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Le blog d'André Boyer

L'ARBRE DE NOËL

23 Décembre 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

L'ARBRE DE NOËL

Dans la nuit de Noël, pourquoi ne m’abandonnerais-je pas au charme de mes premières années, à tout ce qui m’a successivement captivé sur les rameaux de l’arbre magique, alors que, chaque hiver, Noël me retrouvait enfant heureux et crédule ? 

 

Il est là, devant moi, cet arbre qui déploie son ombre mystérieuse. D’abord, je reconnais mes joujoux : voilà, tout là-haut, parmi les feuilles lustrées et les baies rouges du houx, le culbuteur avec ses mains dans les poches qui ne voulait jamais se tenir tranquille par terre, mais qui, une fois mis sur le parquet, roulait sur lui-même et ne s’arrêtait que pour fixer sur moi ses yeux de homard, dont j’affectais de rire tout en m'en méfiant  au fond du cœur. 

À côté du culbuteur, voici cette tabatière infernale d'où s’élançait un avocat démoniaque en robe noire et en perruque de crin, ouvrant une large bouche, tirant une langue de drap rouge, et qu’il n’y avait pas moyen de faire rentrer dans sa boîte, car il s’en échappait toujours, la nuit surtout, pendant mes rêves. 

Tout près encore, se cache la grenouille avec de la poix de cordonnier sous les pattes, qui bondissait inopinément et allait quelquefois éteindre la bougie ou retombait sur votre main, une sale bête à la peau verdâtre tachetée de rouge. 

Sur le même rameau se trouve la dame de carton en jupe de soie bleue, qu’on faisait danser devant le flambeau, jolie et gracieuse dame... Mais je n’en saurais dire autant du grand pantin qui se pendait contre la muraille et qu’on mettait en mouvement avec une ficelle... il avait une expression sinistre, un nez atroce et quand il relevait les jambes jusqu’à son cou, il était difficile de rester seul avec lui sans avoir peur. 

Ce masque... quand donc me regarda-t-il pour la première fois, ce masque terrible ? Qui le mit sur son visage et pourquoi m’effraya-t-il à ce point que cette impression m'a marqué  pour la vie ? Longtemps, rien ne put me distraire de mon émotion; ni les deux tambours qui, au moyen d’une manivelle, faisaient entendre une musique grinçante ; ni un régiment de soldats qui sortaient l’un après l’autre d’une caserne en carton et s’alignaient, roides et muets, sur une pince à zigzags. Le souvenir seul de cette figure, l’idée qu’elle existait quelque part, cela suffisait pour me réveiller la nuit tout en sueur et criant : « Oh ! Mon Dieu ! Il vient... Oh ! Le masque ! » 

Mais après les jouets, vinrent les livres. En voilà tout un rayon sur les branches inférieures de mon arbre de Noël. Ces volumes sont minces mais nombreux et avec de jolis cartonnages bleus ou rouges. Avec quel bonheur je te revois, ô Chaperon rouge ! C’était un bon vêtement pour la saison que le manteau en laine écarlate à l’abri duquel je te vis apparaître, un soir de Noël, lorsque tu vins, ton panier au bras, me raconter la perfidie du loup, cet hypocrite dont l’appétit était si féroce... Je dois avouer que la petite fille surnommée le Chaperon rouge a été mon  premier amour.

Silence ! Qui est dans cet arbre ? Ce n’est pas Robin des bois, ni Valentin, ni le Nain jaune, ni aucun de ces personnages de mes premiers livres de contes, dont je ne parlerais pas ; c’est un roi d’Orient, un turban au front, un brillant cimeterre au poing. À côté, une cage en cristal garnie de quatre serrures en acier poli, dans laquelle il tient la princesse prisonnière. J’aperçois les quatre clefs à sa ceinture. La princesse fait signe aux deux rois dans l’arbre, et ils descendent sans bruit. C’est le début des Mille et Une nuits. 

Ah ! Désormais, les choses les plus communes me devinrent enchantées. Toutes les lampes sont des lampes merveilleuses ; toutes les bagues sont des talismans ; tous les vases de fleurs sont remplis de trésors cachés sous un peu de terre ; tous les arbres protègent Ali Baba dans leur feuillage. Mon cheval à bascule lui-même devrait avoir une cheville à son cou pour s’envoler avec moi, à l’exemple du cheval de bois sur lequel s’envola le prince de Perse devant toute la Cour de son père. 

Oui, tous les objets que je reconnais aux rameaux de mon arbre de Noël brillent de cette merveilleuse lumière. Tantôt je distingue sous mon arbre de Noël Robinson Crusoé sur son île déserte, Philip Quarll parmi les singes, Sandford et Merton, avec M. Barlow; tantôt des figures moins familières, qui s’approchent ou reculent dans un vague lointain.

Hélas ! C’est à présent que j’éprouve combien il est triste, le lendemain, de retourner aux prosaïques réalités de la vie quotidienne ! Mon imagination me ramène aux merveilles qui m’ont tant charmé ; je soupire en pensant à la petite fée avec sa longue baguette, et je voudrais partager son immortalité féerique; mais, quoiqu’elle m’apparaisse de nouveau parmi les rameaux de mon arbre de Noël, elle disparaît presque aussitôt, et elle ne consent jamais à demeurer auprès de moi. Reviens, fée de mes plus doux enchantements ! 

Ah, écoutez la musique des crèches ! Un ange parle à un groupe de bergers, dans un champ ; des voyageurs marchent les yeux levés vers le ciel, suivant une étoile; un nouveau-né a pour berceau la crèche d’une étable. Une figure solennelle, avec un visage d’une beauté et d’une douceur ineffables, aide de la main une jeune fille morte à se relever. La voilà sur le rivage enseignant une multitude. Elle rend la vue aux aveugles, la parole aux muets, le mouvement aux paralytiques, la force aux infirmes, l’intelligence à ceux qui en étaient privés. Enfin, elle est sur une croix, mourante, entourée de soldats armés ; les ténèbres s’épaississent ; la terre tremble ; on n’entend plus qu’une voix grave qui dit : « Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » 

D’autres souvenirs et d’autres images se multiplient aux plus bas rameaux de l’arbre de Noël : mes livres d’école fermés ; Virgile et Ovide muets ; Térence et Plaute abandonnés sur un théâtre ; des pupitres qui ont été mutilés avec des canifs ; l’ardoise aux calculs avec une démonstration interrompue ; la règle de trois ayant cessé ses impertinentes questions ; les raquettes, les cerceaux, les cordes à sauter laissés là aussi…

 

Ô arbre qui va t’évanouir, laisse-moi apercevoir encore une fois, à travers tes rameaux, le regard de ceux qui m’aimaient et qui ne sont plus ! Puissè-je sentir encore battre mon cœur d’enfant et entendre cette voix qui dit aux hommes de croire et d’espérer ! 

 

D’après Charles Dickens, L’arbre de Noël, extraits.

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C
Un très bon article !
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A
Merci