CARLOS GHOSN, LE GÊNEUR
Au sommet du pouvoir et de la gloire en 2005, que fait Carlos Ghosn ? Il continue ce qu’il sait faire, un plan de relance.
C’est ce qu’il fait aussitôt, en 2005, avec pour objectif de doubler la marge opérationnelle de Renault. Il implique chaque salarié pour lequel on mesure le niveau de performance à atteindre. En même temps, on ne se refait pas, il prévoit un programme de réduction des coûts et un plan d’optimisation des investissements s’appuyant sur les synergies entre Renault et Nissan.
Mais cette fois-ci, le plan marche moins bien. Les objectifs ne sont pas tous atteints chez Renault, alors que les résultats de Nissan restent d'un très bon niveau.
Puis en 2008, Ghosn supprime six mille postes de travail dont quatre mille huit cents en France et, malgré ces coupes, le résultat est tout de même en baisse de 78 % par rapport à l'année précédente. Ghosn ne se décourage pas. Il annonce un nouveau plan 2010-2016 et ça marche. Les résultats financiers sont atteints, avec un chiffre d’affaires et une marge opérationnelle tous deux records. Un plan analogue pour Nissan marche aussi.
Visant la première place mondiale des constructeurs, à moins que ce ne soit la plus forte rentabilité ou la plus rapide évolution vers les véhicules électriques, Ghosn s’attache sans relâche à faire progresser l’alliance Renault Nissan. Mais s’il pousse en avant Dacia, s’il s’allie en 2010 avec Daimler par une participation croisée et des projets communs, s’il s’adjoint le groupe russe AvtoVaz, constructeur de la Lada dont il devient président du Conseil d’Administration en 2013, s’il prend par l’intermédiaire de Nissan le contrôle du groupe Mitsubishi Motors dont il devient président de son conseil d’administration en octobre 2016, il avance à marches forcées sur un terrain de plus en plus miné par ses opposants.
À l’origine de ses ennuis, on trouve la bizarre affaire d’espionnage chinois sur le projet de voiture électrique de Renault. En janvier 2011, Ghosn affirme en direct sur TF1 que « si on n'avait pas de certitudes, nous n'en serions pas là » et que les preuves sont «multiples », avant de se rétracter et de présenter ses excuses deux mois plus tard aux trois employés injustement soupçonnés. À la suite de cette affaire, il lui faut sacrifier son bras droit, Patrice Pelata, fortement impliqué dans ces fausses accusations, pour se protéger et pour protéger Renault.
Or, si Patrice Pelata est un de ses camarades de promotion de Polytechnique, il est aussi un proche d’Alexis Kohler, l’actuel Secrétaire Général de l’Elysée et à l’époque administrateur de Renault au titre de l’Agence des participations de l’Etat. On les verra tous deux s’opposer à Ghosn en 2018.
Ensuite, une crise majeure survient en 2015, alors qu’Emmanuel Macron est ministre de l’Économie de François Hollande, avec Alexis Kohler comme chef de cabinet. Par surprise, sans en avoir averti ni Ghosn, ni Nissan, ni les autres actionnaires, Macron fait racheter par l’État 14 millions d’actions de Renault pour plus d’un milliard d’Euros, faisant passer sa participation de 15,01% à 19,74% et, en même temps (sic), afin de pouvoir imposer des droits de vote doubles pour les actions détenues par l’État. Sans doute Macron visait-il à contrôler ou même à écarter Ghosn.
Mais l’initiative du Ministre provoque une levée de boucliers, non seulement de Ghosn, mais aussi de l’ensemble des partenaires de Renault, à commencer par Nissan. Il fait alors machine arrière, par le biais de négociations directes avec Nissan, négociations dont il écarte Ghosn.
Il faut le souligner, c’est un fait extraordinaire et un remarquable acte de défiance envers son patron, que l’État et Nissan, les deux principaux actionnaires de Renault négocient par-dessus la tête du double PDG de Nissan et de Renault ! Sans doute dès ce moment, Carlos Ghosn a dû regretter d’avoir refusé le poste de PDG de General Motors offert par Obama en 2009…
Parmi les négociateurs, on trouve Philippe Lagayette (X, ENA) qui sera chargé provisoirement de diriger le Conseil d’administration de Renault après l’arrestation de Ghosn et qui recommandera à l’entreprise de porter plainte contre lui en juin 2019.
Ces négociations bipartites entre l’État et Nissan aboutissent, le 14 novembre 2015, à un nouveau contrat entre Renault et Nissan, selon lequel Renault s’engage à ne jamais s’opposer au Conseil d’Administration de Renault. Discrètement, en novembre 2017, l’État revendra les 4,73% d’actions achetées de manière controversée en 2015, en prétendant qu’il avait fait cet aller-retour sur les actions Renault juste pour gagner de l’argent sur les plus-values, cinquante-cinq millions en l’occurrence, ce qui n’était pas grand-chose compte tenu du montant des capitaux immobilisés.
Puis, en février 2018, neuf mois avant l’arrestation de Ghosn, le Ministère des Finances obtiendra la nomination de Thierry Bolloré, un ami, comme Directeur Général Adjoint de Renault : tout en renouvelant le mandat de Carlos Ghosn, Thierry Bolloré était officiellement désigné comme son successeur.
Sur cette succession, Ghosn n’était pas partie prenante, le pouvoir des horloges lui échappait alors qu’il est en pleine gloire et qu’il continuait à avancer à pleine vitesse. À l’orée de sa chute, l’Alliance Renault Nissan réunissait dix marques, 122 usines à travers le monde et près de cinq cent mille employés. Renault affichait un bénéfice record de 5,3 milliards, en hausse de 50%. Un succès planétaire.
Mais la Roche Tarpéienne est, comme toujours, proche du Capitole. Ghosn ne peut ou ne veut rien voir. Il se croit protégé par son prodigieux succès industriel, il se concentre sur l’automobile, il vise à construire un empire industriel encore plus gros et plus fort, tandis que ses ennemis creusent des mines sous ses pas. Inconscient sinon insouciant, il vole de site Renault en site Nissan, prend l’avion pour Tokyo comme il l’a déjà fait cent fois, préoccupé de mille choses, sauf de sa toute proche arrestation…
À SUIVRE