des luttes et des drames, mais loin de saluer le succès des plus forts, il s’inquiètait au contraire des ruses qui permettent aux plus faibles, malheureusement nombreux et organisés, d'asservir les plus forts.
Revenant à une vision plus individuelle de la violence, Sartre a montré, dans sa Critique de la raison dialectique, que la reconnaissance par autrui n'était pas une affaire d'amour ou de bons sentiments, mais d'affrontement. Si bien que lorsque René Girard, auquel nous avons consacré un billet récent, introduit la rivalité dans le désir comme moteur de conflit, on ne s’étonne plus que des efforts séculaires aient été consacrés à limiter les conséquences de cette violence qui traverse depuis toujours les sociétés humaines, à l’aide du bouc émissaire.
D’autant plus, on en revient à son aspect collectif, que cette violence inhérente à la nature humaine doit être canalisée pour que les sociétés deviennent des communautés. Thomas Hobbes en a fait l’analyse saisissante dans son Léviathan (1651), en montrant dans l'état théorique de nature que l'absence de règles communes rendait les comportements imprévisibles, faute de réciprocité, car la bienveillance n’est pas forcément payée de retour, loin de là. Il en a conclu que n’importe quelle autorité valait mieux que la violence de tous contre tous, justifiant à l’avance les pires des dictatures. On est cependant obligé de convenir que la théorie de Hobbes, avait déjà trouvé racine dans Le Prince de Machiavel, lequel avançait déja que la violence ne pouvait être contenue que par une autre violence, celle de l'autorité.
Mais la justification de la violence ne s'est pas arrétée là. Des philosophes contemporains n’ont pas eu peur d’afficher leur fascination intellectuelle pour la violence. Georges Sorel en a fait l’éloge au travers d’une philosophie de la révolte, ce qui a inspiré Frantz Fanon, idolâtre de la violence totale, qu’il justifie par la nécessité pour l'opprimé de retrouver son humanité, à l’aide de meurtres et de tortures, délicates chambres de défoulement.
Ainsi la violence humaine est-elle partout, dans la vie comme chez les penseurs. Il reste à se demander si ce n’est pas lui faire trop d’honneur que de lui trouver des justifications théoriques…