VERS LE VERTIGE DES MULTIVERS
11 Novembre 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
En 1998, l’observation de dix supernovæ* a remis en question le modèle cosmologique couramment accepté jusqu’alors, ouvrant la voie à d’autres remises en question fondamentales.
En effet, les modèles d’Univers décrivaient tous une expansion de l’Univers plus ou moins décélérée, lorsque Adam Riess et ses collaborateurs publièrent leurs observations sur dix supernovæ de type Ia* qui se trouvaient 10 à 15% plus loin que prévu par les modèles standards. En d’autres termes, l’expansion de l’Univers était donc plus rapide qu’attendue.
Or, pendant plus d’un siècle, les cosmologues avaient considéré comme évident que l’expansion de l’Univers ne pouvait être que décélérée, parce que ralentie par les forces de gravitation générées par la masse de l’Univers.
Pour obtenir une accélération, il fallait imaginer qu’il existât dans l’Univers une force répulsive et non attractive, une force inconnue que l’on a qualifié « d’énergie noire » dont on ne sait toujours pas si elle varie avec le temps, alors que son comportement va déterminer le destin de l’Univers. En effet, si la constante cosmologique , qui détermine l’accélération de l’expansion de l’Univers, reste fixe, l’Univers va se diluer et devenir de plus en plus froid, sauf si l’énergie noire contrarie cette tendance en évoluant au cours du temps.
Quoi qu’il en soit, nous avons progressé dans la connaissance de l’Univers : en découvrant que l’expansion de l’Univers était en accélération, on a pu corriger l’âge de l’Univers, qui serait plus vieux que ce qu’indiquait l’ancien modèle d’un Univers en décélération. On connait aussi la composition de l’Univers, à peine 4% de matière ordinaire, 26% de « matière noire » ** et 70% d’énergie noire.
Comme l’hypothèse de l’énergie noire échappe pour le moment à toute détection, rien ne nous empêche de faire l’hypothèse qu’elle n’existe pas, en considérant que l’observation des phénomènes nouveaux qui ont entrainé la construction du concept d’énergie noire ne sont dus qu’à l’insuffisance de la théorie de la relativité générale. Diverses théories explorent actuellement cette piste de la remise en question de la théorie de la relativité générale, qu’un esprit curieux peut parcourir en détail : la théorie des cordes, la gravité quantique à boucle ou les théories fondées sur le principe holographique.
Reste enfin l’explication du Big Bang. La version classique du Big Bang fait état d’une « singularité » pendant laquelle la température et la densité de l’Univers tendent vers l’infini. Mais ce que l’on appelle « singularité » n’est au fond que l’aveu d’une ignorance, provoquée par la longueur de Planck, 10-35 mètres, qui nous empêche de voir, nous les humains, ce qui se passait dans l’Univers lorsqu’il était plus petit que 10-35 mètres. Pour nous, il était alors indéterminé.
Mais ce blocage, cette limite, ne plait pas à l’esprit humain. Alors les astrophysiciens ont élaboré des théories telles que celle de l’inflation, à la mode à l’époque où j’écris, qui décrit une période d’expansion exponentielle dans les tout premiers instants de l’Univers et qui, c’est son but, fournit des explications convaincantes à divers problèmes non résolus.
La théorie de l’inflation a pour conséquence de prédire l’existence d’univers multiples, où les variables fondamentales de la physique pourraient prendre des valeurs différentes. L’Univers, conçu comme une totalité, serait éternel du fait qu’il produirait une infinité d’univers, des univers qui nous seraient à jamais inaccessibles, en dehors du nôtre.
Cette théorie de l’inflation reste cependant à vérifier, ou à réfuter. Si jamais, il se trouvait qu’elle soit vérifiée, et les astrophysiciens s’y emploient par tous les moyens dont ils disposent, télescopes, satellites et calculateurs de plus en plus puissants, alors oui, il faudrait accepter l’idée que l’Univers serait bien peuplé d’une multitude d’univers, les multivers, formant un ensemble hétérogène, contrasté et variable.
Mais quelles incertitudes nous attendent et quel vertige nous saisit ! Qui osera encore écrire que la science a réponse à tout? L'infinité des univers! L'éternité de l'Univers! N’est-ce pas le moment de se souvenir du célèbre aphorisme de Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » ?
* Une supernova décrit l'ensemble des phénomènes qui résultent de l'implosion d’une étoile en fin de vie, en particulier sa gigantesque explosion finale qui accroit fortement sa luminosité. Une supernova de type Ia consiste en l'explosion nucléaire d'un cadavre stellaire de type naine blanche. Une naine blanche est un objet céleste de forte densité et de petite taille qui conserve longtemps une température de surface élevée, d'où son nom de « naine blanche ».
** Pour expliquer la géométrie de l'Univers, la matière totale de l'Univers doit représenter 30 % de son contenu, dont 4% de matière ordinaire (baryonique) et 26 % de matière non baryonique, la matière noire.
FIN