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Le blog d'André Boyer

UN PIÈTRE RETOUR

2 Mai 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

UN PIÈTRE RETOUR

En effet, quelle ne fut pas ma surprise, lors de mon second cours en TC* ! 

 

Je donnais un cours de marketing approfondi aux étudiants de seconde année, répartis en six groupes, et le premier cours s’était assez bien passé, le temps de faire les présentations.

On m’avait recommandé d’être très pratique, car ces étudiants étaient destinés à « entrer dans la vie active » dés la fin de l’année. 

« Surtout ne pas leur encombrer la tête avec des idées générales » me disait-on, mais comme je sentais une pointe de mépris dans ce genre de recommandation, comme une proportion croissante d’entre eux, au grand dam des puristes de l’IUT, souhaitait continuer leurs études, qui à l’Université, qui dans une École de Commerce, comme je ne croyais pas que la théorie pouvait provoquer le moindre dégât dans leurs cerveaux et comme, pardonnez moi cette trop longue phrase, j’étais de toutes façons incapable de donner un cours sans théoriser, eh bien, je me mis à théoriser. 

Je donnais le cours et ses exercices afférents chaque semaine, le même six fois de suite aux six groupes. Dés la deuxième semaine, je sentis que la magie de mon verbe n’opérait plus guère. Cela dépendait des groupes et des personnalités qui les composaient, mais, en général, mes cours se perdaient dans un brouhaha peu propice au débat intellectuel, car il était assez clair que les conversations des étudiants ne semblaient guère porter sur les questions théoriques que mon cours prétendait soulever. 

Même si j’avais donné des cours en France trois ans auparavant, j’avais oublié le contexte. À Dakar, Yaoundé, Abidjan, Nouakchott, je parlais, avec un micro le plus souvent, à des auditoires qui allaient de cinquante à mille deux cent personnes et je parvenais toujours à me faire entendre et ici, chez moi à Nice, je ne pouvais pas capter l’attention d’une trentaine d’étudiants ! 

Quelque chose ne collait pas.

Je l’avoue, avant de remettre en cause le contenu de mes cours ou ma technique d’enseignement, j’ai plutôt incriminé les étudiants eux-mêmes et l’ambiance du département TC, que je jugeais trop laxiste. Alors, la troisième semaine, je me suis armé d’un magnétophone et j’ai enregistré les bavardages. 

Naturellement, cela n’a pas beaucoup plu à mes auditeurs dissipés. On les entend sur la bande d’enregistrement : 

« Qu’est ce que vous faites, Monsieur ? » « Je vous enregistre » « Vous n’avez pas le droit, Monsieur ! » « Mais si j’ai le droit… » « Et pourquoi vous nous enregistrez ? » Et moi de répondre, avec quelque perversité : « C’est pour faire entendre à vos futurs employeurs à quel point vous êtes attentifs en cours… »

Après cet échange, j’eus droit à quelques minutes de silence, pas plus, puis ils oublièrent l’incident pour reprendre leurs conversations. 

Mais j’ai fait pire. 

Plutôt que de me taire sur ce chahut qui enveloppait mes cours, ce que font généralement les collègues un peu honteux de ce manque d’autorité, j’ai fait écouter ces enregistrements à tous ceux qui voulaient bien les entendre, le chef du département TC en premier, les autres professeurs du département qui n’étaient guère étonnés, le Directeur de l’IUT (moi, persifleur : « vous voyez comment ca se passe en TC »), le Directeur de l’IAE qui prenait un air faussement désolé (« de mon temps, cela ne se passait pas comme ça… »), le Président de l’Université et même, par hasard, le Recteur de l’académie. J’y ai ajouté mes amis et quelques hommes politiques, mais j’ai évité les chefs d’entreprise pour ne pas porter atteinte aux intérêts de mes étudiants, par une sorte d’ultime réflexe de solidarité avec eux. 

Èvidemment, par de multiples canaux, tout cela est revenu au chef du département TC. Il a compris le danger et il a convoqué les étudiants de deuxième année, leur a expliqué que j’étais sans doute un peu dérangé sur le plan mental, peut-être par ces trois années passées en Afrique, et qu’il valait mieux, dans leur propre intérêt bien compris et dans l’intérêt du département, qu'au moins dans mon cours, ils fassent l’effort de se taire. 

Et rapidement l’ambiance a changé, une sorte de silence superficiel, semi hostile, semi perplexe, s’est mis à planer sur mes cours. 

Et moi, tout gonflé de ma piteuse victoire, je me suis enfin décidé à m’interroger sur mes cours, sur mes rapports avec les étudiants et sur leurs attentes, si bien qu’au bout de quelques semaines, mes étudiants et moi, nous étions content de nous retrouver et nous avions tous oublié ce minable incident…

 

Car le département TC de l’IUT de Nice, c’était, et c’est toujours, une famille dans laquelle chacun était heureux d’apporter sa pierre…

 

*TC: Le Département Techniques de Commercialisation, présent dans presque tous les IUT.

 

À SUIVRE

 

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J
Si on avait su qu'on vous faisait souffrir......on en aurait profité !
Répondre
A
Je ne me souvenais pas que tu faisais partie de cette promotion là! <br />